vendredi 9 juin 2017

Riad Sattouf, L'Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), Allary Editions, Paris, 2014.




Riad Sattouf, L'Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984),
Allary Editions,
Paris, 2014.

Ce premier des trois tomes déjà sortis de L'Arabe du futur, est une superposition de trois histoires. C'est bien sûr d'abord celle de Riad Sattouf, devenu aujourd'hui dessinateur et réalisateur de cinéma. C'est aussi celle des rêves d'un père d'origine syrienne, qui a l'ambition de faire carrière, et, accessoirement, de faire un coup d'Etat afin de devenir le dirigeant des peuples arabes, qu'il veut éduquer car il les trouve trop peu intelligents et facilement manipulables. Plus modestement, il aimerait avant tout faire fortune pour bâtir la villa de ses rêves dans son pays d'origine et y vivre avec sa famille. Ce premier tome, c'est enfin l'histoire plus globale des pays du Moyen-Orient dans une période pendant laquelle ils connaissent de profonds bouleversements: changements politiques, révolutions et conflits dont certains sont encore en cours aujourd'hui.

Ce premier épisode est celui qui raconte la petite enfance de Riad. Tout commence par la rencontre entre un étudiant syrien un peu lourd et une jeune étudiante bretonne qui accepte, par compassion pour lui, un premier rendez-vous. De cette union naîtra Riad, petit métis aux cheveux longs, blonds et bouclés.

La première expérience professionnelle du père va conduire toute la famille en Libye où Khadafi vient d'installer son "État des masses populaires". Sous couvert de la mise en œuvre d'un socialisme utopique dans lequel tout est partage, le dirigeant conduit sa politique d'une main de fer et le pays connaît corruption, pénurie et manque de tout. Le partage poussé à l'extrême vire à l'absurde, quand les maisons ou appartements deviennent la propriété de ceux qui les habitent en premier. Pas de cadenas ou de serrure, des infiltrations d'eau, rien n'est vraiment terminé dans ces logements. Les difficultés liées à cette situation et au régime politique obligent la famille à rentrer en France. C'est chez la grand-mère bretonne qu'atterrit le trio.

Ici, c'est le choc des cultures. Le grand-père est un coureur de jupons invétéré; la vieille voisine n'a plus toute sa tête, le père de Riad, superstitieux, est terrorisé par les fantômes qu'il imagine qui, selon lui, rôdent autour de la maison. À l'école, Riad a d'abord du mal à trouver ses marques.  Plus débrouillard et habile que les autres, il passe pour un enfant précoce, mais las de cette position, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour passer pour un abruti et entrer dans les rangs des élèves français.

La seconde expérience professionnelle paternelle entraîne tout ce petit monde en Syrie, pays natal du père, où celui-ci, plein d'espoirs, est persuadé qu'enfin est venue l'heure de faire fortune en récupérant un héritage foncier qui lui est dû et à partir duquel il espère réaliser son rêve: construire sa villa. Là encore les projets se révèlent illusoires quand il se rend compte que son frère a vendu les terres en question, et qu'il n'en verra jamais les bénéfices. Dès lors les tensions sont palpables à tous les échelons de la famille. Riad, le petit blond est considéré par ses cousins comme le juif, la menace, le concurrent, le traitre qui risque de s'accaparer les faveurs de la grand-mère paternelle à l'odeur âcre de sueur.

La Syrie est celle de Hafez Al-Assad: une dictature militaire dans laquelle on élève les enfants dans le culte de la violence et dans la haine du juif, qu'on assimile à Israël. On apprend à Riad toutes les pires insultes, avant qu'il en soit lui-même la victime. Une grave fièvre et la forte inquiétude de la mère face à cette société violente qu'elle ne souhaite pas pour son fils, poussent au rapatriement en France. Mais les ambitions du père restent tenaces et le livre se clôt sur un projet de nouveau départ.


Par un humour décalé, une fausse naïveté dans les récits, des dessins simples et efficaces, et un jeu de couleur bien choisi, Riad Sattouf ne produit pas ici seulement son autobiographie. C'est aussi une vision claire, satirique, parfois acerbe et cruelle de sociétés différentes, de rêves et de comportements absurdes. C'est l'histoire de la haine et la violence banalisées, parfois très crues,  encouragées par des gouvernements autoritaires. Une époque où les tensions dégénèrent rapidement en guerres, où se fixent certaines conditions du monde actuel.

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