Simon Spurrier (scénario) & Aaron Campbell, Matias Bergara, Tom Fowler et Marcio Takara (dessins), Simon Spurrier présente Hellblazer, collection Vertigo Signatures, Urban Comics, Paris, 2021.
« GREAT STUFF. I'M JOHN - AND I'M A BASTARD. »
Agacé(e)
par la couverture médiatique du décès de la reine Elisabeth II et de l’avènement
de son successeur ? Exaspéré(e) par les émoluments autour de la dernière
saison de la série The Crown sur Netflix ? Ou même gavé(e) par les
méta-manifestes en BD qui appellent à s’indigner encore et encore ? Chère
lectrice, cher lecteur, cet album de 376 pages est fait pour toi !
La série de comics Hellblazer, qui aurait dû s’intituler Hellraiser mais changea de titre pour ne pas être confondue avec les délires cénobitiques d’un certain Clive Barker, raconte les mésaventures de John Constantine. Créé par Alan Moore dans les pages de Swamp Thing, Constantine est, pour citer son créateur, « un sorcier quasiment prolétaire (…) qui venait de la rue, d’origine ouvrière, avec un passé différent des classiques personnages mystiques des comics ». Un working class antihero qui a les traits de Sting, le chanteur du groupe Police, parle avec un fort accent cockney et anime les pages d’une série de comics créée en 1988.
John Constantine est un salopard, un menteur, un arnaqueur et un pauvre type hanté par les regrets, tourments et drames personnels. C’est un fumeur, un buveur de stout et un personnage au langage coloré et grossier ! C’est aussi un sorcier et un anti-héros au cuir épais qui balance sans cesse entre égoïsme et altruisme. Un personnage cynique, enveloppé dans son imperméable fripé et qui tire sur sa cigarette en vous souriant de manière carnassière…
La série Hellblazer a été écrite au fil des ans par de grands auteurs essentiellement britanniques : Jamie Delano, Garth Ennis, Warren Ellis, etc. Dès sa création, le comic-book ausculte et moque le Royaume-Uni thatchérien dans lequel se déchaînent haine raciale, repli identitaire et conservateur, corruption des élites ou crise économique. Le désenchantement de l’ère Tony Blair teinte les comics post-Thatcher. Et jusqu’à aujourd’hui, les équipes créatives en charge des aventures de Constantine ne peuvent s’empêcher de commenter la situation du royaume britannique dans les pages des comics. John Constantine est la voix de ses auteurs. Le regard posé sur le Royaume-Uni est aussi acide qu’acéré depuis les premiers épisodes du comic-book. Ce qui fait le sel de ce comic-book, c'est bien ce regard britannique sur une situation britannique. Ce regard ne vient pas d'en-haut mais bien en-bas parce que tous les scénaristes s'attachent à respecter et perpétuer le caractère prolétaire du personnage de John Constantine.
La série se distingue par son mordant et est l’un des fleurons de la gamme mature de DC Comics, le label Vertigo. Pourtant après une adaptation cinématographique assez vaseuse en 2005 (Keanu Reeves en Constantine, sérieusement ?), une série télévisée pas très inspirée en 2015 ou des errements dans les comics mainstream depuis les années 2011-2012, le personnage avait perdu de son magnétisme et de son mordant si caractéristique.
Simon Spurrier, âgé de 41 ans aujourd’hui, a eu la lourde responsabilité de relancer la série John Constantine : Hellblazer chez DC Comics en 2019. Charge à lui également de redonner à Constantine sa gnaque légendaire. L’auteur renoue fort judicieusement avec les racines punk et contestataires du personnage et de la série Hellblazer. Il tisse une intrigue magique sur le canevas d’un Royaume-Uni travaillé par la crise, le Brexit et les autres joyeusetés du temps présent.
Il propulse le working class antihero dans le Londres des années 2010 finissantes et le confronte aux problématiques du moment. Le Brexit, la montée nouvelle de la xénophobie et des sentiments eurosceptiques les plus radicaux tissent une toile de fond sombre et angoissée. L’enquêteur du paranormal très « années 1980 » se fait jeter hors des pubs des quartiers gentrifiés de la capitale britannique pour ses propos antiroyalistes. Il se fait méchamment remballer par une videuse, lui le mâle blanc macho et fort en gueule. Il rencontre un vétéran des opérations militaires britanniques en Irak, transformé par les expériences de la guerre. Il s’encombre d’un sidekick bobo et végan. Il troque son bon vieux taxi londonien contre une… Smart ? Il enquête sur une histoire de sirène monstrueuse en pleine crise de la pêche. Il met en lumière les mœurs pour le moins douteuses de certains membres de la famille royale.
De manière documentée et précise, Simon Spurrier sonde la société britannique actuelle des bas-fonds où se développent les trafics les plus innommables aux beaux quartiers de Londres où se jouent les intrigues les plus abominables. Les inégalités sociales, la peur ambiante, la défiance envers les médias ou l’Etat, telles sont les thématiques qui prennent beaucoup de place dans ces récits où la magie rencontre la réalité ou des préoccupations très terre à terre. Spurrier en profite également pour confronter son personnage de fiction quelque peu immuable aux mutations des tissus sociaux et géographiques britanniques. Le commentaire de Simon Spurrier est vraiment passionnant et prend le pas sur l’intrigue qui devient un prétexte à l’auscultation d’un pays malade et tourmenté. Ce commentaire ne sombre néanmoins jamais dans le sentencieux, le moralisateur, le pontifiant ou dans le ronflant ! L'argument magique rend encore plus grossiers, fous ou monstrueux les travers de la société britannique actuelle. Et si par le passé, Thatcher ou Blair en prirent pour leur grade, le pauvre Boris Johnson n'est pas épargné...
L’aventure commence de manière cauchemardesque et onirique avec des planches soignées signées Marcio Takara. Le trait sombre et torturé d’Aaron Campbell ainsi que la richesse des compositions de pages et du découpage confèrent à la suite de l’ouvrage une touche poisseuse et agressive qui convient à merveille. Adepte de la ligne claire, passe ton chemin ! Amateur du regretté Kevin O’Neill, viens donc jeter un cil à ce très bel album ! Les chapitres dessinés par Matias Bergara sont plus lumineux et permettent au lecteur de reprendre son souffle avant de replonger dans la peinture acide mais inspirée du Royaume-Uni contemporain.
Seul regret et non des moindres : cet album regroupe les épisodes d’une série annulée par l’éditeur après seulement douze numéros et laisse un goût d’inachevé au lecteur comme à son auteur qui n’a pu aller au bout du bout des pistes narratives explorées… Quel dommage !!!
« THERE
AREN'T ANY GOOD GUYS, AND THERE AREN'T ANY BAD GUYS. THERE'S JUST US. PEOPLE.
DOING OUR BEST TO GET BY. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire