Rick Remender (scénario) et Sean Murphy (dessin), Tokyo Ghost, Urban Comics, Paris, 2016-2017 (série complète en 2 volumes).
Archipel de Los Angeles, 2089 :
L'humanité est devenue totalement accro à la technologie.
Créer le « buzz » est désormais l'unique motivation d'une population tenue dans une dépendance virtuelle et asservie par un « gouvernement » ouvertement criminel.
Et vers qui se tourner lorsqu’il s’agit peut-être de sauver le monde de sa perdition à son corps défendant ? Led Dent et Debbie Decay, deux superflics et deux amants envoyés en plein cœur des jardins de Tokyo, bien au-delà de l'influence de leurs commanditaires criminels.
Trouveront-ils à Tokyo la menace planétaire qu’on les envoie éliminer ou trouveront-ils autre chose ? Une chose que l’Humanité a totalement perdue de vue ? Comme l’espoir par exemple ?
Ce récit d’anticipation ébouriffant est né d’un constat simple du scénariste Rick Remender : nous sommes déjà très accros à la technologie (portables, tablettes et autres gadgets connectés), que se passerait-il si nous ne pouvions plus nous passer d’elle ? Que se passerait-il si nous nous laissions complètement submerger et dévorer par notre mignonne addiction à la technologie ? Jusqu’à quel point y perdrions-nous notre si fragile et précieuse humanité ?
Rick Remender et Sean Murphy brossent le portrait d’une humanité future décrépite et hors de contrôle. Le pouvoir politique est passé aux mains des multinationales. L’urbanisation totalement incontrôlable se traduit par l’explosion littérale de métropoles cauchemardesques à la surface de la planète. Une écrasante majorité de la population « connectée » et « augmentée » se vautre dans une « non-vie » virtuelle où la pornographie, la cruauté et les plus viles bassesses règnent en maîtresses…
Un bien sombre futur... Un futur qui, sans être immédiat, questionne notre présent et nos marottes technologiques, les valeurs des sociétés humaines, etc. .
Quelle place reste-t-il pour l’Homme sur une planète sauvagement globalisée ? Et à ne pas s’y trompé, le duo de créateurs se fend d’une analyse et d’une critique de la mondialisation en extrapolant et projetant l’humanité dans un avenir infernal.
En 280 pages bien tassées et pleines de rebondissements, retournements de situation, émotions et réflexions, le scénariste et l’artiste rudoient leurs lecteurs.
Sur ce monde futur terrifiant plane l’ombre de William Gibson, l’un des pères fondateurs du cyber-punk. Les dessins toujours très détaillés et dynamiques de Sean Murphy font irrémédiablement penser à Otomo et son Akira tout aussi futuriste et inquiétant. Un zeste de cinéphilie nostalgique référentielle est convoquée et le lecteur est en droit de songer au nihiliste héros « carpentérien » par excellence qu’est Snake Plissken, non-héros sauveur ou fossoyeur de l’humanité future…
Mais outre l’énergie et la charge furieuse du dessinateur et du scénariste contre l’omniprésence des technologies, la toute-puissance des multinationales et l’abrutissement des masses par les divertissements, il se dégage de cette histoire une grande poésie.
Le lecteur entre dans le récit en suivant Debbie Decay, héroïne très humaine et absolument non-connectée. A la différence des autres, cette jeune-femme n’est pas accro à la technologie et s’en méfie même. Debbie tente de sauver Led Dent, son partenaire et l’homme de sa vie de ses démons virtuels et technologiques. Tout au long du récit, elle se remémore son passé, le passé de son amant. Des jours parfois heureux, parfois tristes. Debbie est la preuve et l’incarnation fragile d’une humanité qui ne peut être étouffée, biffée, écrasée par la technologie ou les multinationales malveillantes toutes puissantes. La trajectoire de Debbie et de Led est proprement bouleversante.
Cette bande-dessinée a du cœur et suggère aux lecteurs, qu’au cœur des ténèbres d’un monde futur en perpétuelle apocalypse, l’espoir demeure et l’amour est plus fort que tout.
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