jeudi 5 janvier 2023

Ersin KARABULUT, Journal inquiet d’Istanbul. Volume 1

 



Ersin KARABULUT, Journal inquiet d’Istanbul. Volume 1,

Dargaud, Paris, 2022.

Traduit par Didier Pasamonik.


Le pas est mal assuré, même plutôt tremblant, quand le jeune Ersin, à peine entré dans l'adolescence, ose pousser pour la première fois la porte de la rédaction d'un des journaux satiriques du quartier branché et moderne de Beyoglu. Il a pourtant baigné depuis de nombreuses années dans le monde du graphisme, du dessin et de la BD, puisqu'il s'est nourri, dès le plus jeune âge, des comics et autres fascicules qu'on jetait aux ordures et qu'ils récupérait.

Auto-abreuvé des héros Marvel ou de Tintin, le garçon s'exerçait au dessin dans l'espoir d'atteindre l'unique objectif de sa vie : devenir dessinateur de presse.

Quelle ne fut pas sa joie quand, pour la première fois, un de ses dessins drôles est accepté et paraît dans les pages d'un hebdomadaire stambouliote. On était encore dans la Turquie de tous les possibles où il était autorisé de boire de l'alcool et de rire de ses dirigeants. Mais ça, c'était avant. Avant la prise du pouvoir des militaires, avant la montée en puissance des nationalistes virulents, des extrémistes politiques ou religieux ou les deux à la fois.

Son père l'avait pourtant prévenu, lui qui avait connu les « années de plomb » turques, lui qui avait vu tant de ses collègues graphistes se faire assassiner, lui qui avait échappé au meurtre. Inquiet, tout comme ce journal, son père lui intima à maintes reprises de mettre un terme précocement à cette carrière devenue d'autant plus dangereuse que Erdoğan est arrivé au pouvoir.

Les pressions s'amplifient, les menaces se multiplient sur ceux qui, tout en critiquant honnêtement un gouvernement de plus en plus autoritaire, ne veulent, par leur plume, qu'en rire et faire des blagues.

Mais les chefs, eux, ne rient pas. Ils agissent violemment, assassinent ou font disparaître ceux qui les égratignent, car rire serait un aveu de faiblesse pour celui qui veut diriger son pays d'une main de fer et qui utilise la religion comme arme de pouvoir.

Ersin a peur. Que doit-il faire ? Poursuivre son engagement ? Quitter le pays ? Ou suivre les sages conseils de son père ? Et il y a ce dessin de trop ? Celui qui fait basculer un destin… On en connait trop bien quelques exemples….


Une magnifique BD autobiographique qui contient un peu de Spiegelman, pour le récit de vie sous une dictature, de Satouff ou de Kichka pour ajouter à cela la naissance d'un artiste. Mais aussi et surtout, c’est un récit unique de par son style très "cartoonesque" et son humour, sorte d’autodérision inquiète. Indispensable pour ouvrir les yeux et les consciences sur ce que peut produire un régime dictatorial sur le monde de la presse et de l’art, ou inversement….





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