samedi 20 mai 2023

John Milius (réalisation et scénario), L’Aube Rouge, ESC éditions, Paris 2023.


John Milius
(réalisation et scénario), L’Aube Rouge, ESC éditions, Paris 2023.

« What is a "Wolverine"? »

Ukraine, avril 2022 : des photos montrant des épaves de blindés russes sur lesquels a été tagué le mot « Wolverines » circulent sur les réseaux sociaux et l’internet. Mais qu’est-ce qu’un « Wolverine » ? Et pour quelle raison des combattants ukrainiens iraient-ils inscrire ce mot sur des chars ennemis ? La référence est à chercher dans un film des années 1980 qui met en scène Patrick Swayze et Jennifer Grey. Dirty Dancing ? Mais non voyons ! Red Dawn ou L’Aube Rouge sorti sur les écrans français en 1984 !



« Red is dead ! »

L’Aube rouge aurait dû être un petit film d’auteur écrit et réalisé par Kevin Reynolds, qui n’avait pas encore tourné La Bête de guerre, Robin des Bois Prince des voleurs ou Waterworld. Sous sa plume et sa caméra, le récit aurait dû s’apparenter à une relecture de Sa Majesté des Mouches sur fond de Troisième Guerre Mondiale. Un drame psychologique dépeignant les tensions au sein d’un groupe d’enfants qui tentent de survivre dans un monde postapocalyptique. Mais le projet est repris et retravaillé par ce fou furieux de John Milius qui, en 1984, sort auréolé du succès de son furibard Conan le Barbare.

John Milius est un curieux bonhomme dans la sphère hollywoodienne. Une espèce de surfer qui se clame anarchiste, un fervent promoteur de la National Rifle Association of America, l’auteur du scénario du mythique Apocalypse Now, un fétichiste obsédé par la guerre et l’armée, frustré de n’avoir pu participer à la guerre du Vietnam pour raisons médicales… Le personnage aime choquer et déranger. Avec le scénario et la réalisation de L’Aube rouge, il saisit l’occasion de mettre en scène la guerre qui n’a jamais eu lieu et qui a travaillé l’imaginaire américain de 1945 à 1990 : la Troisième Guerre Mondiale provoquée par l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. !


« C'mon! We're all going to die, die standing up! »

Le réalisateur happe le spectateur dès les premières minutes du long métrage. Le contexte d’anticipation (l’action est située en 1989) est brossé à grands traits à l’aide d’un carton liminaire : les Etats-Unis demeurent le seul rempart face à un bloc communiste rongé par les crises et bien décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec la Guerre Froide. Milius enchaîne avec l’attaque d’une coalition internationale communiste sur le territoire américain. Son récit, il choisit de le fixer dans la petite ville de Calumet au cœur du Colorado. Le quotidien de cette bourgade est balayé par l’irruption de parachutistes bien décidés à prendre le contrôle du territoire étatsunien. 

Avec un robuste sens de la mise en scène, John Milius met en images le début de la Troisième Guerre Mondiale. Tout est filmé à hauteur d'homme. Il s’attache néanmoins davantage au sort d’une bande de très jeunes Américains qui prennent la fuite vers les montagnes pour tenter d’échapper à une mort quasi-certaine sous les balles des envahisseurs communistes qu'aux grandes manoeuvres des puissances belligérantes. Il adopte alors le point de vue de ces fuyards campés par les tout jeunes et encore inconnus Patrick Swayze, Charlie Sheen ou C. Thomas Howell. Le conflit international passe au second plan et Milius s’attarde sur les efforts de ces gosses pour survivre et se cacher.

De survivants renouant avec les traditions des trappeurs, pionniers ou Amérindiens, ces jeunes paumés deviennent des rebelles et résistants qui entrent en résistance contre les forces d’occupation communiste. Ils utilisent comme emblème l’animal totem de l’équipe de football de leur lycée : le « wolverine » ou carcajou, petit mammifère carnivore particulièrement teigneux qui peuple certaines forêts d’Amérique du Nord.

« A small animal...like a badger, but terribly ferocious. It is also the name of the local school sports collective. »

Au moment de sa sortie, le film de John Milius a été fraîchement reçu. La critique et une large frange du public lui reprochent son patriotisme exubérant et une coloration très conservatrice pour ne pas dire extrémiste. Dans un bonus pas trop caché de la présente édition du film, le réalisateur ne cache pas son indéfectible soutien à l’administration Reagan lors d’un interview de promotion sur un plateau de la télévision américaine. Sans égaler les sommets de patriotisme exacerbé que sont les deuxième et troisième opus de la série des films Rambo, L’Aube rouge véhicule des idées très Right Wing et constitue un bel exemple de ce qu’est l’escalade des tensions Est-Ouest sous la présidence de Ronald Reagan. Mais même s’il s’applique à montrer la mise en place du totalitarisme communiste sur le territoire étatsunien (camp de rééducation, propagande omniprésente, etc.), ce n’est pas cette Troisième Guerre Mondiale qui monopolise l’attention et les efforts du cinéaste.

