Des ronds dans l’O,
Vincennes, 2023.
A l’heure où se prépare une autre BD sur Ginette Kolinka,
ainsi qu’une exposition itinérante qui retrace le parcours de la rescapée d’Auschwitz,
il faut se pencher sur ce roman graphique paru il y a quelques mois.
Qui a déjà entendu parler, rencontré ou vu Ginette Kolinka
reconnaitra à coup sûr son ton, parfois incisif, d’autres fois autodérisoire,
souvent bienveillant. L’infatigable femme, presque centenaire, continue aujourd’hui
encore de sillonner les routes de France, d’établissements scolaires en
établissements scolaires, s’arrêtant parfois dans des bibliothèques ou dans des
librairies, pour transmettre son message et le récit de sa terrible expérience durant
la Seconde Guerre mondiale.
C’est par une scène semblable que s’ouvre cet ouvrage :
Ginette Kolinka se trouve devant un parterre de jeunes gens, plutôt remuants,
qui, une fois le témoignage lancé, est happé par le récit. Ginette a une heure
pour livrer à ces élèves tout ce qu’elle a vécu, de sa naissance à aujourd’hui.
Ginette Kolinka est issue d’une famille nombreuse. C’est à
Montfermeil qu’elle apprend, en 1939, que la guerre a commencé. Avec un certain
excès de confiance, son père tente de rassurer toute la famille : il est
impossible que l’on fasse du mal aux Juifs dans un pays comme la France. C’est
ainsi que tous se plient aux mesures antisémites du gouvernement de Pétain :
port de l’étoile jaune, tampon sur les passeports… Mais les violences de plus en
plus fortes et les difficultés liées à la guerre font céder un père de plus en
plus inquiet. Tous ensemble, ils décident de passer en zone libre où ils
tentent de mener une vie normale, cachée sous de fausses identités.
Mais les traques sont plus sauvages et ce qui devait arriver
arrive : Toute la famille est reconnue comme juive et est internée dans un
premier temps à Drancy. C’est ensuite le temps de la déportation et le récit de
ce terrible voyage en wagon à Bestiaux vers une destination inconnue. Quand les
portes s’ouvrent enfin, c’est presque avec soulagement que tous accueillent l’air
frais qui entre dans les poumons. Immédiatement, ce sont les coups de SS qui pleuvent
sur les nuques et les épaules de ces déportés épuisés. Alors Ginette veut
alléger les souffrances de son père et de son frère en leur conseillant de
monter dans les camions proposés à ceux qui sont trop fatigués… Elle ne les
reverra jamais sans même leur avoir dit au revoir…
Puis elle subit l’humiliation : la tonte, la mise à
nue, les latrines, le manque et l’inquiétude de ne pas savoir ce qu’il est
advenu du reste de la famille. Et cette odeur atroce qui règne dans le camp… L’affectation
à un kommando de travail et celle à un block, sont les étapes suivantes de la
déshumanisation. Sous les coups des SS et des kapos, chacun tente du mieux
possible de survivre à l’enfer d’Auschwitz-Birkenau. Les sélections règlent le
compte des plus faibles…
Et un jour, c’est l’évacuation. D’abord vers Bergen-Belsen,
puis à Theresienstadt où la Croix rouge prend en charge ces êtres humains
faméliques, affaiblis, émaciés et bien souvent malades. Ginette a contracté le
typhus. Elle se retape doucement et rentre un jour chez elle où elle retrouve
une partie de sa famille. L’autre, elle doit l’avouer à sa mère encore trop
pleine d’espoir, a été assassinée, gazée dans les Kréma nouvellement construits.
A l’instar de ces compagnons d’infortune (Simone Jacob,
Marceline Rozenberg), Ginette Kolinka a mis du temps à se reconstruire et encore
plus à trouver la force de raconter. Souvent, c’est en réaction à la négation
du crime par les nazis eux-mêmes et par leurs supporters que les témoins se
sentent obligés de dire à tous ce qu’ils ont vécu, car aujourd’hui, pour qui ne
sait pas, « Auschwitz est un décor, l’herbe y est verte, tout est propre ».
Ginette avait une heure pour raconter son histoire. C’est à
peu près le temps qu’il faut pour lire le livre d’Aurore D’Hondt. Destiné à un
jeune public, il est largement accessible, par la simplicité du récit ainsi que
par celle des images en noir et blanc qui sont parlantes (on y retrouve un peu
de Marjane Satrapi). Les planches sont souvent muettes pour dépeindre les
moments les plus tragiques ou les plus forts de l’histoire : nul besoin de
mots devant l’atrocité des faits. Le découpage est simple lui aussi et est mis
en valeur par un code graphique : les pages sur fond noir marquent les
épisodes des plus sombres du récit, de l’arrestation à l’évacuation, en passant
par la déportation vers Auschwitz et la détention dans le centre de mise à
mort.
A l’heure où les derniers témoins disparaissent, il est
nécessaire de multiplier les témoignages sous toutes les formes possibles et
pour tous les publics. Une seconde BD sur Ginette Kolinka ne sera pas de trop.
En tout cas on a hâte de savoir ce qu’elle apportera de plus que celle-ci.
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