Les attentats de 2015 ont montré que l'éducation Nationale a
failli dans l’une de ses missions, celle de faire comprendre et intégrer les
valeurs de la République aux jeunes générations. Du moins c'est ce qu’on s'est empressé de propager
auprès du grand public. Les Frères Kouachi et autres Coulibaly n'étaient-ils
pas passés entre les mains du système scolaire français ? N'avaient-ils
pas suivi les cours d'éducation civique depuis leur plus jeune âge ? Si… Certainement…
Alors c'est bien que leurs professeurs avaient raté leur mission éducative et
leur formation citoyenne !
Cette accusation franco-française portée contre le système
scolaire est inédite et n’a jamais trouvé d’équivalent dans le reste de
l’Europe, pourtant touché par des attentats lui aussi. Elle fut relayée par les
médias qui se firent l’écho d'hommes politiques qui, très vite, tentèrent de
chercher les coupables à cette faillite mortifère.
La commission parlementaire, constituée pour enquêter et
faire la lumière sur les origines d’un tel désastre, accabla les enseignants et
leurs encadrants, allant même jusqu’à qualifier de « récidives » terroristes
les atteintes aux minutes de silence organisées en hommage aux victimes et
imposées dans les établissements quelques heures ou quelques jours après les
tueries. Les élèves perturbateurs, devenus presque des profanateurs, ne
devinrent, aux yeux de la représentation nationale, que de potentiels futurs
terroristes.
Mais a-t-on réellement compris ce qui se passait alors dans
les classes au lendemain des attentats ? Quelles furent exactement les
relations entre les élèves et leurs professeurs pendant ces moments délicats,
où chacun dut, à la hauteur de ses capacités, de ses compétences et de sa
formation, prendre en charge une situation pédagogique pour laquelle il n'était
pas prêt
Ce que montre Emmanuel Saint-Fuscien, professeur à l'EHESS,
c'est que tout n'a pas été aussi noir qu'on a bien voulu le dire. A partir
d’une enquête réalisée auprès d’enseignants du premier et du second degré, et
de leurs élèves, dans des établissements plus ou moins proches des lieux des
crimes, il tente de montrer l’impact des terribles évènements de janvier et
novembre 2015 sur une communauté scolaire qui dut faire face, malgré elle, à
des actes d’une extrême violence.
Le chercheur explique que ces accusations ne sont pas
nouvelles, car déjà, lors des 2 guerres mondiales, on accusait l'école de ne
pas avoir réussi à former d’aussi bons citoyens qu'on espérait, fiers de leur
pays et porteurs de ses valeurs. Il met aussi en lumière les sentiments et
ressentis de tous les acteurs qui ont été confrontés à ces événements, souvent
choqués, parfois incompris où indifférents voire ignorants ou dépassés.
Mais au final, un espoir se dégage de ces jours si sombres, et
c'est aussi et surement la leçon qu’il faut en tirer. Effectivement, dans leur
grande majorité, les enseignants ont su s’approprier de nouvelles ressources
pour traiter au mieux ces sujets d'histoire immédiate si sensibles et ont
réussi, pour la plupart, à susciter l'intérêt de leurs élèves, démontrant ainsi
leur rôle essentiel et indispensable pour répondre aux interrogations sur une actualité
guerrière en proie aux méfaits des fake news et des théories conspirationnistes.
On s’est parlé dans les salles de classe, même là où le discours était
compliqué, ou rompu depuis trop longtemps.
Tout n’est bien sûr pas rose et il reste du travail à faire,
surtout à une époque où Daesh légitime le meurtre de ceux qui éveillent les
consciences et l’esprit critique des générations futures. Il reste encore du
travail pour inculquer les enjeux d'une laïcité et d'une liberté d'expression
souvent incomprises ou mal définies. Il reste du travail surtout pour combattre
les fanatiques qui instaurent la peur et qui tentent, par la terreur, de
museler les humanistes et ceux qui ont foi en les valeurs de la République.
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