mercredi 19 avril 2017

Juliet Nicolson, Mères, filles. Sept générations, Christian Bourgois, Paris, 2017.




Juliet Nicolson, Mères, filles. Sept générations,
Christian Bourgois,
Paris, 2017.

Traduit de l'anglais par Eric Chédaille.

Il ne s'agit pas ici véritablement de biographies, même si le roman est organisé en chapitres sur chacun des membres de cette famille. L'auteure, l'une d'entre elles, a plutôt décidé de montrer ce que chacune de ces filles, devenues mères, a laissé comme héritages, comme traces, à ses descendantes. Elle tente d'expliquer certaines de leurs actions, certains de leurs comportements en remontant plus d'un siècle en arrière, aux origines de l'entrée dans l'aristocratie britannique de cette famille. Le livre est de ce fait le récit de permanences et de changements d'une génération à l'autre, pour aboutir à l'évolution finale, celle de la narratrice elle-même. 

La lecture de ces sept destins, certains hors du commun, permet de faire ressortir d'abord des continuités, tout ce que se sont transmis ces femmes, de mère en fille, souvent de manière inconsciente. Depuis l’Andalouse Pepita, née au milieu du dix-neuvième siècle, issue des milieux populaires de Malaga, et qui s'est fait un nom en envoûtant par la danse des Européens riches, jusqu'à Juliet, ces femmes se sont transmises leurs qualités, leur forces et leur opiniâtreté, leurs mœurs, mais aussi, plus lourdes à porter, leurs angoisses, leurs histoires, leurs névroses, voire leurs psychoses.

Ce sont tout d'abord les liens maternels qu'elles ont eu du mal à gérer avec leur fille. Entre attachement irrésistible, menant quelques fois à la jalousie, et délaissement complet, proche de l'abandon, ces femmes devenues mères ont toutes éprouvé un mal fou à trouver un juste équilibre dans leurs relations avec leurs descendantes. Ayant cédé au mariage par une trop forte pression sociale, les liens avec leur époux ont été aussi très compliqués. Dès lors, ce sera succession de divorces, de relations extraconjugales, de défilés d'amants (masculins ou féminins). Rarement il sera question d'osmose, de partage, ou simplement de relations apaisées au sein du couple.

Ces femmes se retrouvent aussi dans leur tendance à l'addiction qui prend de nombreuses formes. Victimes certainement de leur peur de l'abandon ou d'un éternel sentiment d'insatisfaction, beaucoup d'entre elles ont sombré dans un alcoolisme qui les a tuées. Addiction aussi à leur lieu de vie, constitué par ces magnifiques villas qu'elles ont occupées et dans lesquelles elles ont toutes mis leur emprunte: c'est la Villa Pepa de Pepita à Arcachon, celle de Knole en Angleterre de Victoria et Vita ou celle de Sissinghurst pour les dernières nées.

La plupart intellectuelles, éduquées dans des internats pour jeunes filles de la haute bourgeoisie anglaise ou sorties des plus grandes universités, elles ont eu le souci d'écrire leur histoire et de raconter leur vie, dans leurs détails les plus intimes. Elles l'ont consignée dans des lettres, des carnets, des journaux intimes ou dans des livres édités. Toutes ces traces ont permis à Juliet de produire ce livre.

Juliet, justement, est en quelque sorte le pivot de cette histoire. C’est celle par qui le cercle vicieux de transmission des problèmes va se rompre, celle par qui l'évolution souvent tragique de ces femmes va prendre un nouveau tour. Car effectivement le roman est aussi le reflet de changements. A travers les bouleversements internes à cette famille, ce sont les évolutions historiques, sociales et des mentalités qui sont retranscrites au fil des récits de ces différentes vies depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Les événements majeurs de l’histoire ont impacté leur vie et servent de toile de fonds à toutes ces histoires individuelles: guerres mondiales, crises, changements politiques... Les avancées sociales y sont également bien dépeintes: démocratisation du divorce, libéralisation sexuelle et des mœurs, acceptation de l'homosexualité, et l'angoisse de plus en plus menaçante de contracter ce nouveau virus que l'on nommera sida. C'est aussi la progressive entrée dans la société de consommation, la période d'émancipation de la femme, la mode, la télévision, l'apparition des icônes-modèles qui font les couvertures des grands magazines et à qui on veut ressembler.

Les changements majeurs au sein de cette famille, c'est Juliet qui va les provoquer. Car cette dernière, tombée au plus bas, se faisant subir à elle-même les pires humiliations, va faire ce qu'aucune de ses aïeules n'avaient eu le courage de faire: demander de l'aide. Prenant conscience qu'elle reproduisait  tout ce qui était à l'origine de la déchéance de ses ancêtres, elle a tout fait pour  briser ce cycle infernal, dans lequel chaque membre féminin de sa famille était tombé. Après de difficiles efforts, dont la rédaction de ce livre, qui la met elle et toutes les autres totalement à nu, en est certainement la conclusion, elle a pu se reconstruire et finalement sauver ses filles et petites filles de la terrible malédiction qui touchait chaque femme de cette famille depuis plusieurs générations.

Un grand merci à Jeanne Grange et aux éditions Christian Bourgois.


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