Marco Rizzo,
Lelio Bonaccorso, Jan Karski. L'homme qui a découvert l'Holocauste,
Steinkis,
Paris, 2014.
Voilà un
ouvrage qui sera sans nul doute controversé sur un personnage au vécu lui-même
controversé. Rien que le mot Holocauste
utilisé dans son titre soulèvera sans doute des remarques et protestation tant
il n'est plus utilisé depuis longtemps par les historiens européens.
Raconter
l'histoire de ce résistant polonais en 150 planches d'un format réduit semble
être un défi assez peu réalisable à moins d'en effectuer des coupes
importantes. La lecture des premières pages de l'ouvrage confirme les craintes
que l'on pouvait avoir au préalable. Les événements s'enchaînent à une vitesse
assez incroyable, passant de l'annonce de l'incorporation brutale du héros dans
l'armée polonaise alors qu'il se trouve en pleine réception mondaine, à son
arrestation par l'armée rouge, puis son incarcération dans un goulag soviétique
et son évasion suite à un échange de prisonniers entre les Russes et les nazis.
Dès lors Jan
Karksi va rejoindre la résistance polonaise, menant avec plus ou moins de
succès plusieurs missions, lui valant de frôler la mort à plusieurs reprises.
Torturé, blessé, il tentera même de se suicider, mais à chaque fois, avec
l'aide d'autres membres de la résistance, il réussit à s'échapper des griffes
des nazis, pour finalement accepter ses ultimes missions, celles d'infiltrer
les hauts lieux de la souffrance et de l'assassinat des juifs de Pologne afin
de rendre compte de la situation de cette communauté auprès du gouvernement
polonais en exil en Angleterre, puis auprès du Président des Etats-unis
d'Amérique, Franklin Delano Roosevelt.
Pour cela,
il est conduit en secret dans le ghetto de Varsovie où, d'une planque, il
assiste aux persécutions et autres sévices cruels subis par les juifs qui y
sont enfermés. Il pourra ainsi témoigner des conditions de vie désastreuses et
de la rare violence que subissent des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants
enfermés dans un des plus grands ghettos juifs de Pologne. Les planches
relatant cet épisode sont particulièrement réussies.
Il sera
enfin amené à pénétrer, avec l'aide de complicité de gardes ukrainiens, dans ce
que les auteurs nomment un "camp d'extermination", celui d'Izbica
Lubelska, qui s'avère être en fait un centre de tri ou les juifs étaient
rassemblés avant d'être envoyés vers les centres de mise à mort de Belzec et de
Sobibor. La bande dessinée change alors de forme pour raconter des scènes
terribles, apocalyptiques; des scènes de luttes animales pour la survie, de
violence crue. Des colonnes de texte dactylographiées encadrent des planches de
sublimes horreurs; des dessins aux couleurs vaporeuses, de terre, d'uniformes,
aux couleurs de mort illustrent le témoignage. La bande dessinée se termine là
où elle avait commencé en prologue, aux Etats-unis, dans les jardins de la
Maison Blanche, où l'on retrouve Jan Karski plein de doutes, de désespoirs,
après avoir livré son récit aux plus hautes autorités américaines.
Si le livre
se terminait là, on resterait vraiment dubitatif tant des aspects conséquents
de la vie de Jan Karski ont été occultés par les deux auteurs: ses rapports sur
les juifs dans les territoires envahis par l'URSS, ceux qui exposent les
profits tirés par les Polonais après les persécutions à l'encontre des juifs
pendant l'occupation nazie. Son erreur de croire qu'il pensait et affirmait
avoir visité le centre de mise à mort de Belzec n'est pas mentionnée non plus
dans la BD. Ses liens avec le gouvernement polonais en exil à Londres sont à
peine effleurés.
Ces
éventuels reproches sont toutefois balayés après la lecture des deux toutes
dernières pages, qui constituent la postface de l'ouvrage, rédigées par Marco
Rizzo, scénariste et auteur des textes. Il y justifie les choix faits par les
deux auteurs, corrige leurs "erreurs" ou "réécriture de
l'Histoire", fait état des polémiques. Il replace surtout les deux moments
importants de l'ouvrage, à savoir la visite du ghetto de Varsovie et celle du
centre de mise à mort, dans leurs sources originales: les auteurs ont ainsi
voulu reproduire et illustrer le plus fidèlement possible les mémoires laissées
par Jan Karski. Ils réalisent ainsi le challenge d'"atteindre la
vraisemblance, en sacrifiant un peu de la réalité", et à raconter pour la
première fois l'histoire d'un destin hors du commun qu'aucun film n'a pourtant
encore jamais mis en image. Aux lecteurs, aux historiens de considérer ensuite
ce récit avec distance et objectivité pour démêler le fait historique du
témoignage subjectif.
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