mercredi 30 novembre 2022

Emmanuel Saint-Fuscien, L'école sous le feu


Emmanuel Saint-FuscienL'école sous le feu. Janvier et novembre 2015, Passés/Composés, Paris, 2022.

Les attentats de 2015 ont montré que l'éducation Nationale a failli dans l’une de ses missions, celle de faire comprendre et intégrer les valeurs de la République aux jeunes générations.  Du moins c'est ce qu’on s'est empressé de propager auprès du grand public. Les Frères Kouachi et autres Coulibaly n'étaient-ils pas passés entre les mains du système scolaire français ? N'avaient-ils pas suivi les cours d'éducation civique depuis leur plus jeune âge ? Si… Certainement… Alors c'est bien que leurs professeurs avaient raté leur mission éducative et leur formation citoyenne !

Cette accusation franco-française portée contre le système scolaire est inédite et n’a jamais trouvé d’équivalent dans le reste de l’Europe, pourtant touché par des attentats lui aussi. Elle fut relayée par les médias qui se firent l’écho d'hommes politiques qui, très vite, tentèrent de chercher les coupables à cette faillite mortifère.

La commission parlementaire, constituée pour enquêter et faire la lumière sur les origines d’un tel désastre, accabla les enseignants et leurs encadrants, allant même jusqu’à qualifier de « récidives » terroristes les atteintes aux minutes de silence organisées en hommage aux victimes et imposées dans les établissements quelques heures ou quelques jours après les tueries. Les élèves perturbateurs, devenus presque des profanateurs, ne devinrent, aux yeux de la représentation nationale, que de potentiels futurs terroristes.

Mais a-t-on réellement compris ce qui se passait alors dans les classes au lendemain des attentats ? Quelles furent exactement les relations entre les élèves et leurs professeurs pendant ces moments délicats, où chacun dut, à la hauteur de ses capacités, de ses compétences et de sa formation, prendre en charge une situation pédagogique pour laquelle il n'était pas prêt

Ce que montre Emmanuel Saint-Fuscien, professeur à l'EHESS, c'est que tout n'a pas été aussi noir qu'on a bien voulu le dire. A partir d’une enquête réalisée auprès d’enseignants du premier et du second degré, et de leurs élèves, dans des établissements plus ou moins proches des lieux des crimes, il tente de montrer l’impact des terribles évènements de janvier et novembre 2015 sur une communauté scolaire qui dut faire face, malgré elle, à des actes d’une extrême violence.

Le chercheur explique que ces accusations ne sont pas nouvelles, car déjà, lors des 2 guerres mondiales, on accusait l'école de ne pas avoir réussi à former d’aussi bons citoyens qu'on espérait, fiers de leur pays et porteurs de ses valeurs. Il met aussi en lumière les sentiments et ressentis de tous les acteurs qui ont été confrontés à ces événements, souvent choqués, parfois incompris où indifférents voire ignorants ou dépassés.

Mais au final, un espoir se dégage de ces jours si sombres, et c'est aussi et surement la leçon qu’il faut en tirer. Effectivement, dans leur grande majorité, les enseignants ont su s’approprier de nouvelles ressources pour traiter au mieux ces sujets d'histoire immédiate si sensibles et ont réussi, pour la plupart, à susciter l'intérêt de leurs élèves, démontrant ainsi leur rôle essentiel et indispensable pour répondre aux interrogations sur une actualité guerrière en proie aux méfaits des fake news et des théories conspirationnistes. On s’est parlé dans les salles de classe, même là où le discours était compliqué, ou rompu depuis trop longtemps.

Tout n’est bien sûr pas rose et il reste du travail à faire, surtout à une époque où Daesh légitime le meurtre de ceux qui éveillent les consciences et l’esprit critique des générations futures. Il reste encore du travail pour inculquer les enjeux d'une laïcité et d'une liberté d'expression souvent incomprises ou mal définies. Il reste du travail surtout pour combattre les fanatiques qui instaurent la peur et qui tentent, par la terreur, de museler les humanistes et ceux qui ont foi en les valeurs de la République.


 

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