dimanche 12 août 2018

Salva Rubio, Pedro J. Colombo, Aintzane Landa, Le photographe de Mauthausen, Le Lombard, Paris, 2017.




Salva Rubio, Pedro J. Colombo, Aintzane Landa, Le photographe de Mauthausen, 
Le Lombard,
Bruxelles, 2017.


Les Républicains espagnols ont connu une triple tragédie dans les années 1930 et 1940. Après la défaite face aux troupes de Franco, épaulé par ses alliés fascistes et nazis, ils furent parqués dans des camps en France. Puis c'est la déportation dans les camps de concentration nazis qui vint sceller leur destin, quand le gouvernement de Vichy décide de les expulser pour les livrer à Hitler. Plus de 9300 d'entre eux furent ainsi emprisonnés dont plus de 7500 à Mauthausen où ils connurent un sort particulièrement atroce, assimilés par les nazis à la "peste communiste" qu'ils étaient en train de combattre sur le front de l'est.

Francisco Boix fut l'un de ces hommes, et le protagoniste principal de cet album qui retrace leur destin. Bien que chaque individu puisse revendiquer une histoire particulière au sein d'un camp de concentration, celle de Boix est tout de même inédite. Entré au service d'identification du camp de Mauthausen, il est chargé de développer les photographies de détenus et des clichés personnels pris par les SS. Une série cependant va attirer son attention et profondément le bouleverser: celle de Paul Ricken.

Nazi fanatique, Paul Ricken dirige ce service de l'Erkennungsdienst dans lequel travail Boix. Les photographies qu'il lui donne à développer sont celles de cadavres, de scènes d'exécution ou d'assassinats maquillés en suicide, de scènes de torture. Mais le plus frappant pour le jeune espagnol est cette volonté macabre que s'impose Ricken sur chacun des clichés, de rendre la mort esthétique. La personnalité dérangée du chef de service nazi l'incite à se mettre en scène lui-même, jouant le mort au milieu d'une forêt. Boix est obligé de suivre Ricken dans ses prises de vue. De simple aide de service, il devient technicien de l'inhumain, il doit s’arranger pour que la lumière soit la plus adaptée et belle possible afin de mettre en valeur les cadavres, trouver l'angle de vue le meilleur, ...

Boix ne peut rester insensible à cela et son caractère rebelle et sa foi sans faille à ses idées de liberté le poussent à vouloir résister au sein du camp de concentration. C'est lors d'une séance de désinfection sur la Garagenplatz de Mauthausen, superbement représentée dans la BD, qu'il émet, avec quelques autres codétenus, la volonté de reproduire un maximum de clichés et de les faire sortir du camp afin de les mettre en lieu sûr, pour pouvoir servir de témoins des atrocités nazies à la fin de la guerre.

Excellente bande dessinée, qui, en plus de raconter l'histoire incroyable de Boix et des autres détenus, montre avec une précision exceptionnelle la survie dans un camp de concentration, les violences, les mauvais traitements, les sévices, l'attitude des prisonniers entre eux et celle des gardiens. Les décors sont fabuleusement reproduits. 

Finalement, la mission que s'est donnée Boix a réussi et les photographies sont bien sorties du camp de concentration. Boix, libre, n'a dès lors qu'une obsession: utiliser les photos qu'il a regroupées au péril de sa vie et de celle des autres détenus, pour faire condamner les dirigeants SS. Le procès de Nuremberg, auquel il participe, sera pour lui une autre désillusion, bien que Kaltenbrunner ait pu être condamné en partie grâce aux photographies sauvées. Mais jamais les juges ne les utiliseront pour témoigner des sévices et de la cruauté qu'ont fait subir les SS à Mauthausen.

Cette bande dessinée rend un hommage tout particulier à cet homme mort à 31 ans dont la vie fut écourtée par toutes les souffrances vécues mais qui n'a jamais rien abandonné de ses idéaux et de son engagement. Il est resté fidèle à ses convictions communistes jusqu'au bout, malgré une ultime désillusion, celle provoquée à la suite de la condamnation à mort par Staline de tous les communistes survivants des camps. C'est à Paris que Francisco Boix s'éteint en 1951.

Un énorme dossier documentaire vient compléter la Bande dessinée. Un multitude de petits chapitres sont consacrés à la fois à Francisco Boix, au système concentrationnaire, à Mauthausen en particulier et au destin des Républicains espagnols, héros souvent oubliés de l'Histoire des camps de concentration. Chacun de ses chapitres est rédigé par un historien ou un responsable d'un centre mémoriel. Des documents d'archives et les photographies originales de Boix viennent parfaire l'ensemble.

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