mercredi 25 janvier 2017

Kate Summerscale, Un singulier garçon. Le mystère d'un enfant matricide à l'époque victorienne, Christian Bourgois, Paris, 2016.




Kate Summerscale, Un singulier garçon. Le mystère d'un enfant matricide à l'époque victorienne,
Christian Bourgois,
Paris, 2016.

Traduit par Eric Chédaille.

Le mystère d'un enfant matricide à l'époque victorienne...sous-titre étrange qui repoussera autant qu'il pourra attirer le lecteur. Ce Singulier garçon, jeune matricide de treize ans, c'est Robert Coombes, qui, un jour de 1895 a décidé de sauvagement se débarrasser de sa mère à grands coups de gourdin et de poignard alors que celle-ci était allongée dans son lit. Qu'est passé par la tête de ce jeune homme pour avoir subitement eu l'envie d'assassiner sa génitrice et de continuer à vivre et de profiter de la vie avec son plus jeune frère et une autre connaissance pendant quelques jours, alors que le cadavre commencait à se décomposer dans une pièce du premier étage de la maison familiale?

Nous sommes à Plaistow, quartier de West Ham, dans la banlieue ouvrière londonienne, dans ces quartiers populaires peuplés d'ouvriers pauvres qui travaillent dans les usines ou sur les docks, à charger et décharger les bateaux qui parcourent les chemins d'une nouvelle mondialisation. Nous sommes en plein Âge industriel, au cœur d'une société qui connait d'énormes bouleversements dus surtout à l'invention de la machine à produire en masse et qui va bientôt remplacer l'Homme; une période de transition, une société en mutation qui perd ses anciens repères et qui s'en cherche de nouveaux.

Ce jour de juillet 1895, il faisait chaud, très chaud. Les habitants du quartier sont écrasés par la chaleur. Le père de famille est parti pour New York, marin dans un navire qui fait le lien avec un monde plus si nouveau que cela. Robert tue sa mère. L'épouvantable odeur de décomposition du cadavre alerte les voisins. Robert reconnaît immédiatement le crime, l'affaire pourrait être classée, tout serait terminé.

Mais c'est justement ces froids aveux qui dès lors vont poser problème. Comment un si jeune garçon peut-il avoir commis un pareil acte? Alors on convoque des spécialistes de tout...mais finalement de pas grand chose. Le psychologue voit en cet enfant un être traumatisé par la lecture des penny bloods, ces romans à deux sous, d'aventure ou policiers, jugés trop violents et dont s'abreuve Robert à longueur de journée. "L'anthropo-morphologue" examine taille et forme du crâne pour rechercher les origines ethniques du garçon et montrer qu'il correspond parfaitement à l'archétype du jeune dérangé criminel; le pédagogue prouve la précocité de l'enfant; le voisin estime que l'enfant ne pouvait qu'en arriver là tant la mère était violente avec ses fils. Enfin le journaliste tentera des rapprochements avec d'autres criminels qui auraient pu servir de modèles au jeune garçon. Tout un chacun y va de son explication et de son argumentaire pour en prouver la véridicité.

Ce sera cependant à un juge de déterminer les raisons du crime et la sanction à prononcer contre Robert. C'est dans un asile psychiatrique qu'il finira à l'issue d'un procès qui durera de longs mois. Accusation et défense s'y affronteront devant des journalistes avides de relater chaque jour un épisode de cette histoire surprenante.

Plus d'un siècle plus tard, Kate Summercale replonge dans cette histoire vraie qui a défrayé la chronique en son temps. Elle nous transporte dans l'Angleterre de la Reine Victoria, puis en Australie, car c'est là que tout se finira. Écrivaine confirmée, c'est pourtant dans une véritable démarche historique qu'elle s'est lancée pour un résultat final fort, puissant et parfaitement documenté. Rapports d'enquête, compte-rendus d'audience, dépositions, articles de presse, recherches, rencontres et interviews de témoins, toute cette documentation est minutieusement passée au peigne fin pour être défrichée et nous emporter dans un roman entre thriller policier et récit historique.

La vie et les conditions de travail de la classe laborieuse, l'environnement urbain des cités ouvrières sont retranscrits comme pour une véritable reconstitution historique. Progrès scientifiques, bouleversement des pensées et des mentalités sont si bien décrits qu'il servent à fixer un univers mental à l'histoire. On est dedans du début à la fin du livre, comme aspirés dans ce tourbillon de mutation, qui nous permet d'éprouver la sensation de vertige, de malaise que connaissaient les gens de l'époque devant tant de transformations.


Impossible enfin de ne pas faire des parallèles avec le monde d'aujourd'hui tout au long de la lecture, de ne pas y voir les similitudes avec la société dans laquelle nous vivons. N'impute-t-on pas aujourd'hui la violence des jeunes aux jeux vidéo? Ne met-on pas régulièrement sur le dos des réseaux sociaux la "paralysie intellectuelle" des accrocs aux portables? N'accuse-t-on pas notre système éducatif de la stagnation ou de la baisse du niveau des élèves? Âge d'or pour les uns, apogée de l'exploitation de l'Homme par l'Homme pour les autres, le 19ème siècle et comme le nôtre une période de transition entre deux époques, entre deux mondes différents. Comme le montre Kate Summerscale, finalement on s'est sorti tant bien que mal de cette période. Espérons qu'il ne faudra pas deux guerres mondiales pour franchir le cap de la période perturbée que nous connaissons aujourd'hui...

Un grand merci à Jeanne Grange et aux Editions Christian Bourgois
http://www.christianbourgois-editeur.com/


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