John Wagner (scénario) et Colin Mac Neil (dessin), Judge Dredd : démocratie, éditions Délirium, Nogent-sur-Marne, 2018.
« Ceci est une histoire d’amour. »
Tels sont les mots de John Wagner que l’on peut lire à la page trois de ce recueil essentiel et de ce chef-d’œuvre subversif de la bande-dessinée britannique publiée initialement au début des années 1990.
Difficile de croire que ce récit d’anticipation aux allures de sombre fable ironique et critique est avant tout une histoire d’amour et pourtant…
Petit rappel « for those who come in late » : Le futur, Judge Dredd est l’un des impitoyables juges, vivantes incarnations de la loi, dans l’infernale mégalopole Méga-City One. Dans cette ville surpeuplée et au bord de l’explosion, Dredd est l’un des garants de l’ordre qui juge, condamne et punit sommairement tous les crimes commis à l’encontre d’un régime totalitaire tout-puissant.
Le personnage de Judge Dredd est une bien curieuse création des punks de la revue 2000 AD. S’il est populaire auprès d’un certain lectorat britannique, Dredd s’est plutôt très mal exporté dans le monde.
Disons-le d’emblée : le Dredd de cet album n’a absolument rien à voir avec celui campé par Sylvester Stallone dans une adaptation cinématographique de sinistre mémoire, adaptation qui se doit de rester une boursouflure cinématographique de plus dans le navrant paysage des blockbusters américains des années 1990.
Alan Grant, qui a écrit de nombreuses aventures du Judge Dredd, ne s’en est jamais caché : la principale source d’inspiration pour ce personnage est Margareth Thatcher. John Wagner, qui a créé le personnage et qui a scénarisé le présent récit, a toujours affirmé que très loin d’être un super-héros, Dredd est un super-vilain. Pour Colin Mac Neil, le Judge Dredd est un brave type avec de beaux principes qui obéit et sert un régime fasciste, ce qui en fait un fasciste pur jus.
Dredd n’est ni super, ni héros. Dredd est une critique ambulante du super-héros. Dredd est la réponse et le point de vue britannique sur ces supermen trop puissants qui animent joyeusement les comics depuis la fin des années 1930.
Dans les épisodes compilés de ce bel album, John Wagner et Colin Mac Neil livrent sans conteste l’une des aventures les plus politiques du Judge Dredd.
Sous
la forme de flashbacks, le récit raconte le destin tragique de la jeune
America, une jeune-femme en révolte contre la dictature de Méga-City One.
Eprise de liberté et de démocratie, America devient une activiste et une
terroriste luttant pour la démocratie.
Au fil de ses mésaventures, elle croise
et re-croise le jeune Benny, fou amoureux d’elle. Mais le cœur d’America n’est
plus à prendre : elle est complètement dévouée à la démocratie qu’elle
aime et souhaite de tout son cœur. Récit tragique et triste que celui
d’America, terroriste activiste éprise de démocratie dans un régime
totalitaire…
Il s’agit sans doute de l’un des plus beaux récits de Judge Dredd. Un récit dans lequel Dredd n’apparaît pas comme un héros mais bien comme le principal antagoniste. L’histoire est très forte et très dure. Elle explore les limites de la démocratie et les derniers mots que le lecteur lit à la dernière page sont d’une cinglante violence.
« La liberté, le pouvoir au peuple, la démocratie… Le grand rêve américain. Ne rêvez pas. On a déjà essayé. Croyez-moi, ça ne fonctionne pas. On ne peut pas se fier au peuple. Alors vous pouvez divaguer, les tarés. Mais n’oubliez pas que ce n’est rien de plus qu’un rêve. L’Amérique est morte. Ici, c’est le monde réel. »
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