dimanche 29 janvier 2023

Frank Le Gall, Damien Cuvillier, Mary Jane, Futuropolis, 2020.

 


Frank LE GALL, Damien CUVILLIER, Mary Jane
Futuropolis, Paris,
2020.

Redonner une histoire et un nom à une victime d'un tueur en série parce qu’on estime qu’il n’est pas normal qu’elle soit moins connue que son assassin est une initiative bien trop rare pour ne pas être mise en valeur. C'est cette idée qu'a eue Franck le Gall, d'autant plus originale que le tueur en série dont il est question ici est devenu une célébrité parce que justement on n'a jamais su qui il était vraiment.

Mary Jane Kelly a été la 5e et dernière femme assassinée par celui qu'on a nommé Jack l'éventreur. Ces femmes furent-elles toutes les victimes d'un même tueur ? On ne le saura sûrement jamais. La Genèse de ce volume unique, one-shot de ce qui aurait pu être à la base le dernier chapitre d'une biographie du tueur de White Chapel, remonte à 30 ans quand le scénariste en écrit ce qui pouvait en constituer le dernier épisode. Mais la volonté de mettre en lumière la victime et la rencontre avec le dessinateur Damien Cuvillier transforment totalement le projet.

Il s’agit de raconter l'histoire de cette femme qui, comme toutes celles passées sous la lame de l'éventreur, ne fut réduite car la condition d’une simple prostituée assassinée dans les rues de Londres. Tout commence au pays de Galles, quand, âgée à peine de 19 ans, Mary Jane doit fuir sa contrée d'origine après la cruelle mort de son mari dans le coup de grisou d'une mine de charbon et pour éviter la Charité publique où elle sera soumise à une vie privée de liberté.

La voilà jetée sur des routes hostiles de l’Angleterre victorienne, accompagnée de vagabonds qui vivent de petits larcins, ou livrée à elle-même dans les forêts obscures. C’est finalement dans les bas-fonds londoniens qu’elle arrive, dans cette Londres en qui elle voue tant d’espoirs pour refaire sa vie. Mais le désenchantement est brutal, la violence, la saleté, les dangers sont omniprésents dans ce monstre urbain où coexistent les plus grandes richesses et la pire des misères. C’est ainsi qu’un soir, elle rencontre le « Duc de Clarence », qui la nourrit et la met « sous la protection » de Miss Kate, une mère maquerelle en vue sur la place.


Comme pour pas mal de ses compagnes d’infortune, s’ouvre pour Mary Jane une terrible période dont elle veut à la fois s’extraire, tout en se disant qu’elle doit passer par là pour réussir plus tard. C’est dans le gin qu’elle trouve refuge et noie ses angoisses, son chagrin et le dégout d’être touchée par ses hommes qu’elle doit satisfaire.

L’idée des auteurs de construire une narration entre audition de témoins et mise en images de flash-backs installe un beau suspens et une dynamique efficace. Les paysages dans lesquels évoluent les personnages sont très représentatifs de ce qu’ont du être ceux de l’époque. Du moins c’est ainsi qu’on se les imagine. Ils forment le cadre d’une longue, très longue descente aux enfers d’une jeune fille que rien ne prédestinait au départ à une si cruelle fin. Plus qu’une simple bande dessinée, on pourrait presque ranger ce livre sur les rayons des ouvrages de gender studies. Saisissant ! 


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