James W. Loewen (texte) & Nate Powell (dessin), Une histoire critique des Etats-Unis, Steinkis, Paris, 2025.
Le présent album de bande-dessinée touche à au moins deux sujets délicats : l'enseignement de l'Histoire aux Etats-Unis est-il mauvais ? Quels devraient être les objectifs d'un bon enseignement de la discipline ?
James W. Loewen était un sociologue et historien américain dont le best-seller publié en 1995 s’intitule Lies My Teacher Told Me: Everything Your American History Textbook Got Wrong. Le présent comic book en est une adaptation posthume sous le crayon de Nate Powell. Le titre de la traduction française peut paraître bien sage au regard de l’intitulé original…
Les
quatre pages d’introduction donnent le ton et capturent l’attention du lecteur.
« Les lycéens détestent l’Histoire. L’Histoire, seul domaine dans lequel
plus ils suivent de cours, plus ils deviennent stupides. »
Et Loewen de
critiquer la manière dont l’Histoire est enseignée aux Etats-Unis. L'auteur a passé de longues heures à étudier et critiquer le contenu de manuels scolaires utilisés dans les établissements américains. Les manuels
débordent d’informations désintéressantes au possible. Les auteurs de manuels
se servent du présent pour éclairer le passé et non l’inverse. Les citoyens
américains doivent être fiers de leur héritage et se féliciter de tout ce que
leur pays a accompli. Le nationalisme imbibe chaque page des dits manuels. Les
erreurs historiques pullulent et ne sont jamais corrigées parce que les manuels
d’aujourd’hui sont des clones de ceux d’avant-hier…
« En tant que sociologue, je pense sans cesse à l’influence du passé, de la structure sociale et de la culture, aussi bien sur notre compréhension du monde que sur notre cheminement. Ce n’est qu’en comprenant pleinement notre passé que nous devenons capables d’une réflexion efficace sur notre présent et notre avenir communs. Du moins, c’est ce que j’espère. Alors, allons-y. »
Et c’est ainsi que l’auteur se lance dans l’analyse, la critique et la déconstruction de ce qu’il considère comme des mensonges. Les intitulés des chapitres sont les suivants : la fabrique du héros, la véritable importance de Christophe Colomb, l’invisibilité du racisme dans les manuels d’Histoire américaine, le choix de ne pas s’intéresser à la guerre du Viêtnam, la disparition du passé récent… Un ouvrage vieux de 35 ans mais d’une brûlante actualité ! Il pourrait paraître incongru d'adapter si tardivement en comics une étude vieille de plusieurs décennies. Cependant, les choix graphiques de Nate Powell et l'ajout d'un épilogue très actuel inscrivent la démarche de Loewen dans le contexte immédiat. « Toute histoire est contemporaine. » Non ?
Le professeur part de ce que les manuels et programmes enseignent aux jeunes Américains pour pointer l’ineptie et la vacuité de l’enseignement de l’Histoire. Ainsi, Christophe Colomb n’est jamais présenté dans le contexte d’expansion européenne des 15ème et 16ème siècles. De même, cet Européen, qui revendique et domine très naturellement et systématiquement tout ce qu’il voit, n’est jamais questionné sur ses motifs et objectifs. Loewen cite les erreurs des manuels sur Vasco de Gama ou les questions posées aux élèves se terminant par un « vous devriez être capables de traiter ces questions sans faire de recherches »…
En une bonne quinzaine ou vingtaine de pages, l’auteur déconstruit et critique nombre de mythes colportés par les manuels et enseignés aux lycéens américains. L’idéalisation d’une histoire blanche et non de l’Histoire américaine au sens large est un sujet de crispation. La raison d’être de l’ouvrage est de passer à la moulinette et de critiquer le contenu des enseignements et la manière dont ils sont transmis. Nate Powell dessine quelques fois Loewen en train d’interroger et de faire réfléchir ses étudiants. Pour lui tous les consensus historiques doivent être examinés et critiqués. Il s’inquiète beaucoup des questions gênantes évacuées des manuels et d’une orientation suprémacistes de certains écrits.
Il s’attarde beaucoup sur le mythe des premiers colons et l’évacuation pure et simple de toute étude sérieuse des populations amérindiennes. Il se permet des comparaisons osées en trouvant des échos entre les manières de ne pas traiter certaines questions dans les manuels américains et celles des gouvernements d’Europe de l’Est communiste au temps de la Guerre Froide…
Lorsqu’il en vient à traiter d’Autant en emporte le vent, son propos devient immensément politique et clivant. L’ère dite de Reconstruction à la fin de la Guerre de Sécession est, dans les manuels, entièrement phagocytée par les mythes aussi bien de la communauté noire que blanche. Sorte de péché originel de l’Amérique contemporaine, cette période voit le racisme et la violence des Blancs l’emporter… Le propos de l’auteur vient, grâce à l’habileté du dessinateur, éclairer le présent en réexaminant soigneusement le passé…
L’ouvrage se conclut avec un chapitre de réflexion sur l’histoire et le futur, un autre chapitre est une réflexion sur des méthodes efficaces d’enseignement et enfin un épilogue propose une ouverture sur les mensonges qui nous guettent. S’armer de connaissances est une chose mais réfléchir et se poser des questions en sont d’autres non moins importantes. Pour Loewen, l’Histoire est importante et doit être enseignée de manière intéressante. Une société pour qui le passé n’a aucune incidence et conséquence sur le présent ou l’avenir ne peut avancer. Il convient de relier notre passé à notre avenir et non de se couper de nos racines toutes honteuses ou encombrantes qu’elles peuvent paraître.
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Cet
« anti-manuel d’Histoire des Etats-Unis » se transforme dans son
épilogue en guide de survie dans une Amérique aux mains des Néo-Conservateurs,
Alt-Rights et autres Trumpistes. Réfléchissez, questionnez, faites le tri et
surtout comprenez la différence entre fait et opinion !
« Les gens
ont le droit d’émettre leurs opinions personnelles, mais pas leurs propres
faits… car une telle chose n’existe pas. Les opinions non étayées par des
preuves ne peuvent pas se voir accorder du poids. »
La
partie graphique est soignée et inventive pour ne pas lasser le lecteur. Même s'il s'agit d'une bande-dessinée à destination des enseignants, elle se distingue de ces nombreux documentaires travestis en BD qui viennent encombrer les rayons des librairies et bibliothèques. Nate
Powell conclut l’ouvrage en remerciant Loewen d’avoir initié en 1995 un
mouvement de fond et une importante réflexion sur l’enseignement de l’Histoire aux
Etats-Unis. Hostile à toute forme de révisionnisme ou de négationnisme, l’historien
et sociologue a fourni de précieuses clefs à tous ceux qui s’élèvent contre les
mesures de censure prises par ceux-là mêmes qui se décrivent comme d’ardents
défenseurs et restaurateurs du freedom of speech… L’esprit critique comme seule arme dans le
combat contre la démagogie et le populisme galopant !
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