« It's kinda strange, isn't it? How the mountains pay us no attention at all. You laugh or you cry, the wind just keeps on blowing. »

Le film et les obsessions de John Milius font du réalisateur l’antithèse d’un Sam Peckinpah auteur du viscéral Croix de Fer. Peckinpah est un vrai cowboy, forte tête hostile à toutes les formes d’autorité, envoyé chez les Marines par ses parents pour calmer son tempérament. Il rentre profondément marqué et traumatisé des opérations de désarmement des forces japonaises à la fin du deuxième conflit mondial. Avec Croix de Fer, il réalise sans doute le film de guerre le plus poignant, cru, brutal et crasseux. Il signe un pamphlet anti-guerre et antimilitariste porté par un James Coburn impérial en caporal de la Wehrmacht épuisé et désabusé…

John Milius n’a lui participé à aucune guerre. Il n’en est pas moins fasciné par le fait guerrier, les armes, les uniformes, l’histoire militaire… Avec L’Aube rouge, il semble vouloir concrétiser ses fantasmes de chien fou au sang chaud. Il en vient à condenser et réarranger ses connaissances, souvenirs et passions. Et sa Troisième Guerre Mondiale prend de faux airs de second conflit mondial. Les jeunes Ricains qui ont pris le maquis (!) recueillent un pilote allié dont l’avion a été abattu par l’Occupant (!!). Ils écoutent les messages codés des groupes de résistants sur les ondes radio (!!!). Ils apprennent que le territoire des Etats-Unis est divisé en deux : une zone libre et une zone occupée (!!!!). Ils sabotent, libèrent les otages, volent, etc. Une dépiction appliquée des faits de résistance dans l'Europe occupée par les Nazis ici réinventé dans le contexte dystopique d'une invasion des Etats-Unis par les Communistes.

Milius est du nombre de ces cinéastes cinéphiles pétris et remplis de cinéma et de références cinématographiques piochées ici ou là. Dans L'Aube rouge, il s'applique de bien belle manière à recomposer et synthétiser des images et séquences cinématographiques fortes à même d'évoquer la résistance d'un groupe d'oppressés face à la menace pregnante d'une force d'occupation. Cette réappropriation d'une iconographie et des représentations des faits de résistance font sans doute la force du film.

D’accord le coup de « John has a long mustache » pourrait presque faire rire… Force est de souligner que cette retranscription des faits de résistance dans un contexte dystopique est un peu benoite et maladroite. N’empêche que dans sa réécriture, Milius n’est pas complètement idiot. Son groupe de jeunes paumés n’est pas un condensé des Douze Salopards mixés aux Goonies ! L’aîné s’efforce de protéger les plus jeunes. Ils doutent tous. L’un se laisse emporter par la haine et le désir de venger les proches assassinés par l’Occupant. Deux jeunes filles intègrent le groupe et le spectateur comprend qu’elles ont subi des violences sexuelles. Et un sort funeste attend la plupart de ces jeunes gens…Aucun des protagonistes ne devient un super-patriote invincible à la John Rambo ! Rien que cela sauve le film de l'oubli ! Et le spectateur a le droit de se laisser émouvoir par les trajectoires de ces divers gosses parachutés dans l'horreur d'une Troisième Guerre Mondiale !

 

Face à ces apprentis résistants, le colonel Bella est un antagoniste intéressant. Si le film est peuplé de caricatures de « pourritures communistes » détestables et taillés à la hache, la dualité de cet officier retient quelque peu l’attention du spectateur. Le guérillero et révolutionnaire communiste doit se faire policier et répresseur. Qui est-il lui : un révolutionnaire ou un oppresseur ? A plusieurs moments, on le voit s’interroger sur sa position et celle des résistants auxquels il ne peut que trop bien s’identifier. Les « Rouges » ne sont tous pas dépeints comme d’anonymes salopards. Et les Américains sont pour certains montrés comme d’ignobles collaborateurs. Milius s'est appliqué à intégrer dans son récit au demeurant assez pédagogique les diverses facettes des clivages entre résistants, occupants ou collaborateurs. Peut-être que vu sous cet angle, le film peut valoir le coup d'oeil !

L’apparition en Ukraine de graffiti faisant référence aux « Wolverines » témoigne de l’intérêt que l’on peut porter à ce petit film comme récit de résistance. Il témoigne aussi, une fois encore, de l'importance des représentations issues de la culture populaire pour saisir le monde présent ou passé. La coloration « Guerre Froide » n’est sans doute pas l’élément le plus pertinent du récit. Il n'est pas non plus le plus travaillé par son auteur. En revanche, la trajectoire de ces jeunes paumés qui sont finalement moins des patriotes que des survivants peut intéresser, aujourd'hui un peu davantage au regard du contexte ukrainien. Même si la trame narrative n’échappe pas à certains poncifs et à un patriotisme un poil naïf et agaçant, le film se hisse hardiment au-dessus du très lisse et dispensable remake sorti en 2012. Dans ce dernier, la Corée du Nord vient remplacer l’U.R.S.S. et une équipe de boyscouts menés tambour battant par le beefcake Chris Hemsworth sauve les Etats-Unis du « péril Rouge » ! Hum…Un remake qui s'en vient rejoindre les oubliables relectures datées des années 2000 de  Zombie  et  The Crazies  de George A. Romero ou de  Les Chiens de paille  de Sam Peckinpah ou même de  La Dernière Maison sur la gauche  de Wes Craven. Des décalques qui, privées de leur contexte de création et d'un vrai point de vue affiché, ne racontent ou ne témoignent de plus grand chose.

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