Futuropolis, Paris,
2020.
Redonner une histoire et un nom à une victime d'un tueur en
série parce qu’on estime qu’il n’est pas normal qu’elle soit moins connue que
son assassin est une initiative bien trop rare pour ne pas être mise en valeur.
C'est cette idée qu'a eue Franck le Gall, d'autant plus originale que le tueur
en série dont il est question ici est devenu une célébrité parce que justement
on n'a jamais su qui il était vraiment.
Mary Jane Kelly a été la 5e et dernière femme assassinée par
celui qu'on a nommé Jack l'éventreur. Ces femmes furent-elles toutes les victimes
d'un même tueur ? On ne le saura sûrement jamais. La Genèse de ce volume
unique, one-shot de ce qui aurait pu être à la base le dernier chapitre d'une
biographie du tueur de White Chapel, remonte à 30 ans quand le scénariste en
écrit ce qui pouvait en constituer le dernier épisode. Mais la volonté de
mettre en lumière la victime et la rencontre avec le dessinateur Damien
Cuvillier transforment totalement le projet.
Il s’agit de raconter l'histoire de cette femme qui, comme
toutes celles passées sous la lame de l'éventreur, ne fut réduite car la
condition d’une simple prostituée assassinée dans les rues de Londres. Tout
commence au pays de Galles, quand, âgée à peine de 19 ans, Mary Jane doit fuir
sa contrée d'origine après la cruelle mort de son mari dans le coup de grisou
d'une mine de charbon et pour éviter la Charité publique où elle sera soumise à
une vie privée de liberté.
La voilà jetée sur des routes hostiles de l’Angleterre
victorienne, accompagnée de vagabonds qui vivent de petits larcins, ou livrée à
elle-même dans les forêts obscures. C’est finalement dans les bas-fonds
londoniens qu’elle arrive, dans cette Londres en qui elle voue tant d’espoirs
pour refaire sa vie. Mais le désenchantement est brutal, la violence, la
saleté, les dangers sont omniprésents dans ce monstre urbain où coexistent les
plus grandes richesses et la pire des misères. C’est ainsi qu’un soir, elle
rencontre le « Duc de Clarence », qui la nourrit et la met « sous
la protection » de Miss Kate, une mère maquerelle en vue sur la place.
Comme pour pas mal de ses compagnes d’infortune, s’ouvre
pour Mary Jane une terrible période dont elle veut à la fois s’extraire, tout
en se disant qu’elle doit passer par là pour réussir plus tard. C’est dans le
gin qu’elle trouve refuge et noie ses angoisses, son chagrin et le dégout d’être
touchée par ses hommes qu’elle doit satisfaire.
L’idée des auteurs de construire une narration entre
audition de témoins et mise en images de flash-backs installe un beau suspens
et une dynamique efficace. Les paysages dans lesquels évoluent les personnages
sont très représentatifs de ce qu’ont du être ceux de l’époque. Du moins c’est
ainsi qu’on se les imagine. Ils forment le cadre d’une longue, très longue
descente aux enfers d’une jeune fille que rien ne prédestinait au départ à une
si cruelle fin. Plus qu’une simple bande dessinée, on pourrait presque ranger
ce livre sur les rayons des ouvrages de gender studies. Saisissant !
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