vendredi 2 juin 2017

David Vandermeulen, Fritz Haber tome 1. L'esprit du temps, Delcourt, Paris, 2005.




David Vandermeulen, Fritz Haber tome 1. L'esprit du temps,
Delcourt,
Paris, 2005.

Fritz Haber est un juif allemand qui a commencé sa carrière à l’extrême fin du Dix-Neuvième Siècle. Jeune, il a très vite considéré son judaïsme comme un handicap, impression sûrement fondée dans une époque et des milieux où l’antisémitisme était banalisé et encore impuni. L'ambition démesurée de Fritz et sa volonté de devenir grand chimiste le poussent à prendre des décisions souvent radicales, au péril de ses relations avec ses amis ou sa famille. Ce premier tome d'une série de quatre bandes dessinées nous présente l'ambitieux étudiant en chimie portant son judaïsme comme un fardeau qui l'empêche de se faire une place dans le monde fermé des scientifiques.

Il tente pourtant le tout pour le tout, n'hésite  pas à utiliser le capital familial pour acheter de grosses quantités de chaux dans le but de profiter de l'occasion d'une épidémie de choléra pour en trouver un remède. L'arrêt brutal de l'épidémie marque l'échec de l'expérience et le début d'un exil forcé: mis à la porte de la maison familiale par un père qui se retrouve avec un stock phénoménal de chaux sur les bras. Son abjuration du judaïsme et sa conversion au christianisme scelleront définitivement cette rupture.

Mais dans cette Allemagne, ou plutôt dans cette Europe, qui se prépare à la guerre, tout est possible pour qui saura mêler son activité à la science militaire et saura se faire une place dans les milieux aisés de ce siècle. Employé de seconde main dans un laboratoire de Karlsruhe, Fritz n'abandonne pas ses projets. C'est au détour d'un colloque qu'il rencontre Clara, chimiste également, qui deviendra son épouse. Mais plus qu’être juive, elle est avant tout une femme dans le monde presque exclusivement masculin des scientifiques de l'époque.  C’est ainsi que jamais elle ne pourra empêcher son mari de la forcer à quitter ses études et ses recherches pour s'occuper de leur progéniture, alors que lui décrochait un contrat de plusieurs mois qui devait le mener outre Atlantique.

Au moment où se forme le consortium IG-Farben, union de BASF, Bayer et Agfa, Fritz sait très bien que la chimie peut faire gagner la guerre. Il sait aussi que la paix ne pourra pas tenir longtemps. Il garde sans cesse l'espoir de devenir un chercheur reconnu. On le voit aussi tiraillé entre deux idées qui prennent de plus en plus de place en Europe: les théories sionistes d'Herzl et celles, racistes, de Gobineau.


Par un dessin original, et une ambiance vaporeuse aux couleurs sépia, l'auteur nous replonge dans cette ambiance particulière que seuls les films des années 1920 et 1930 peuvent traduire. Les textes placés en bas de chaque image appuient cette sensation. Le climat y est mystérieux, sombre, souvent lourd. Les gros plans, inquiétants. C’est le reflet parfait d’une époque où l'on pensait que l'héroïne était le remède à tous les maux, L’esprit du temps dans lequel évolue une société européenne prête à tous les extrêmes. Malaise et intrigue nous poussent à en savoir plus. Un formidable appel à lire la suite des aventures de Fritz Haber.

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