Christian Bourgois éditeur,
Paris, 2019.
Traduit du néerlandais par Mireille Cohendy.
Les attentats islamistes en France depuis Mohamed Merah, et surtout depuis ceux perpétrés à Paris en 2015, ont totalement occulté les actions terroristes qui eurent lieu dans les années 1970 en Europe. Autre fait oublié aussi, c'est qu'à cette époque, il n'était pas systématique d'envoyer une brigade des forces spéciales déloger par la force des terroristes ou des preneurs d'otages. Qui aujourd'hui, alors que la peine de mort est abolie en France depuis 1981, souhaiterait qu'on attrape vivants des Kouachi ou autre Coulibaly ? Qui ne s'est pas dit, alors même que l'assaut vient d'être lancé, "j'espère qu'ils n'en sortiront pas vivants ?", qui ne s'est pas plaint des dépenses engagées par la communauté pour payer les frais un Abdeslam emprisonné ? Aujourd'hui, c'est presque uniquement par la force, qu'on dénoue une prise d'otage.
Et pourtant, comme nous le montre Frank Westerman, il existait une "école hollandaise" dans la résolution de ce genre de problème: elle consistait en l'application d'une tactique visant à résoudre une prise d'otages uniquement par la parole et non par la force, tactique imaginée par des psychologues spécialisés dans la résolution de conflits, laissant les terroristes face à eux-mêmes et à leur questionnement pendant des heures, parfois entourés de plusieurs dizaines d'otages apeurés. Frank Westerman fut lui-même, dans sa jeunesse, le témoin de la prise d'otages dans un train par de jeunes Moluquois. A l'époque coloniale, cette minorité chrétienne indonésienne coopérait avec les colons néerlandais. Mais dans les années 1950, lors de l'indépendance, leur sentiment d'abandon s'est doublé d'un sentiment de trahison, quand personne ne leur est venu en aide pour défendre leur rêve d'une république moluquoise du sud, reprise de force après seulement sept petits mois d'existence par le nouveau gouvernement indonésien. C'est bien malgré eux qu'ils durent trouver refuge aux Pays-Bas où ils furent parqués dans les baraquements de l'ancien camp de concentration nazi de Westerbork.
Car effectivement c'est aussi des mécanismes qui poussent de jeunes gens, souvent des intellectuels, à se lancer dans des actions violentes dont il est question dans ce livre. Sans justifier une quelconque forme de terrorisme, l'auteur, en interviewant les acteurs de ces crimes des années plus tard, tente de comprendre comment ils ont pu basculer dans cette forme d'expression. Les réponses sont claires: fossé entre ces personnes considérées comme des étrangers, et le reste de la population néerlandaise; problèmes linguistiques rendant l'intégration compliquées et l'insertion dans le systême éducatif impossible et surtout la non prise en compte par l'Etat des problèmes propres à cette minorité. Comment ne pas faire le lien avec ce qui se produit en France aujourd'hui?
Quand le tournant a-t-il eu lieu ? Quand le recours à la violence est-il devenu systématique pour résoudre une situation de crise ? L'exemple de la Russie dans la "gestion" du cas tchétchène est finement analysé par l'auteur: le pays et son dirigeant en quête de puissance dans les années 1990, ne peut qu'utiliser la force pour écraser son ennemi, quitte à massacrer des dizaines de civils et à lancer des assauts meurtriers qui tuent parfois plus d'otages que de terroristes. Est-ce aussi face à la radicalisation des preneurs d'otages, devenus kamikazes, que se radicalisent en parallèle les moyens d'intervention des forces de l'ordre ? Mais ne construit-on pas ainsi l'idéal du martyr ? Ces questions resteront en suspens, l'auteur ne souhaitant pas forcément y répondre, laissant le soin à chaque lecteur de les méditer.
Aujourd'hui, les Pays-Bas sont préservés des attentats terroristes. Les Moluquois ont été entendus et c'est par une politique éducative, économique et de la parole efficace, que le rêve utopique des anciens s'est petit à petit éteint sans être totalement nié ou effacé par l'Etat néerlandais, preuve en est le musée qui lui est destiné à Utrecht. En se questionnant sur son rôle effectif de journaliste, Frank Westreman tente d'évaluer son efficacité dans la transmission d'idées uniquement par la plume. Fait-il le poids face à des terroristes qui tuent pour diffuser leurs idées? Fait-il le poids face à des autorités étatiques qui tuent pour étouffer ses mêmes idées et tenter de sauver la face en cachant une certaine forme d'incapacité à résoudre les problèmes profonds de la société ? La lecture de ce livre devrait inspirer nos politiques et nos forces de l'ordre dans la gestion des crises et surtout dans leur anticipation. Mais elle est aussi salutaire pour tout citoyen afin d'éclairer les consciences et de cesser de croire que les cultures qu'on ne connait pas sont l'œuvre du diable ou des malfaisants.
Un grand merci aux Editions Christian Bourgois pour cette nouvelle découverte.
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