Ernst Jünger, Orages
d’acier,
Le Livre de Poche,
Christian Bourgois,
Paris, version
française, 1970.
« Cinq
balles de fusil, deux éclats d’obus, une balle de shrapnell, quatre
éclats de grenade et deux éclats de balles de fusil, qui m’avaient laissé,
compte-tenu des tenu des trous d’entrée et de sortie, une somme exacte de vingt
cicatrices », c’est avec ce
décompte morbide que ce conclue Orages d’acier, l’histoire d’un de
ces « increvables, mais cinglés » soldats de la
Première Guerre mondiale. Durant les quatre années qu’a duré la Grande Guerre,
ce jeune lieutenant (il est mobilisé à 19 ans) a tenu un carnet qui lui a
permis, en 1920, de raconter sa guerre. Increvable, il l’a été puisque Jünger
est mort, centenaire, en 1998.
A
première lecture, son récit semble être une succession froide et descriptive
d’épisodes guerriers, violents et répétitifs…d’autant plus répétitifs qu’on en
connaît la fin : il est allemand, donc il perd la guerre, il a écrit ses
mémoires, donc il y a survécu.
Mais
cette vision s’avère rapidement simpliste et fausse, d’abord car effectivement
il est allemand et dans notre cher pays un peu chauvin qu’est la France, on est
plutôt mis en contact avec des lettres et récits de guerre de poilus français.
Lire un récit émanant du coté allemand, c’est ouvrir plus grand la focale sur
cette guerre qui a fait souffrir autant dans les deux camps. On n’y perçoit pas
non plus la haine de l’ennemi: Jünger n’est-il pas admiratif devant ces géants
néozélandais qui viennent se battre des antipodes ? Ne dédicace-t-il pas
son livre aux combattants français qui ont subi, comme lui, les pires horreurs
de la guerre ?
D’autre
part, on ne nous ressert pas non plus les éternels faits héroïques de généraux
lors de grandes batailles. Il s’agit ici de suivre au plus près, presque cote à
cote, la progression de petites troupes d’hommes à qui l’on demande de se
sacrifier pour récupérer tel trou d’obus, telle mitrailleuse sur le champ de
bataille, tel « entonnoir », tel bout de tranchée pris la veille par
l’ennemi, alors que déferle sur eux l’ « orage d’acier » de
cette guerre moderne et industrielle.
On
est aux cotés du soldat quand il se bat, quand il se pose des questions, quand
il profite d’une couche plus confortable que la tranchée alors que pleuvent sur
lui les obus, quand il se fait la réflexion que la prochaine mission qu’on lui
donne sera peut être la dernière, quand il s’extasie devant une caisse de
cognac qu’il vient de prendre à l’ennemi anglais…Mais jamais il ne profite seul
de rien, il partage tout avec sa troupe…et, étrangement, c’est avec une grande
froideur et sans jamais s’épancher qu’il annonce la mort de ses compagnons
d’infortune. Jamais plus d’une phrase par mort, tout est devenu banal dans
cette société brutalisée par ce conflit. Vivre et mourir à coté des cadavres
n’a plus rien d’anormal.
Les
déambulations de Jünger nous emmènent dans les grandes batailles du front
ouest, tout le long de la frontière nord de la France, de la Somme aux
Flandres, pour finir dans les environs de Cambrai à l’automne 1918, où,
répondant aux ordres d’un état-major aux abois, il lance ses hommes pour une
dernière bataille, une dernière défaite…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire