David Vandermeulen, Fritz Haber tome 1. L'esprit du temps,
Delcourt,
Paris, 2005.
Fritz Haber
est un juif allemand qui a commencé sa carrière à l’extrême fin du Dix-Neuvième
Siècle. Jeune, il a très vite considéré son judaïsme comme un handicap,
impression sûrement fondée dans une époque et des milieux où l’antisémitisme
était banalisé et encore impuni. L'ambition démesurée de Fritz et sa volonté de
devenir grand chimiste le poussent à prendre des décisions souvent radicales,
au péril de ses relations avec ses amis ou sa famille. Ce premier tome d'une
série de quatre bandes dessinées nous présente l'ambitieux étudiant en chimie
portant son judaïsme comme un fardeau qui l'empêche de se faire une place dans
le monde fermé des scientifiques.
Il tente
pourtant le tout pour le tout, n'hésite
pas à utiliser le capital familial pour acheter de grosses quantités de
chaux dans le but de profiter de l'occasion d'une épidémie de choléra pour en
trouver un remède. L'arrêt brutal de l'épidémie marque l'échec de l'expérience
et le début d'un exil forcé: mis à la porte de la maison familiale par un père
qui se retrouve avec un stock phénoménal de chaux sur les bras. Son abjuration
du judaïsme et sa conversion au christianisme scelleront définitivement cette
rupture.
Mais dans
cette Allemagne, ou plutôt dans cette Europe, qui se prépare à la guerre, tout
est possible pour qui saura mêler son activité à la science militaire et saura
se faire une place dans les milieux aisés de ce siècle. Employé de seconde main
dans un laboratoire de Karlsruhe, Fritz n'abandonne pas ses projets. C'est au
détour d'un colloque qu'il rencontre Clara, chimiste également, qui deviendra
son épouse. Mais plus qu’être juive, elle est avant tout une femme dans le
monde presque exclusivement masculin des scientifiques de l'époque. C’est ainsi que jamais elle ne pourra
empêcher son mari de la forcer à quitter ses études et ses recherches pour
s'occuper de leur progéniture, alors que lui décrochait un contrat de plusieurs
mois qui devait le mener outre Atlantique.
Au moment où
se forme le consortium IG-Farben, union de BASF, Bayer et Agfa, Fritz sait très
bien que la chimie peut faire gagner la guerre. Il sait aussi que la paix ne
pourra pas tenir longtemps. Il garde sans cesse l'espoir de devenir un
chercheur reconnu. On le voit aussi tiraillé entre deux idées qui prennent de
plus en plus de place en Europe: les théories sionistes d'Herzl et celles,
racistes, de Gobineau.
Par un
dessin original, et une ambiance vaporeuse aux couleurs sépia, l'auteur nous
replonge dans cette ambiance particulière que seuls les films des années 1920
et 1930 peuvent traduire. Les textes placés en bas de chaque
image appuient cette sensation. Le climat y est mystérieux, sombre, souvent lourd.
Les gros plans, inquiétants. C’est le reflet parfait d’une époque où l'on
pensait que l'héroïne était le remède à tous les maux, L’esprit du temps dans lequel évolue une société européenne prête à
tous les extrêmes. Malaise et intrigue nous poussent à en savoir plus. Un
formidable appel à lire la suite des aventures de Fritz Haber.
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