mercredi 16 novembre 2016

Laure Marchand, Guillaume Perrier, Thomas Azuélos, Le fantôme arménien, Futuropolis, Paris, 2015




Laure Marchand, Guillaume Perrier, Thomas Azuélos, Le fantôme arménien,
Futuropolis,
Paris, 2015.


En 1915, en pleine guerre mondiale, dans un Empire ottoman en crise, a lieu le génocide des Arméniens. Rendus responsables de la décadence du peuple turc, ils sont sauvagement assassinés par milliers par les extrémistes du Comité  Union et progrès qui vient de prendre le pouvoir par la force. Plus d'un million d'Arméniens ont disparu, beaucoup ont fui à l'étranger ou ont été "turquisés" de force pour en faire des esclaves.

Un siècle plus tard, le génocide n'est toujours pas reconnu par l'Etat turc et ce malgré les efforts de la communauté internationale ou ceux des descendants de victimes ou rescapés qui tentent, de façon plus ou moins individuelle, d'organiser à leur manière les commémorations de la mort de leurs aïeux et qui se battent pour que le gouvernement turc accepte d'en assumer la responsabilité.

C'est justement l'une de ces initiatives qu'ont décidé de relater les auteurs de cette BD-reportage: celle de Varou, ou Varoujan, un descendant d' Arméniens de la diaspora, de ces Arméniens qui ont dû fuir pour s'exiler à l'étranger. Varoujan a le projet d'exposer à Diyarbakir, ville où vivait une forte communauté arménienne, des portraits géants de victimes du génocide.

Au fil des planches, on suit Varoujan dans cette ville sur laquelle plane, comme dans tout le pays, le fantôme arménien: cette omniprésence arménienne dans l'architecture de leurs anciennes églises transformées en mosquées, sur les murs incrustés de briques aux motifs typiquement arméniens, dans les consciences et les mémoires des descendants des victimes ou des rescapés du génocide, dans les angoisses qui règnent encore aujourd'hui en Turquie. Ce fantôme est plus que présent aussi sur les lieux qui ont été les théâtres des massacres comme le pont de Diyarbakir d'où hommes, femmes, enfants, vieillards ont été précipités dans le fleuve, cimetière de ces condamnés dont la seule faute était d'appartenir à un peuple jugé nuisible.

Le fantôme arménien est aussi présent dans les consciences, dans celles des descendants en permanente quête d'identité. Restent-ils turcs parce qu'on a obligé leurs ancêtres à le devenir? Sont-ils kurdes? Alevis? Musulmans? Doivent-ils continuer à nier leurs origines? Ou doivent-ils revendiquer haut et fort leur identité arménienne qu'on les a obligés à nier?

Ce spectre arménien, les auteurs tentent de lui redonner vie en faisant le récit des pérégrinations de Varoujan dans le Dersim,  région toujours rebelle, toujours frondeuse, qui a vu mourir des milliers d'Arméniens sous les coups des miliciens extrémistes. Son paysage si beau, composé de falaises abruptes, fut aussi l'instrument du massacre. Il est aujourd'hui constellé de ruines des églises, laissées à l'abandon, comme des pierres tombales, seuls monuments témoignant de la disparition des Arméniens qui vivaient ici. 

Jamais dans cet ouvrage les massacres ne sont représentés, mais ils sont toujours évoqués dans les récits et les histoires que l'on se transmet de génération en génération. Les grands aplats d'encre rouge qui traversent les planches de paysages aux teintes beiges/sépia en sont les seules représentations graphiques.

Récit d'une lutte pour faire revivre le souvenir de ce peuple assassiné, ce livre est aussi le récit du combat d'hommes et de femmes pour sortir du négationnisme étatique turc. Alors que les réminiscences du génocide sont fréquentes en Turquie,  les héros ordinaires de cette histoire risquent leur vie tels les Justes à l'époque qui ont risqué la leur pour sauver quelques enfants du massacre et les ont élevés comme les leurs.

L'histoire se termine à Sivas, une des plus nationalistes et des plus négationnistes des villes de Turquie où Varoujan tient à parcourir quelques mètres sur la route des déportés, dernier chemin emprunté par son grand-père avant de mourir.


Le principe d'un génocide est de faire disparaître un peuple et toutes traces de celui-ci. Mais ironie de l'Histoire, le fantôme arménien continuera de hanter la Turquie tant que ses dirigeants successifs refuseront de reconnaître le crime.

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