Will Eisner, Au cœur de la tempête,
Delcourt,
Paris, 2009.
Will Eisner
est sans contestation l'un des plus grands maîtres de la bande dessinée, à la
fois par la composition originale de ses planches et par l'importance des
thèmes qu'il a traités au cours de sa longue carrière. Au cœur de la tempête
est le récit passionnant de sa vie, ou plutôt des prémices de sa vie, car c'est
surtout de ses aïeux dont il est question ici.
Dans ce
roman graphique, Will Eisner se met en scène en 1942 dans le train qui le mène
vers le lieu de rassemblement des engagés volontaires qui partent se battre en
Europe contre Hitler. Le trajet est l'occasion pour lui de se remémorer son
passé et celui de ses parents. Les éléments des paysages qu'il traverse font
remonter des souvenirs qui nous permettront
finalement à comprendre son engagement dans l'armée.
Le premier
destin raconté est celui de sa mère, une jeune femme devenue trop vite
orpheline, et qui, avec sa sœur, doit mener une vie de labeur pour subvenir à
ses besoins, alors que les autres membres de la fratrie ont été dispersés dans
tous les Etats-Unis. Le second personnage principal de l'œuvre est Shmuel, ou
Samuel, son père, juif viennois et artiste, qui cherche à se mettre au service
de Schiller, ou plutôt de sa femme, qui le traite en véritable esclave alors
que son peintre de mari ne souhaite pas le reconnaître comme artiste et encore
moins le former.
La rencontre
entre ses deux parents se fera finalement aux Etats-Unis, ou Samuel s'est enfui
pour éviter la conscription et son engagement force dans la guerre de 1914.
C'est lorsque les Etats-Unis entreront dans le conflit que Sam cherchera une
femme à marier pour ne pas partir à la guerre. De cette union naîtra Will,
l'enfant qui préservera définitivement Sam d'avoir à porter l'uniforme.
D'autres naissances agrandiront la famille, qui déménagera au grès de la
situation professionnelle très aléatoire du père. D'abord peintre décorateur
dans les salles de spectacle, il tentera avec peu de réussite d'autres
expériences: antiquaires, brocanteurs, confectionneur de manteau de fourrures...
Will va
évoluer dans ce milieu familial et dans des différents voisinages plus ou moins
sympathiques: du Bronx au New Jersey, il sera sans cesse confronté à un
antisémitisme au moins tout aussi virulent que celui que connait l'Europe dans
l'entre-deux-guerres, racisme importé aux Etats-Unis par les migrants européens
qui viennent s'y installer. Pour Will, ce n'est que dans les années trente,
alors qu'il vient de se lier d'amitié avec une jeune fille venue d'Allemagne,
que cette haine anti-juive lui sautera à la figure de la façon la plus violente
qui puisse être pour un jeune adolescent. Parallèlement à cette découverte,
l'enfant découvre aussi l'absurdité de certains membres de sa famille qui
rejettent par tradition ou par principe les non-juifs.
La dernière
partie de l'ouvrage nous le montre adulte, devenu dessinateur pour des journaux
américains. La rencontre avec son meilleur ami de l'époque qu'il n'avait pas vu
depuis des années et avec qui il avait mené le,projet de construire un bateau,
semble le décider à entrer dans l'armée pour faire ce que son père avait
toujours fui: aller se battre en Europe contre le nazisme.
Au cœur de
la tempête est le récit d'une famille de migrants ordinaires, de ses tentatives
d'adaptation et d'intégration dans un pays qui ne veut pas forcément d'elle.
C'est l'histoire d'une famille juive qui doit faire face aux préjugés et à la
haine. Celle d'un homme qui ne veut pas reproduire les erreurs de ses parents.
Le récit se termine par une magnifique planche pleine page montrant ces
volontaires américains en route vers l'Europe où tonne l'orage de la Seconde
Guerre mondiale. Un livre poignant et magnifique, beau dans sa forme et son
contenu.
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