Spirou dans la tourmente de la Shoah
Exposition temporaire au Mémorial de la Shoah, Paris
Du 9 décembre 2022 au 30 août 2023
Entrée gratuite
Il y avait du monde ce jeudi 08 décembre 2022 au Mémorial,
et même du beau monde puisque la ministre Isabelle Rome était présente. Et pour
cause, on inaugurait la formidable exposition « Spirou dans la tourmente
de la Shoah » qui s’y tiendra jusqu’au 30 août 2023.
Une multitude de documents permet de compléter et de
contextualiser la non moins excellente tétralogie L’espoir malgré tout sur
laquelle travaille Emile Bravo depuis plus d’une décennie. Celle-ci s’est terminée
cette année en apothéose avec le quatrième et dernier tome qui révèle au grand
public l’identité de Felix et qui montre ainsi que cette bande dessinée n’est
pas un simple récit conté à ses lecteurs, mais bien une œuvre majeure de
transmission de l’Histoire et de la mémoire, « jamais revue depuis Maus de
Spiegelman », comme l’explique Didier Pasamonik lors de son discours
devant la presse.
Les deux commissaires, Caroline François, responsable des expositions itinérantes au Mémorial de la Shoah, et Didier Pasamonik, éditeur, journaliste et directeur du site Actua BD, se sont entourés d’historiens et de pédagogues, pour mettre en œuvre cet outil indispensable, à une époque où les derniers témoins des tragiques évènements de la Seconde Guerre mondiale disparaissent.
En même temps qu’ils rassemblaient les documents historiques
et les planches originales d’Emile Bravo, ces deux infatigables travailleurs
ont poursuivi les recherches afin de mettre à jour le plus précisément possible
les connaissances sur la Belgique occupée, la Résistance, l’histoire de Spirou
pendant la guerre et celle du couple Nussbaum/Platek. Ainsi le visiteur profane
pourra découvrir énormément d’informations sur la période et l’œuvre d’Emile
Bravo et sur le journal de Spirou, alors que l’initié pourra y approfondir ses
connaissances par des nouveautés totalement inédites.
Au chapitre des nouvelles recherches justement, citons-en
deux particulièrement importantes. En premier lieu, on nous renseigne sur le
rôle joué dans la Résistance par Jean Doisy, alors rédacteur en chef du Journal
de Spirou et qui profite de la création du Théâtre du Farfadet pour couvrir les
actes d’opposition contre l’Occupant. Ensuite, c’est le tragique destin du couple
d’artiste Felix Nussbaum et Felka Platek qui est particulièrement mis en valeur
afin de poursuivre le récit initié par Emile Bravo dans L’Espoir malgré tout.
Grands et petits peuvent ainsi cheminer à travers l’histoire
de l’invasion de la Belgique et de l’occupation du pays par les forces nazies. Ils
s’arrêtent avec étonnement devant les panneaux qui évoquent la collaboration et
les mouvements pro-nazis qui naissent, avant de se retourner, subjugués, devant
une reconstitution époustouflante du théâtre de marionnettes, garnies des
personnages originaux. Après avoir traversés un couloir étroit et oppressant
consacré à la déportation, les visiteurs entrent alors dans une seconde salle, happés
par la vision du tableau qu’ils aperçoivent en perspective dans le fond :
le portrait de Madame Etienne par Felka Platek. Mais avant d’accéder aux toiles
des artistes assassinés par les nazis, c’est du rapport Victor Martin, ce
sociologue envoyé à Auschwitz pour y enquêter, dont il est question.
Personne ne reste indifférent devant les œuvres originales de
Felix Nussbaum et de son épouse. L’humanité, la force et parfois l’angoisse qui
s’en dégagent ne peuvent que troubler les spectateurs, d’autant plus s’ils ont lu
la tétralogie d’Emile Bravo, qu’ils en ont reconnu les peintures et qu’ils
connaissent l’issue tragique du destin des deux artistes.
Alors, chargé d’émotion, chacun pourra constater que la
bande dessinée pendant la guerre, que ce soit en France ou en Belgique occupées,
a pu, elle aussi, servir la propagande collaborationniste. Tintin, pour nommer
le plus connu des héros, mais bien d’autres aussi, ont diffusé les stéréotypes
antisémites et racistes qui ont mené à la catastrophe que l’on connait.
Le travail et l’œuvre d’Emile Bravo sont parfaitement mis en
valeur, à la fois par une muséographie réfléchie, efficace et parfaitement
adaptée, et par tout un ensemble de travaux préparatoires, d’esquisses, de
planches originales et d’interviews qui sont proposés aux visiteurs. On y
perçoit parfaitement les intentions pédagogiques de l’auteur, ainsi que les
raisons de son attachement particulier à la période, faisant taire ainsi tous
les éventuels détracteurs à ce travail de titan qu’il a produit.
Ça foisonne, c’est énorme, c’est très complet. Tout comme le
lecteur attentif découvre quelque chose de nouveau qu’il a manqué à la
relecture de chaque tome de la tétralogie, le visiteur qui reviendra au
Mémorial découvrira à coup sûr un nouveau détail qu’il avait raté lors de sa
précédente visite.
Spirou est intemporel, Emile Bravo s’adresse à un jeune
public, mais pas seulement. Tout le monde y trouvera son compte. C’est d’ailleurs
la première fois que le Mémorial crée un parcours famille pour une exposition
sur un sujet aussi important. Un livret pédagogique/réflexif est mis à
disposition en ce sens et permettra aux jeunes visiteurs d’entrer dans l’exposition
et d’échanger avec leurs accompagnateurs, tout en se posant des questions sur eux-mêmes et leurs propres actes ou pensées.
Comme si l’ensemble n’était pas suffisant, un catalogue parachève
le tout. Il met en lumière de façon encore plus précise certains des thèmes
traités dans l’exposition, tout en proposant d’autres documents. Mais de cet
objet, nous vous en parlerons bientôt…
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