mercredi 12 avril 2017

Marceline Loridan-Ivens, Et tu n'es pas revenu, Le Livre de Poche, Paris, 2016.




Marceline Loridan-Ivens, Et tu n'es pas revenu,
Le Livre de Poche,
Paris, 2016.

"Je t'aimais tellement que je suis contente d'avoir été déportée avec toi". Voilà la phrase qui résume à elle seule toute la teneur de ce petit ouvrage de Marceline Loridan-Ivens, qui adresse ici à son père, à l'âge de 86 ans, un dernier message, comme un cri, comme une plainte due au manque éprouvée par la fille d'un père trop vite et trop brutalement disparu.

Ce père c'est justement celui qui "n'est pas revenu", sorte de héros de cet ouvrage qui n'est jamais rentré des camps en 1945. Ce juif polonais qui, durant sa vie, à tout fait pour montrer qu'il appartenait à la communauté nationale du pays dans lequel il vivait, la France. Mais ce n'est ni la propriété foncière qu'il avait acquise à Bollène, ni son attachement à la France qui n'ont pu le sauver de l'état antisémite de Vichy.

Arrêté par la milice française,  interné à Drancy, puis déporté à Auschwitz, il est intégré au service du travail, ce qui lui permet de survivre un temps. Sa fille, Marceline, le suit de près puisqu'elle est assignée au tri des vêtements des juifs gazés au Kanada de Birkenau. Mais les marches de la mort, mises en place suite à l'avancée des Soviétiques vont définitivement les séparer. Emmenée à Bergen Belsen, puis dans une usine proche de Leipzig ce sera finalement à Theresienstadt que Marceline sera libérée par l'armée rouge. Quant à son père, c'est sûrement proche de Dachau qu'il perdra la vie.

Le livre est aussi le récit du retour de Marceline dans son pays, dans sa région d'origine après la guerre. D'abord à Paris, au Lutetia, l'hôtel où les survivants des camps étaient accueillis et attendaient de longues journées quelqu'un qui viendrait les chercher ou, pire, passaient d'interminables jours à attendre qu'un proche revienne lui aussi des camps. Ce sont les réactions incrédules des proches devant des récits ahurissants de ceux qui reviennent des centres de mise à mort. Revenir c'est aussi subir les questions pénibles, presque indélicates, d'une mère qui s'assure que sa fille n'a pas été souillée par un viol, afin de pouvoir la marier dignement.

Le père de famille n'est pas rentré, mais son souvenir reste bien présent; une mémoire aussi forte et puissante que le sentiment de culpabilité de la fille survivante qui ne cesse de se demander pourquoi elle a survécu et non son père. Elle sait que le retour d'un père dans la famille aurait certainement évité le suicide de son jeune frère.

Étrangement Marceline, si forte pour survivre dans les camps, perd son assurance et sa force une fois revenue chez elle. Elle sombre dans une terrible dépression qui l'a poussée elle aussi à tenter l'irréparable. Mais les combats pour honorer la mémoire de son père la font tenir. Comment peut-elle accepter que son nom soit gravé sur un monument aux "morts pour la France", alors que cette même France, celle de Vichy, est à l'origine de son assassinat? Ce sentiment de trahison, elle aimerait qu'il soit corrigé en gravant l'épitaphe "mort à Auschwitz" à côté du nom de son père sur ce même monument.


Dans son mariage avec Joris, un réalisateur de documentaire, elle va également tenter de trouver le salut. Avec lui elle s'engage dans tous les combats qu'elle juge juste à l'époque: la reconnaissance de la Chine communiste, la création de l'Etat d'Israël, le combat aux côtés des Algériens dans leur lutte pour l'indépendance. Mais la plupart de ces espoirs, de ces utopies furent bien vite déçus, achevant ainsi toute la confiance que pouvait avoir Marceline en l'être humain, au point de se demander, au crépuscule de sa vie, si finalement c'était une bonne chose qu'elle revienne vivante des camps...

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