Garth Ennis (scénario), Peter Snejbjerg et Russ Braun (dessin), Battlefields : femmes en guerre, Komics Initiative, Notre-Dame-d’Oé, 2023.
Putain de guerre !
Garth
Ennis est un auteur de comics américains d’origine irlandaise connu pour ses
écrits très rentre-dedans, son humour caustique voire gras et un penchant
certain pour les récits violents ou ultra-violents. Ses oeuvres-phares sont Preacher
paru sous le label Vertigo, sa relecture bourrin du Punisher ou The Boys,
comic-book popularisé par la série Amazon Prime. Ennis n’aime pas les super-héros et
ne se gêne pas pour les tourner en dérision et alerter ses lecteurs sur les
risques des dérives liberticides des exploits de certains vigilantes… Le lecteur ne doit donc pas s'attendre ici à des récits édifiants mettant en valeur des super-héroïnes mais bien à des petites histoires de guerre ramenant les choses à hauteur de femme. Sa démarche n'est pas sans rappeler celle de Pat Mills sur La Grande Guerre de Charlie.
Mickael Géreaume, directeur de la maison d'édition furieusement indépendante Komics Initiative, édite en deux tomes les épisodes de la métasérie Battlefields, publiée entre 2008 et 2013 par Dynamite aux Etats-Unis. Ce tome centré sur les destins de deux femmes durant la Seconde Guerre Mondiale est illustré par le Danois Peter Snejbjerg et l’Américain Russ Braun. Force est de constater que l’auteur irlando-américain quitte quelque peu son habituel ton roublard et caustique pour brosser deux portraits de femmes prises dans l’horreur de la guerre.
Le premier récit relate le sort de Carrie, une infirmière britannique dans l’horrible théâtre de la guerre du Pacifique. Dès la première page, le lecteur découvre frontalement, mais sans aucune esbroufe ou aucun mauvais goût, les viols perpétrés par les soldats japonais sur les femmes de guerre britanniques. Carrie est du nombre des femmes violées et mitraillées. Elle survit, se reconstruit et doit vivre avec ce traumatisme. Elle poursuit sa tâche du mieux qu’elle peut auprès des pilotes anglais blessés et mutilés…
Les violences de guerre sont montrées sans détour au lecteur. La violence graphique peut choquer et c'est bien entendu la volonté d'Ennis d'estomaquer son lectorat. Le ton n’est pas celui d’un récit d’action ou d’aventure mais bien d’un récit de guerre. Le soin apporté par le scénariste et son dessinateur aux recherches documentaires est scrupuleux. Ennis trouve les mots justes pour dépeindre les tourments et traumatismes de Carrie. Le tragique l’emporte dans ce récit à hauteur de femme de la guerre… Le récit est dur et difficile pour l’auteur qui multiplie les choix courageux comme pour le lecteur qui prend des coups comme les personnages de cette fiction fortement documentée.
Ennis
n’héroïse pas à outrance son personnage. C’est là un trait commun à tous ses
scénarii. Il rend Carrie aussi attachante que fragile et irrémédiablement
détruite par la guerre. La narration n'est jamais gnangnan et l'auteur s'attache à créer un personnage doté d'une belle épaisseur psychologique, touchante et crédible.
Le second récit est plus long et non moins ambitieux et s’attache à l’histoire d’Anna, pilote soviétique engagée sur le front européen. Ennis balaie la période de la Seconde Guerre Mondiale mais poursuit son histoire au-delà du conflit. Sans détour une fois encore, l’auteur dépeint les violences de guerre sans occulter les violences sexuelles dont sont victimes les femmes pilotes. Dès les premières pages, se pose la question d’un égal traitement des soldats hommes et femmes dans l’Armée Rouge. La guerre est montrée comme une boucherie broyeuse d’hommes et de femmes dans les deux camps qui s'opposent. Anna, à bord de son avion, s’efforce de survivre et survoler les horreurs du conflit. Elle ne sort pas indemne des effroyables affrontements aériens. Le crash est synonyme de mort, blessures ou des pires atrocités aux mains de l’ennemi…
Ennis
n’épargne rien à son « héroïne » : abattue par les Nazis, elle
est capturée et emprisonnée puis « libérée », jugée pour trahison et déportée au
Goulag… L’affrontement des totalitarismes soviétique et nazi est crûment et
durement mis en scène par un auteur fermement décidé à n’idéaliser en rien le second
conflit mondial ! L'écriture est fine même si toujours aussi brutale. La guerre est sale, horrible, inhumaine et proprement
dégueulasse sous sa plume et le crayon de Russ Braun ! Fort heureusement
pour ce personnage attachant pour qui le lecteur frémit au fur à mesure que les
pages se tournent, Ennis lui ménage une sortie quelque peu… heureuse... enfin...
Carrie et Anna sont deux femmes extrêmement courageuses, fortes et fragiles à la fois, guidées par une volonté certaine et toutes les deux attachantes en raison de leur humanité fortement mise à l'épreuve par les événements guerriers qu'elles traversent et qui les affectent. Ce
volume consacré au sort de la « gente féminine » durant la Seconde
Guerre Mondiale est une lecture âpre mais prenante et donne furieusement envie
de découvrir le deuxième volume consacré aux « hommes en guerre ».
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