Gabriele Tergit, L'inflation de la gloire. Berlin 1931,
Christian Bourgois Editeur,
Paris, 2017.
Traduit de l'allemand par Pierre Deshusses.
Aujourd'hui,
on appellerait cela un phénomène de buzz, mais l'expression n'existait pas dans
les années trente à Berlin. Et puis finalement, cette ascension fulgurante du
chansonnier Käsebier est-elle vraiment le sujet de ce roman de Gabriele Tergit?
Plus on avance dans le livre, plus on se rend compte que non. L'intérêt est
bien ailleurs.
En effet,
cet interprète aux chansons aux paroles naïves, qui, après la parution d'un
article dans un quotidien berlinois de l'époque, devient le centre d'intérêt de
toute la presse de la capitale allemande, et, de ce fait, de toute une
bourgeoisie en mal d'identité, n'est certainement qu’un prétexte à la
description de quelque chose de plus profond, peut être de plus historique.
Les vrais
héros, ou plutôt antihéros, de cette histoire, forment une poignée de
journalistes qui ne s'intéressent pas vraiment à leur monde, ou qui peut être,
à un moment charnière de l'histoire de l'Allemagne et de l'Europe, ne veulent
pas voir ni analyser les vrais enjeux de leur temps. Au lieu de s'intéresser
aux vrais problèmes politiques, économiques et sociaux liés à la crise des
années trente, ils fixent leur attention sur cet étrange personnage qui se
produit dans les cabarets populaires. Immédiatement encensé par la presse,
Käsebier, qu'on ne voit finalement qu'au travers des conversations et débats à
son sujet, acquière une notoriété qui le dépasse. Du jour au lendemain, on
parle Käsebier, on mange Käsebier, on s'habille Käsebier, on boit et on fume
Käsebier. Nombreux sont les produits dérivés à son effigie. La bourgeoisie
berlinoise fréquente désormais les lieux populaires qu'elle fuyait auparavant;
on s'arrache les places pour assister à ses représentations. Voilà un bien
étrange bonhomme que l'inflation de la
gloire semble submerger.
Mais comme
pour toute bulle spéculative, il y a un
moment où tout s’effondre. Raison revient et les choses retrouvent leur juste
valeur. Käsebier va en faire les frais. Sauf que les investisseurs qui avaient
misé toute leur fortune sur lui au plus fort de sa popularité en sont les
principales victimes et se retrouvent subitement sans le sou. Ce n'est
effectivement qu'au bout d'un an que l'artiste perd sa popularité. Il n'attire
plus et déjà les journaux sont à l'affût d'une nouvelle proie pour attirer un
nouveau lectorat. Ceux qui auront tout dépensé pour Käsebier : banques,
architectes, promoteurs immobiliers, directeurs de théâtre et autres
visionnaires ratés, tomberont plus bas que terre.
Parallèlement
à ce récit de la gloire et de la chute d'un artiste, le roman est aussi et surtout
le récit d'une société berlinoise qui mute et qui ne reconnaît plus sa ville.
C'est l'histoire de la Grande Dépression de 1929 et de ses conséquences. C'est
l'histoire d'hommes et de femmes qui misent leur fortune parfois avec bonheur,
d'autres fois avec échecs. C'est aussi en arrière plan de tout cela, l’histoire
d'une jeune république, celle de Weimar, qui est de plus en plus mise à
mal par les extrémistes de tous bords.
C'est enfin
l'histoire d'une transformation du journalisme qui réfléchit à tous les moyens,
même les moins glorieux, de s'attirer un public toujours plus nombreux. Un
magnifique roman qui se déroule dans les années trente, mais dont les
résonances sont très actuelles.
Un grand merci à Jeanne Grange et aux éditions Christian Bourgois.
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