samedi 29 mai 2021

Andrzej Zulawski (réalisation) et Frederic Tuten (scénario), Possession, Le Chat qui fume, Paris 2021.


 

Andrzej Zulawski (réalisation) et Frederic Tuten (scénario), Possession, Le Chat qui fume, Paris 2021.

El sueño de la razon produce monstruos…

Rares sont les films d’horreur à avoir été présentés en compétition officielle au Festival de Cannes. Possession est du nombre et il s’agit d’un film qui ne peut laisser indifférent.

Ce récit halluciné et hallucinant met en scène un couple au bord de l’explosion dans le Berlin divisé par LE Mur du début des années 1980. Marc, époux trahi et trompé par Anna, s’en va enquêter sur l’identité de l’amant de sa femme. Et au fil de l’enquête, il découvre qu’Anna entretient une liaison avec une chose monstrueuse, une créature échappée d’un texte de Lovecraft…

Zulawski ne s’en est jamais caché : Possession est pour lui une manière d’aborder et d’exorciser une double expérience traumatique. Un traumatisme professionnel d’abord : l’arrêt du tournage de sa grande œuvre de science-fiction Sur le Globe d’argent par les autorités polonaises. Un traumatisme personnel ensuite : la séparation d’avec sa compagne, Malgorzata Braunek. Les multiples frustrations et tourments du cinéaste alimentent ce grand film malade qui, s’il n’a pas trouvé son public en 1981, a depuis trouvé sa place dans le cœur de cinéphiles amateurs d’horreur graphique et de récits malaisants.

A travers les errements des deux personnages principaux, le cinéaste aborde sans détour le mal-être de la séparation en se permettant tous les excès : crises d’hystérie, vomissements, scènes de ménage, etc. Il met en scène l’éclatement d’un couple formé par Isabelle Adjani et Sam Neill qui tous les deux livrent une prestation maladive et hallucinée. Cet aspect de l’histoire est particulièrement violent et saisissant.

Mais derrière le récit de cette séparation, qui se pare des atours d’une horreur graphique dérangeante et perturbante, Zulawski se sert du cadre de son récit, le Berlin de la Guerre Froide, pour régler ses comptes avec le régime communiste qui a encore la mainmise sur les pays du Bloc de l’Est.

Le réalisateur plante sa caméra au pied du mur de Berlin. Le quartier de Kreuzberg, le Mur, le film est fermement ancré dans le réel. La séparation de la ville et du monde en deux blocs antagonistes contamine le couple de protagonistes. Le titre du film, Possession, peut renvoyer à l’état de transe dans lequel est Anna qui succombe à l’attirance d’une créature démoniaque. Ce titre et cette histoire de corruption est aussi pour Zulawski une métaphore transparente du système communiste mauvais, cruel, inhumain et dévastateur qui broie la vie et la pensée des gens. Et plutôt que de filmer les tensions Est-Ouest à hauteur des Nations ou des Blocs, le réalisateur place sa caméra à hauteur d'homme et montre les dégâts causés par la Guerre Froide sur les individus. Saisissante perspective !

Le réalisateur a toujours été clair sur ses intentions. Il entend toucher du bout de sa caméra le processus de déshumanisation des individus dans le système totalitaire soviétique. Il se sert du cadre géographique comme d’un miroir qui ne cesse de renvoyer au héros l’image de son couple en train d’exploser et de se séparer. La paranoïa du personnage de Sam Neill, les intérieurs étouffants filmés par une caméra extrêmement mobile et fluide, la colorimétrie cafardeuse, les éclairages blafards… Tout le film suinte le malaise et la monstruosité. La contamination du mal communiste se manifeste dans le jeu halluciné des acteurs comme dans les détritus qui envahissent peu à peu les décors extérieurs et intérieurs. Vidés de leur humanité, broyés par le système totalitaire, Marc et Anna sombrent dans une trame narrative cauchemardesque qui marie pessimisme, sang, vomi et sexe poisseux…

Œuvre hautement autobiographique et aux divers niveaux de lecture qui se recoupent et se superposent, Possession mérite d’être redécouvert dans la sublime édition concoctée par l’éditeur parisien Le Chat qui Fume. Outre la copie restaurée du film, le superbe coffret propose une pléthore de bonus : le CD de la bande originale du film, plus de huit heures de suppléments qui abordent la production du film, son analyse et son impact et un ouvrage de 270 pages (Une histoire orale signé Matthieu Rostac et François Cau) qui collecte témoignages et propos sur ou de Zulawski et balaie toute la filmographie du cinéaste.

En compétition à Cannes face à L’Homme de Fer de Wajda, le film de Zulawski s’incline. Les deux œuvres parlent de ce qui se passe derrière le Rideau de Fer au début des années 1980. Possession est un film trop horrifique et dérangeant pour le public et la critique habitués au cinéma d’auteur et bien trop « auteurisant » pour le public et la critique du cinéma de genre. Même si le présent métrage peut se regarder comme le pendant d’authentiques films de genre comme Chromosome 3 de David Cronenberg, Le Locataire de Roman Polanski ou les délires pelliculés de Ken Russell ! C’est bien son caractère hybride et malade qui rend fascinante cette œuvre originale et très personnelle et fait que le film de Wajda est aujourd’hui un peu oublié mais pas celui de Zulawski !

Dans la foule de bonus proposés, on prendra le temps de visionner ceux qui abordent le montage alternatif du film diffusé à la télévision américaine. En dépit du propos anti-communiste entrant en résonnance avec l’ère Reagan, le film a été lourdement remonté et redoublé pour en faire un simple film de possession satanique avec voix démoniaques et jumping scares habituels… Ces quelques modules sont assez éclairants sur l’accueil et la diffusion des films de genre dans le contexte de la Guerre Froide finissante. Au Royaume-Uni, on se rappellera que le film a été inscrit sur l’infâme liste des « video nasties » par le British Board of Film Classification. Voici donc le travail de Zulawski rangé aux côtés des chef-d’œuvres du cinéma vomitif que sont Anthropophagous, Cannibal Ferox, Cannibal Holocaust, SS Experiment Camp ou nombre de métrages signés Lucio Fulci. Hé oui ! Très ironiquement, le cinéaste, excédé par ses déboires avec la censure du régime communiste polonais, se retrouve en délicatesse avec la censure du prétendu Monde Libre…

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