Christian Bourgois Editeur,
Paris, 2017.
Traduit de l'espagnol (Pérou) par Serge Mestre.
"Qui était-il lui-même avant que je sois là ? Qui suis-je moi-même après sa mort ?" Ce sont les deux questions auxquelles tente de réponde Renato Cisneros au sujet du personnage principal de ce roman: son père. La démarche semble un peu égoïste au départ, tant l'auteur réalise ses recherches pour mieux se connaitre lui-même et mieux se construire. C'est un peu comme si la rédaction, puis la publication de l'ouvrage le faisaient réellement naître, comme si le jeune Renato, n'avait jusqu'alors pas réellement existé, tant il était écrasé par les questions et les non-dits au sujet de quelqu'un de si proche, mais qu'il ne semblait pas vraiment connaitre. C'est ainsi que l'auteur s'est lancé dans une recherche énorme pour retrouver les traces de cet individu aux multiples visages que fut son géniteur. L'auteur nous emmène avec lui consulter les archives, rencontrer les gens qui l'ont côtoyé, visiter les pays et les résidences où le père a vécu. Petit à petit l'homme prend forme, son caractère apparaît, avec ses forces et ses faiblesses; l'auteur renaît au fil des découverte pour ressortir totalement grandi à la fin du livre.
Etre le biographe de son père n'est certainement pas chose aisée, tant il doit être délicat d'entrer dans les épisodes les plus intimes de sa vie; mais cela doit être encore plus compliqué lorsque celui-ci fut une véritable "célébrité" politique péruvienne, à la carrière bien peu glorieuse des années 1970 aux années 1990...
Car cet homme que l'auteur nous présente dans les plus petits détails n'est autre que le Général Luis Cisneros Vizquerra, plus connu sous le pseudonyme "El-Gaucho", acteur essentiel de la dictature militaire péruvienne. Ministre de l'intérieur et des armées sous les différents gouvernements militaires issus des multiples coups d'Etat qui ont eu lieu dans le pays, il est à l'origine des actes les plus inhumains et antidémocratiques contre toute forme d'opposition, notamment à l'encontre des marxistes et des étudiants: enlèvements, arrestations arbitraires, détention, assassinats, torture. C'est avec grande horreur que le fils découvre l'admiration de son père pour les grands criminels de l'époque, pour Pinochet et pour Kissinger, poussant même le père a recueillir chez lui des hommes accusés en Argentine de crimes contre l'humanité et qui fuient leur procès. Jamais avares de commentaires tous plus choquants les uns que les autres, le Général, même retraité, portera un regard froid sur les événements de son pays, sans cesse relayés par des médias, qui, bien que souvent critiques à son égards, sauront toujours le solliciter pour faire les gros titres de leurs chroniques politiques, autres sources des recherches de Renato Cisneros.
Pourtant cet homme si peu attachant redevient petit à petit plus humain, sous la plume du fils qui relate ce qui lui-même, préservé des turpitudes politiques, avait comme image de son héro de père. Leurs relations privilégiées quand il lui apprenait à nager dans la piscine de la villa, l'intérêt porté à l'art et à la littérature. Renato découvre la frustration terrible subie par son père suite à sa rupture forcée avec Beatriz, la seule femme qu'il ait certainement aimée; les sacrifices consentis pour sa famille et sa volonté de toujours rester fidèle à son pays, même lorsqu'on le traduit devant des tribunaux, alors qu'on lui proposait de fuir à l'étranger.
Le Général cruel et sanguinaire devient un vieil homme faible devant la maladie. Et ce que les opposants du Sentier Lumineux, groupe terroriste marxiste, ou tout autre opposant politique, n'avaient pas réussi à faire, c'est finalement la maladie qui va y arriver. Atteint d'un cancer de la prostate et trop fier pour se soigner, il est fortement diminué avant de mourir. Le récit terrible de la fin de sa vie et la lutte du père pour garder ce qui lui reste de dignité est certainement la partie la plus marquante du livre.
Un grand merci à Jeanne Grange et aux éditions Christian Bourgois.
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