samedi 18 février 2023

Paul Verhoeven (réalisation) et Edward Neumeier (scénario), Starship Troopers, sortie au cinéma : 1997.

 


 
 Paul Verhoeven (réalisation) et Edward Neumeier (scénario), Starship Troopers, sortie au cinéma : 1997.

“They'll keep fighting... and they'll WIN.”

A la manière d’un Gillo Pontecorvo au faîte de sa gloire, Paul Verhoeven entreprend avec ce film d’anticipation de questionner et critiquer l’impérialisme américain au crépuscule du 20ème siècle. A la différence du réalisateur romain qui, avec son brûlant Queimada, fait mine de se tourner vers le passé pour interroger l’histoire immédiate, le plus néerlandais de tous les cinéastes hollywoodiens contemporains se tourne lui vers le futur. Et avec quelle clairvoyance !

Le propos du film est extrêmement accessible. Dans un lointain futur, les pays de la Terre se sont regroupés au sein de la Fédération, un gouvernement mondial autocratique. Cette Fédération se lance à la conquête de l’espace. Les Terriens entrent en contact avec des civilisations extraterrestres. Ils se trouvent menacés par l’une d'entre elles, la belliqueuse civilisation des Arachnides. Cette race d’insectes géants lance des attaques depuis son système de Klendathu contre la Terre. Fort heureusement Johnny Rico, Carmen Ibanez et tous leurs amis armés jusqu’aux dents veillent…

Des GI-JOEs de l’espace affrontent des araignées géantes de l’espace… Résumé comme ça, le film pourrait paraître idiot, fort dispensable voire peu recommandable. Et pourtant… Paul Verhoeven s’est inscrit et invité à Hollywood dans les années 1980 aux côtés des Cronenberg, Carpenter et autres comme réalisateurs à suivre. Son film sorti en 1997 n’a cependant pas trouvé son public et il mérite d’être réhabilité quelques vingt-cinq ans plus tard !

Coincé entre une énième pirouette bondienne mettant en vedette le très « hair-brushé » Pierce Brosnan et le titanesque film-fleuve de James Cameron, le douzième métrage de Paul Verhoeven est très sèchement accueilli par les critiques tant américaines que françaises. Nul ne sait comment prendre ce film : apologie ou critique du IIIème Reich ? Comédie ou film d’horreur dans l’espace ? Les vénérables Cahiers du Cinéma passent complètement à côté des intentions du réalisateur.

Starship Troopers qui adapte très librement le plutôt douteux roman de Robert A. Heinlein, Etoiles garde-à-vous, est une piquante fable de science-fiction dotée d’une mémoire et d’un ton acide et quelque peu désenchanté. Autant le livre de Heinlein était un brûlot cherchant à justifier la nécessité du maintien d’un arsenal nucléaire en pleine Guerre Froide et dans la décennie de l’appel de Stockholm, autant le film de Paul Verhoeven en prend le contre-pied et lui fait en outre un gigantesque pied de nez.

Comme souvent chez son réalisateur néerlandais, le film dialogue avec maintes références artistiques ici essentiellement cinématographiques. Le « Hollandais violent » se réapproprie l’esthétique ou les thèmes de Tarantula, Le Massacre de Fort Apache, Alamo, Zoulou, Full Metal Jacket, Iwo Jima, Le Triomphe de la Volonté ou A l’Ouest rien de nouveau… S’attachant au devenir d’une poignée de jeunes gens de la fin de leurs études secondaires jusqu’à leur recrutement et engagement dans les forces armées, Verhoeven brosse une fresque qui s’apparente aux parcours des Paul Bäumer, James T. Davis ou autres jeunes naïfs dont la guerre broie les illusions et rêves de gloire.

Avec son second degré et sa décontraction toute batave, Verhoeven écorne et rejette un conservatisme ambiant qui l’agace. Comme pour Basic Instinct ou Showgirls, sous des dehors très légers et divertissants, le réalisateur assène son propos très engagé avec une grande verve. Son film s’inscrit dans la veine de son cinéma d’alors. Au menu du réalisateur : la posture des Etats-Unis dans sa guerre contre la Terreur et la domination planétaire qu’exerce alors l’hyper-puissance états-unienne. Le metteur en scène observe le monde et sa mise en scène en ausculte les mécanismes. Et le réalisateur n’oublie rien : torture, manipulation des masses, propagande… Les décors des planètes sur lesquels les braves troopers affrontent les monstrueux arachnides ne sont pas sans évoquer l’Irak ou, par anticipation, l’Afghanistan.

Le spectre de la Seconde Guerre Mondiale plane sur une grande partie de la filmographie du cinéaste. Ce film n’y échappe pas. Paul Verhoeven a longtemps œuvré à l’écriture d’un film sur la carrière de Leni Riefenstahl. Starship Troopers est un peu l’aboutissement de ce projet de biographie qui reste inédit. Amour de la patrie, exaltation des corps qui se fait ici au détriment de toute fantaisie sexuelle… Le récit des mésaventures de ces « Ken et Barbie » évadés des séries télévisées US et envoyés à l’abattoir s’abreuve d’une esthétique riefenstahlienne. Verhoeven s’amuse comme un petit fou à saccager son casting de bellâtres et donzelles. C’est au spectateur de faire la part des choses et peut-être bien que le réalisateur s’est fourvoyé. La charge contre l’administration Bush est lourde et couplée à sa parodie du cinéma de Leni Riefenstahl, le film peut prendre une drôle de coloration ou de saveur pour un public peu averti. Mais pour peu que le public entre dans le jeu, il comprend où veut en venir le cinéaste.

“Never surrender. Never retreat. Never give up.” L’apologie de la mort au champ d’honneur distillée en classe se heurte aux supplices et souffrances des troopers envoyés au casse-pipe. Les flashs d’information ou de désinformation (?) viennent rythmer le film. Le brave Johnny Rico n’est pas sans évoquer le M’sieur Pif-Paf chanté jadis par un certain groupe de punk-rock français. Un brave gars mais un fasciste convaincu ! Il est difficile vingt-cinq après la sortie de Starship Troopers de ne pas comprendre d’emblée le ton parodique et outrancier du film.

Le réalisateur européen expatrié un temps à Hollywood en profite pour régler ses comptes avec la censure de la MPAA en plaquant directement à l’écran et sur ses images des encarts estampillés « censored ». Il interroge la justice états-unienne et une certaine théâtralisation de la peine de mort. Il livre curieusement et prophétiquement un film sur le 11 septembre avant même les événements tragiques de 2001. L’analyse de la géopolitique d’un siècle finissant et des conséquences néfastes de l’impérialisme américain est particulièrement limpide et anticipe les premières années du siècle à naître.

Les abominables Arachnides s’en prennent aux Terriens qui sont venus coloniser des mondes leur appartenant. Même si le gouvernement planétaire humain se garde bien de clamer sa part de responsabilité dans le conflit montré dans le film, la question de la sincérité de ce gouvernement est posée à chaque nouveau flash d’information ou de propagande qui vient scander l’action. Les images de dévastation, les combats dans des paysages désertiques, la traque des leaders Arachnides dans des cavernes… De manière troublante, Verhoeven prophétise un début de 21ème siècle qui remet rudement en cause l’hyperpuissance américaine. De manière pédagogique et mesurée, il en profite pour questionner les limites des démocraties occidentales dans sa satire jouissive si mal comprise en 1997.

Peut-être que vingt-cinq ans après sa sortie, ce très irrévérencieux vrai-faux blockbuster mérite que l’on y jette un cil...

“Would you like to know more?”

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