mercredi 11 janvier 2017

Marco Rizzo, Lelio Bonaccorso, Jan Karski. L'homme qui a découvert l'Holocauste, Steinkis, Paris, 2014.




Marco Rizzo, Lelio Bonaccorso, Jan Karski. L'homme qui a découvert l'Holocauste,
Steinkis,
Paris, 2014.

Voilà un ouvrage qui sera sans nul doute controversé sur un personnage au vécu lui-même controversé.   Rien que le mot Holocauste utilisé dans son titre soulèvera sans doute des remarques et protestation tant il n'est plus utilisé depuis longtemps par les historiens européens.

Raconter l'histoire de ce résistant polonais en 150 planches d'un format réduit semble être un défi assez peu réalisable à moins d'en effectuer des coupes importantes. La lecture des premières pages de l'ouvrage confirme les craintes que l'on pouvait avoir au préalable. Les événements s'enchaînent à une vitesse assez incroyable, passant de l'annonce de l'incorporation brutale du héros dans l'armée polonaise alors qu'il se trouve en pleine réception mondaine, à son arrestation par l'armée rouge, puis son incarcération dans un goulag soviétique et son évasion suite à un échange de prisonniers entre les Russes et les nazis.

Dès lors Jan Karksi va rejoindre la résistance polonaise, menant avec plus ou moins de succès plusieurs missions, lui valant de frôler la mort à plusieurs reprises. Torturé, blessé, il tentera même de se suicider, mais à chaque fois, avec l'aide d'autres membres de la résistance, il réussit à s'échapper des griffes des nazis, pour finalement accepter ses ultimes missions, celles d'infiltrer les hauts lieux de la souffrance et de l'assassinat des juifs de Pologne afin de rendre compte de la situation de cette communauté auprès du gouvernement polonais en exil en Angleterre, puis auprès du Président des Etats-unis d'Amérique, Franklin Delano Roosevelt.

Pour cela, il est conduit en secret dans le ghetto de Varsovie où, d'une planque, il assiste aux persécutions et autres sévices cruels subis par les juifs qui y sont enfermés. Il pourra ainsi témoigner des conditions de vie désastreuses et de la rare violence que subissent des dizaines de   milliers d'hommes, de femmes et d'enfants enfermés dans un des plus grands ghettos juifs de Pologne. Les planches relatant cet épisode sont particulièrement réussies.

Il sera enfin amené à pénétrer, avec l'aide de complicité de gardes ukrainiens, dans ce que les auteurs nomment un "camp d'extermination", celui d'Izbica Lubelska, qui s'avère être en fait un centre de tri ou les juifs étaient rassemblés avant d'être envoyés vers les centres de mise à mort de Belzec et de Sobibor. La bande dessinée change alors de forme pour raconter des scènes terribles, apocalyptiques; des scènes de luttes animales pour la survie, de violence crue. Des colonnes de texte dactylographiées encadrent des planches de sublimes horreurs; des dessins aux couleurs vaporeuses, de terre, d'uniformes, aux couleurs de mort illustrent le témoignage. La bande dessinée se termine là où elle avait commencé en prologue, aux Etats-unis, dans les jardins de la Maison Blanche, où l'on retrouve Jan Karski plein de doutes, de désespoirs, après avoir livré son récit aux plus hautes autorités américaines.

Si le livre se terminait là, on resterait vraiment dubitatif tant des aspects conséquents de la vie de Jan Karski ont été occultés par les deux auteurs: ses rapports sur les juifs dans les territoires envahis par l'URSS, ceux qui exposent les profits tirés par les Polonais après les persécutions à l'encontre des juifs pendant l'occupation nazie. Son erreur de croire qu'il pensait et affirmait avoir visité le centre de mise à mort de Belzec n'est pas mentionnée non plus dans la BD. Ses liens avec le gouvernement polonais en exil à Londres sont à peine effleurés.


Ces éventuels reproches sont toutefois balayés après la lecture des deux toutes dernières pages, qui constituent la postface de l'ouvrage, rédigées par Marco Rizzo, scénariste et auteur des textes. Il y justifie les choix faits par les deux auteurs, corrige leurs "erreurs" ou "réécriture de l'Histoire", fait état des polémiques. Il replace surtout les deux moments importants de l'ouvrage, à savoir la visite du ghetto de Varsovie et celle du centre de mise à mort, dans leurs sources originales: les auteurs ont ainsi voulu reproduire et illustrer le plus fidèlement possible les mémoires laissées par Jan Karski. Ils réalisent ainsi le challenge d'"atteindre la vraisemblance, en sacrifiant un peu de la réalité", et à raconter pour la première fois l'histoire d'un destin hors du commun qu'aucun film n'a pourtant encore jamais mis en image. Aux lecteurs, aux historiens de considérer ensuite ce récit avec distance et objectivité pour démêler le fait historique du témoignage subjectif.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire