vendredi 27 juillet 2018

Didier Zuili, Varsovie Varsovie. Ils vont sauver les archives de l'oubli, Marabulles, Hachette livres, Paris, 2017.




Didier Zuili, Varsovie Varsovie. Ils vont sauver les archives de l'oubli,
Marabulles, Hachette livres,
Paris, 2017.

Il est des hasards qui entraînent de belles découvertes: nous venions tout juste de sortir d'une formation animée par Annette Wieviorka intitulée La littérature des ghettos, quand nous avons reçu un message de Didier Zuili nous annonçant l'existence de sa bande dessinée, qui traite, de façon différente, du même sujet.

Alors que l'historienne nous racontait les faits: l'histoire de Ringelbum et de son collectif Oyneg Shabbes pour sauver les archives qui retracent les événements qui eurent lieu au sein du ghetto de Varsovie, l'auteur de cette bande dessinée s'attache à rendre vivant cette histoire en la mettant en images, et en y ajoutant quelques éléments de fiction pour appuyer plus encore le fait que ce fut celle d'hommes et de femmes, qui, au péril de leur vie, ont tout fait pour consigner par écrit leur survie et la destruction du peuple juif parqué dans le ghetto. Enfermée dans des boites et des bouteillons, cette masse considérable d'écrits devait témoigner de la vie dans le ghetto et de ce qu'on nommera plus tard la Shoah, dans le cas où les nazis parviendraient à mener à bien leur projet:  faire disparaître toute trace juive du Reich qu'ils étaient en train de construire. Une initiative absolument indispensable tant on connait, près de 80 ans plus tard, l'ampleur du massacre, la liquidation du ghetto et la disparition totale de la langue des témoins, le yiddish.

C'est par un séquençage efficace, un gros travail scénaristique, et une vraie recherche historique que Didier Zuili met en scène des destinées individuelles au sein du ghetto. Celles-ci vont toutes se recouper dans ce qui peut être considéré comme le point culminant du livre: la visite d'Himmler dans le ghetto et l'attentat (fictif) contre lui qui mettra le feu aux poudres et déclenchera l'insurrection du ghetto de Varsovie et sa destruction totale.

Le récit commence par la venue en Pologne de Yentl Perlmann.  Aujourd'hui professeure d'histoire retraitée de l'Université de Washington, elle est invitée dans un lycée de Varsovie pour témoigner. Mais avant de s'exprimer, elle désire se rendre sur les lieux où tout a commencé et où tout s'est fini pour de nombreux de ses compatriotes. Dès lors, par une succession de petits chapitres, on découvre comment les juifs vivaient dans le ghetto:  la débrouille pour survivre, les menus échanges, les services rendus, les espoirs, souvent incarnés dans la musique, les assassinats sommaires, la saleté, la violence, le manque de tout et ces relations étranges entretenus par les nazis avec le Judenrat, ce comité chargé de "gérer" pour eux le ghetto. Ainsi il y a ceux qui ne veulent pas livrer leur coreligionnaires aux chambres à gaz de Treblinka et qui se suicident, et d'autres qui profitent de leur position de "miliciens" pour sauver leur peau ou faire carrière.

Le dessin est d'une efficacité sans faille et correspond parfaitement au récit fait des événements. On y retrouve des influences expressionnistes incontestables, on y perçoit du Beckmann, du Dix, du Grosz, du Munch, à la fois dans les couleurs, les traits, le traitement des rues déglinguées et la représentation très torturée de certains personnages. Dominées par les teintes grises et brunes, les couleurs confirment  l'ambiance générale au sein de ce quartier muré et surpeuplé. Et quand l'auteur tranche occasionnellement avec le rouge vif, c'est pour faire ressortir les moments d'extrême violence.

Un tel ouvrage ne pourrait se terminer sans la caution scientifique d'un historien. le dossier documentaire final est l'oeuvre de Georges Bensoussan. Il y retrace en trois pages l'histoire du ghetto de Varsovie de 1939 à 1943. Une toute petite partie seulement est consacrée au rassemblement des archives par Ringelblum et son collectif. Celles qui ont été retrouvées jusqu'à présent rassemblent plus de 35000 pages. Il reste encore au moins une boite cachée quelque part. Nul doute que sa découverte pourra peut être un jour  nous renseigner encore plus sur ce qui s'est passé au sein d'un quartier dont il ne reste aujourd'hui plus rien.

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