Judith Schalansky, Atlas der abgelegenen Inseln: fünfzig Inseln, auf denen ich nie war und niemals sein werde, Mare, Hamburg, 2009.
Judith Schalansky, Atlas des îles abandonnées, Arthaud, Paris, 2010 (traduction d’Élisabeth Landes et préface d’Olivier de Kersauson).
Sérieusement un bouquin de géographie ?
Oui mais un beau bouquin et quel bouquin !
Certes la géographie peut se faire avec les pieds. Le présent ouvrage, pour sa part, nous invite à faire de la géographie avec le doigt ! Ce qui est à la fois plus commode et des plus prometteurs !
Judith Schalansky a étudié l’art et l’histoire de l’art. Le présent atlas est avant tout un corpus de cinquante très belles cartes d’îles abandonnées ou éloignées de tout. Des cartes à l’ancienne dans un bel ouvrage relié à l’ancienne. Le plaisir d’explorer ces îles aux formes diverses et parfois improbables est le premier attrait de l’ouvrage. Faire du doigt le tour de côtes, arpenter les reliefs du bout de l’index, caresser le papier et rêver, scruter les points cotés… Quel plaisir de renouer avec l’instinct des découvreurs et explorateurs ! Imaginer l’inconnu, découvrir… Le travail sur l’iconographie cartographique est en lui-même admirable mais Judith Schalansky a plus d’une corde à son arc.
Le deuxième attrait de ce très bel ouvrage est la plume de l’auteure. La préface intitulée « Le paradis est une île. L’enfer aussi. » est une merveille à elle seule. De manière touchante, Judith Schalansky raconte ses rêves de petites filles parcourant le Monde dans un atlas. Avec poésie et nostalgie, elle évoque sa fascination enfantine pour les cartes, les lignes des côtes, des crêtes, les noms exotiques évocateurs, etc. Le texte est d’autant plus touchant qu’elle est née et a grandi en République Démocratique Allemande en temps de Guerre Froide. Les cartes étaient pour elle l’unique moyen de découvrir, parcourir et rêver le Monde, de s'évader. A la fois concrètes et abstraites, ces représentations que sont les cartes sont aux yeux de l’auteure de véritables œuvres d’art et des sésames vers un ailleurs magique.
Les cinquante îles qu’elle présente
dans son atlas ont quelque chose de fantastique en ce qu’elles sont désertes,
très peu peuplées ou peuplées seulement d’animaux. Des îles éloignées de tout mais loin d'être toutes paradisiaques. Le
troisième attrait de l’ouvrage réside là : il s’agit d’une collection de cinquante
récits beaux, terribles, fascinants, inquiétants, étranges pour expliquer pourquoi ces îles sont désertes ou quasi-désertes. Une invitation au
rêve et à la réflexion également. Mais pourquoi donc ces îles sont si peu ou pas anthropisées ?
Soigneusement ordonnées de l’Océan Arctique à l’Océan Antarctique, ces cinquante histoires sont édifiantes et parfois effrayantes. De l’île de la Solitude murée dans les glaces aux plages de l’île Christmas peuplées de crabes rouges, quels voyages et quelles découvertes ! Cinquante récits courts mais merveilleusement contés dans lesquels le mythe et la légende côtoient l’Histoire et les histoires. Pour chaque île, une double page met face à face un récit et une carte. Une manière de confronter géographie et littérature.
En scrutant ces miettes de
terre, Judith Schalansky nous incite à quelque humilité face aux prodiges de la
Nature. Si l’histoire de Rapa Nui est archiconnue, les quarante-neuf autres
récits ont de quoi fasciner le lecteur. L’auteure parvient à retrouver un peu l’esprit
des explorateurs du 19ème siècle. Elle marie avec brio l’approche
scientifique cartographique et l’approche romanesque et littéraire pour chacune
de ces îles et chacun de ces courts récits. Nous laisserons au lecteur le soin d'explorer ces terra incognita sans défricher plus avant ces terrains et sans gâcher le plaisir de la découverte ! Sans prétendre dresser pour chaque île une notice exhaustive, le format court ne le permet pas, l'auteure fait naître chez son lecteur fascination, curiosité et surprise.
Cette manière sensible de faire de la géographie avec le doigt nous rappelle que même dans un contexte de mondialisation les îles continuent d’alimenter fantasmes, utopies et imaginations les plus débordantes ! Sans cesse, le lecteur se promène et oscille entre le concret et le tangible et l’abstrait et l’imaginaire. La préface de l’auteure annonçait bien cette schizophrénie propre aux cartes d’un atlas.
Un ouvrage qui prouve que la géographie n'est pas qu'une discipline barbante ! Hum !
L’Atlas des îles abandonnées a remporté en 2009 le premier
prix de la Fondation Buchkunst, qui récompense les plus beaux livres allemands,
le German Design Award en 2011 et le Red Dot Design Award la même année. Un ouvrage qui se doit de figurer dans la bibliothèque de tout cabinet de curiosités digne de ce nom...
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