lundi 19 décembre 2022

Spirou dans la tourmente de la Shoah

 


Spirou dans la tourmente de la Shoah

Exposition temporaire au Mémorial de la Shoah, Paris

Du 9 décembre 2022 au 30 août 2023

Entrée gratuite

Il y avait du monde ce jeudi 08 décembre 2022 au Mémorial, et même du beau monde puisque la ministre Isabelle Rome était présente. Et pour cause, on inaugurait la formidable exposition « Spirou dans la tourmente de la Shoah » qui s’y tiendra jusqu’au 30 août 2023.

Une multitude de documents permet de compléter et de contextualiser la non moins excellente tétralogie L’espoir malgré tout sur laquelle travaille Emile Bravo depuis plus d’une décennie. Celle-ci s’est terminée cette année en apothéose avec le quatrième et dernier tome qui révèle au grand public l’identité de Felix et qui montre ainsi que cette bande dessinée n’est pas un simple récit conté à ses lecteurs, mais bien une œuvre majeure de transmission de l’Histoire et de la mémoire, « jamais revue depuis Maus de Spiegelman », comme l’explique Didier Pasamonik lors de son discours devant la presse.

Les deux commissaires, Caroline François, responsable des expositions itinérantes au Mémorial de la Shoah, et Didier Pasamonik, éditeur, journaliste et directeur du site Actua BD, se sont entourés d’historiens et de pédagogues, pour mettre en œuvre cet outil indispensable, à une époque où les derniers témoins des tragiques évènements de la Seconde Guerre mondiale disparaissent.

En même temps qu’ils rassemblaient les documents historiques et les planches originales d’Emile Bravo, ces deux infatigables travailleurs ont poursuivi les recherches afin de mettre à jour le plus précisément possible les connaissances sur la Belgique occupée, la Résistance, l’histoire de Spirou pendant la guerre et celle du couple Nussbaum/Platek. Ainsi le visiteur profane pourra découvrir énormément d’informations sur la période et l’œuvre d’Emile Bravo et sur le journal de Spirou, alors que l’initié pourra y approfondir ses connaissances par des nouveautés totalement inédites.

Au chapitre des nouvelles recherches justement, citons-en deux particulièrement importantes. En premier lieu, on nous renseigne sur le rôle joué dans la Résistance par Jean Doisy, alors rédacteur en chef du Journal de Spirou et qui profite de la création du Théâtre du Farfadet pour couvrir les actes d’opposition contre l’Occupant. Ensuite, c’est le tragique destin du couple d’artiste Felix Nussbaum et Felka Platek qui est particulièrement mis en valeur afin de poursuivre le récit initié par Emile Bravo dans L’Espoir malgré tout.

Grands et petits peuvent ainsi cheminer à travers l’histoire de l’invasion de la Belgique et de l’occupation du pays par les forces nazies. Ils s’arrêtent avec étonnement devant les panneaux qui évoquent la collaboration et les mouvements pro-nazis qui naissent, avant de se retourner, subjugués, devant une reconstitution époustouflante du théâtre de marionnettes, garnies des personnages originaux. Après avoir traversés un couloir étroit et oppressant consacré à la déportation, les visiteurs entrent alors dans une seconde salle, happés par la vision du tableau qu’ils aperçoivent en perspective dans le fond : le portrait de Madame Etienne par Felka Platek. Mais avant d’accéder aux toiles des artistes assassinés par les nazis, c’est du rapport Victor Martin, ce sociologue envoyé à Auschwitz pour y enquêter, dont il est question.

Personne ne reste indifférent devant les œuvres originales de Felix Nussbaum et de son épouse. L’humanité, la force et parfois l’angoisse qui s’en dégagent ne peuvent que troubler les spectateurs, d’autant plus s’ils ont lu la tétralogie d’Emile Bravo, qu’ils en ont reconnu les peintures et qu’ils connaissent l’issue tragique du destin des deux artistes.

Alors, chargé d’émotion, chacun pourra constater que la bande dessinée pendant la guerre, que ce soit en France ou en Belgique occupées, a pu, elle aussi, servir la propagande collaborationniste. Tintin, pour nommer le plus connu des héros, mais bien d’autres aussi, ont diffusé les stéréotypes antisémites et racistes qui ont mené à la catastrophe que l’on connait.

Le travail et l’œuvre d’Emile Bravo sont parfaitement mis en valeur, à la fois par une muséographie réfléchie, efficace et parfaitement adaptée, et par tout un ensemble de travaux préparatoires, d’esquisses, de planches originales et d’interviews qui sont proposés aux visiteurs. On y perçoit parfaitement les intentions pédagogiques de l’auteur, ainsi que les raisons de son attachement particulier à la période, faisant taire ainsi tous les éventuels détracteurs à ce travail de titan qu’il a produit.

Ça foisonne, c’est énorme, c’est très complet. Tout comme le lecteur attentif découvre quelque chose de nouveau qu’il a manqué à la relecture de chaque tome de la tétralogie, le visiteur qui reviendra au Mémorial découvrira à coup sûr un nouveau détail qu’il avait raté lors de sa précédente visite.

Spirou est intemporel, Emile Bravo s’adresse à un jeune public, mais pas seulement. Tout le monde y trouvera son compte. C’est d’ailleurs la première fois que le Mémorial crée un parcours famille pour une exposition sur un sujet aussi important. Un livret pédagogique/réflexif est mis à disposition en ce sens et permettra aux jeunes visiteurs d’entrer dans l’exposition et d’échanger avec leurs accompagnateurs, tout en se posant des questions sur eux-mêmes et leurs propres actes ou pensées.

Comme si l’ensemble n’était pas suffisant, un catalogue parachève le tout. Il met en lumière de façon encore plus précise certains des thèmes traités dans l’exposition, tout en proposant d’autres documents. Mais de cet objet, nous vous en parlerons bientôt…


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