vendredi 23 juin 2017

Gabriele Tergit, L'inflation de la gloire. Berlin 1931, Christian Bourgois Editeur, Paris, 2017.




Gabriele Tergit, L'inflation de la gloire. Berlin 1931,
Christian Bourgois Editeur,
Paris, 2017.

Traduit de l'allemand par Pierre Deshusses.

Aujourd'hui, on appellerait cela un phénomène de buzz, mais l'expression n'existait pas dans les années trente à Berlin. Et puis finalement, cette ascension fulgurante du chansonnier Käsebier est-elle vraiment le sujet de ce roman de Gabriele Tergit? Plus on avance dans le livre, plus on se rend compte que non. L'intérêt est bien ailleurs.

En effet, cet interprète aux chansons aux paroles naïves, qui, après la parution d'un article dans un quotidien berlinois de l'époque, devient le centre d'intérêt de toute la presse de la capitale allemande, et, de ce fait, de toute une bourgeoisie en mal d'identité, n'est certainement qu’un prétexte à la description de quelque chose de plus profond, peut être de plus historique.

Les vrais héros, ou plutôt antihéros, de cette histoire, forment une poignée de journalistes qui ne s'intéressent pas vraiment à leur monde, ou qui peut être, à un moment charnière de l'histoire de l'Allemagne et de l'Europe, ne veulent pas voir ni analyser les vrais enjeux de leur temps. Au lieu de s'intéresser aux vrais problèmes politiques, économiques et sociaux liés à la crise des années trente, ils fixent leur attention sur cet étrange personnage qui se produit dans les cabarets populaires. Immédiatement encensé par la presse, Käsebier, qu'on ne voit finalement qu'au travers des conversations et débats à son sujet, acquière une notoriété qui le dépasse. Du jour au lendemain, on parle Käsebier, on mange Käsebier, on s'habille Käsebier, on boit et on fume Käsebier. Nombreux sont les produits dérivés à son effigie. La bourgeoisie berlinoise fréquente désormais les lieux populaires qu'elle fuyait auparavant; on s'arrache les places pour assister à ses représentations. Voilà un bien étrange bonhomme que l'inflation de la gloire semble submerger.

Mais comme pour toute bulle spéculative, il y a  un moment où tout s’effondre. Raison revient et les choses retrouvent leur juste valeur. Käsebier va en faire les frais. Sauf que les investisseurs qui avaient misé toute leur fortune sur lui au plus fort de sa popularité en sont les principales victimes et se retrouvent subitement sans le sou. Ce n'est effectivement qu'au bout d'un an que l'artiste perd sa popularité. Il n'attire plus et déjà les journaux sont à l'affût d'une nouvelle proie pour attirer un nouveau lectorat. Ceux qui auront tout dépensé pour Käsebier : banques, architectes, promoteurs immobiliers, directeurs de théâtre et autres visionnaires ratés, tomberont plus bas que terre.

Parallèlement à ce récit de la gloire et de la chute d'un artiste, le roman est aussi et surtout le récit d'une société berlinoise qui mute et qui ne reconnaît plus sa ville. C'est l'histoire de la Grande Dépression de 1929 et de ses conséquences. C'est l'histoire d'hommes et de femmes qui misent leur fortune parfois avec bonheur, d'autres fois avec échecs. C'est aussi en arrière plan de tout cela, l’histoire d'une jeune république, celle de Weimar, qui est de plus en plus mise à mal  par les extrémistes de tous bords.


C'est enfin l'histoire d'une transformation du journalisme qui réfléchit à tous les moyens, même les moins glorieux, de s'attirer un public toujours plus nombreux. Un magnifique roman qui se déroule dans les années trente, mais dont les résonances sont très actuelles. 

Un grand merci à Jeanne Grange et aux éditions Christian Bourgois.

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