Jack Kirby (scénario et dessin), O.M.A.C., Urban Comics, Paris, 2014.
De manière générale et avec une condescendance polie, les lecteurs oublient que Jack Kirby était un artiste à l’engagement incontestable. Le personnage de Captain America, qu’il a dessiné et créé avec Joe Simon en 1941, en est l’exemple le plus manifeste !
Ce super-héros habillé de pied en cape (même s’il n’en porte pas de cape) dans la bannière étoilée qui envoie, sur la couverture du premier numéro de ses aventures, son poing dans la figure d’Adolf Hitler est un vibrant appel à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne Nazie dès mars 1941.
Kirby, de son vrai nom Jacob Kurtzberg, et Simon, de son vrai nom Hymie Simon, sont deux jeunes gens issus de l’immigration européenne qui cherchent à percer dans l’industrie des comics du début des années 1940. Ils sont aussi concernés par la Seconde Guerre Mondiale et la situation politique européenne du début des années 1940. Les comics sont une manière comme une autre d’exprimer leurs craintes quant à la domination nazie sur une bonne partie de l’Europe.
Dans l’éditorial du premier épisode de la série O.M.A.C. publié en octobre 1974, Jack Kirby fait la démonstration de son engagement en tant qu’auteur et dessinateur mais aussi en tant que père de famille :
« A quel point le Monde qui nous attend est-il éloigné, différent du nôtre ? Si vous êtes un péquin moyen comme moi, sans cette nécessité de gloser à l’infini ou de trouver le ‘sens profond derrière toute chose’ qui caractérise les universitaires, vous devez sans doute avoir conscience que les graines de ce que nous réserve l’avenir poussent en ce moment au fond de nos jardins. Et honnêtement, il faut bien avouer que parmi toute cette flore, les boutons les plus repoussants ne donneront certainement pas les plus belles roses. C’est le thème même d’O.M.A.C. : la maîtrise et le contrôle de l’extraordinaire devenu ordinaire. (…) Lisez O.M.A.C.. Cela vous donnera un avant-goût de cette Humanité à la veille de tous ces grands bouleversements. Pour le meilleur… ou pour le pire ? »
Il faut bien reconnaître que ces mots emprunts d’humilité de Jack Kirby sont pour le moins intrigants.
Et il faut bien reconnaître aussi que le présent album de 192 pages est pour le moins intrigant si ce n’est dérangeant !
L’histoire tourne autour de Buddy Blank (rebaptisé Otto Ordinaire dans la version française !). Dans un futur proche, ce petit employé très ordinaire est transformé contre son gré et lors d’une « opération informatique-hormonale faite par télécommande » (sic !) en super-soldat appelé One Man Army Corp (Organisme Métamorphosé en Armée Condensée ou en bref : O.M.A.C.) par une mystérieuse organisation, la Global Peace Agency (Agence Globale pour la Paix).
Il devient un guerrier redoutable, doté de super-pouvoirs et d’une magnifique crête de cheveux coiffée à l’Iroquoise ( ?). Il évolue dans un monde futur menacé par la déshumanisation et les manœuvres pas très catholiques de « méchants » incarnant les pires dérives du complexe militaro-industriel...
Vue comme cela, la série semble être une version futuriste et un brin pessimiste (ou punk ?) du Captain America. Et elle pourrait aussi être un joyeux fourre-tout, ce qu’elle est un peu en vérité !
Mais la série est autrement plus stupéfiante et surprenante ! Jugez-en plutôt par les premières pages proprement hallucinantes du récit : le héros fait irruption dans une usine de « monte-ton-amies ». Hein ? Quoi ? Oui oui des espèces de « sex-dolls » en kit, c’est-à-dire, sous le crayon de Jack Kirby, des femmes artificielles en morceaux et en boites !
Le lecteur fait ensuite connaissance avec les agents de l’Agence Globale pour la Paix) dissimulés derrière des masques oranges gommant toute identité et toute inégalité. Un satellite-espion appelé « l’œil » fournit au héros super-puissance et informations. Un grand méchant Mister Big, des milliardaires vieillissant kidnappant de belles jeunes gens pour y faire transplanter leur cerveau dérangé et malade, etc. …
Sentant la fin de son contrat imminente chez DC Comics, le « King » des comics se lâche !
Jack Kirby s’essaie à l’anticipation prophétique et imagine les Etats-Unis tombées aux mains d’un milliardaire maléfique (Donald Trump ??? Il est roux sur la couverture du deuxième numéro du comic !), Etats-Unis complètement corrompus par une industrie des loisirs et des divertissements toute-puissante, etc., etc. …
Le scénariste et dessinateur s’inscrit dans le courant de la science-fiction anglo-saxonne qui portera sur les écrans des métrages comme « Soleil vert », « Rollerball ». De manière assez étonnante et décapante, il anticipe sur des thématiques développées dans « Robocop » dans la décennie suivante (lavage de cerveau, robotique, etc.) ou plus récemment dans « Get Out »…
Ce comic n’est guère inintéressant !
Sans trop de surprise le succès ne fut pas au rendez-vous tant cette bande-dessinée est curieuse dans le paysage des comics des années 1970. Le lecteur peut également imaginer les haussements de sourcils des éditeurs, censeurs et autres âmes bien pensantes à la vue de ces « monte-ton-amies » qui apparaissent dès le premier épisode !
Le récit se termine d’ailleurs en queue de poisson : OMAC disparaît et le satellite-espion « l’Oeil » explose !!!
Jack Kirby prenait-il de la drogue ? Non, sans doute pas. Etait-il inquiet pour l’avenir et pour ses enfants ? Oui, très certainement. Avait-il une imagination débordante ? Absolument !!! Et dans cette bande-dessinée « bizarre » et amusante, il la laisse déborder plus que de raison et s’interroge sur les dérives technologiques, les prémices de la mondialisation, la militarisation…
Après l’arrêt de cette série, l’artiste retourne chez Marvel Comics, où il livrera quelques séries bien… « inspirées » dans lesquelles il explorera les dimensions mythologico-science-fictionnelles des mythologies post-modernes. Rien de comparable à cet « OMAC » sorti tout armé et coiffé à l’Iroquoise de son esprit !
A lire ou relire le sourire aux lèvres et l’esprit ouvert !
Qui a dit « aware » ???
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