Fabien Nury (scénario) et Thierry
Robin (dessin), La Mort de Staline,
Dargaud,
Paris, 2018.
Dargaud,
Paris, 2018.
« Avertissement :
bien qu’étant inspirée de faits réels, cette histoire n’en demeure pas moins
une fiction, librement construite d’après une documentation parcellaire,
parfois partiale et souvent contradictoire…
Les auteurs
précisent toutefois qu’ils n’ont guère eu besoin de forcer leur imagination,
étant incapables d’inventer quoi que ce soit d’équivalent à la folie furieuse
de Staline et de son entourage. »
Tel est l’avertissement
liminaire de cet album intégral compilant les deux tomes parus respectivement
en 2010 et 2012.
Les circonstances
sordidement absurdes de la mort de Staline en 1953 appelaient à elles seules
une œuvre de fiction ! La parution de cet album gratifie le public de deux
œuvres au ton bien distinct : la bande-dessinée originelle et son adaptation
cinématographique (un DVD accompagne l’album).
Si Fabien
Nury et Thierry Robin aménagent quelque peu le récit dans leur bande-dessinée pour
le rendre plus mordant encore, c’est avec un sourire pincé que le lecteur
découvre cet épouvantable « bal des vampires soviétiques » autour de
la dépouille encore tiède du tout-puissant dictateur communiste.
Libérés par
l’avertissement préalable, le scénariste et son dessinateur nous servent un
récit certes caricatural mais surtout glaçant à déguster frappé comme un bon
verre de vodka : bien froid et cul sec !
Dans la nuit
du 28 février 1953, Josef Staline s’effondre victime d’une attaque cérébrale dans
les appartements de sa datcha après une soirée bien arrosée avec les membres du
Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique.
Dès le
lendemain, tous les « amis » du Petit Père du Peuple Soviétique et
membres du Comité Central du Parti défilent à son chevet. Commence alors une
effroyable course contre la montre entre Beria, Malenkov, Krouchtchev, Mikoyan,
Kaganovitch et Boulganine.
Alors que
chacun scrute la réaction des autres et attend le faux-pas d’un autre, se pose en
premier lieu l’épineuse question de trouver un médecin pour s’occuper du cas du
camarade Staline. Les meilleurs praticiens d’U.R.S.S. ont été arrêtés, déportés
ou exécutés sur ordre du camarade Staline sous prétexte de « conspiration
sioniste »…
Mais
surtout, si Staline meurt sans avoir été vu par un médecin, des soupçons de conspiration
ne pèseront-ils pas sur les membres du Comité Central ?
L’effroyable
ogre Beria prend les choses en main et en vient à actionner quelques rouages
bien graissés de la machine de terreur soviétique (N.K.V.D., chantage, etc.)
pour organiser la mise en bière du dictateur, ses dignes obsèques puis sa
succession. Tout cela sous le regard suspicieux des Krouchtchev et autres
Molotov. C’est alors que Staline se dresse sur son lit de mort et pointe du
doigt une affiche de propagande ornant le mur de sa chambre. Que veut-il dire à
ses « amis » ? Pourquoi pointe-t-il du doigt cette bergère
nourrissant un agneau au biberon ?
Et ses « amis »
de partir dans des tentatives d’interprétations délirantes…
Au-delà de l’intérêt
du seul récit de la mort de Staline et de ses obsèques en grande pompe, le
lecteur trouvera un grand intérêt à cet ouvrage de bande-dessinée en ce qu’il s’attache
à décrire les nombreux rouages du régime totalitaire soviétique, rouages qui s’activent
comme jamais au moment de la mort du dictateur.
Qu’il s’agisse
du petit directeur de la Radio du Peuple qui fait des pieds et des mains pour
enregistrer au plus vite le concerto que Staline a écouté en direct mais dont il exige
un enregistrement ou de cette femme médecin avec qui Beria a eu des relations
sexuelles et qu’il peut manœuvrer à loisir ou Molotov, membre du Comité
Central, dont la femme est emprisonnée dans l’attente de son exécution, tous
ces individus peuvent être broyés à tout moment par la machine étatique
soviétique.
Le lecteur
frémit souvent au fur et à mesure du récit. Puis il sourit. Avant de grimacer.
Puis de s’esclaffer. Etc.
De manœuvre en
réunion, de mauvais coup en tartufferie, le lecteur découvre avec stupeur et
dégoût le revers de la dictature communiste qui repose sur une terreur
impitoyable qui n’épargne personne qu’il soit en haut ou en bas dans les
rouages de l’Etat communiste.
L’humour est
vraiment très très noir et très très grinçant et nombre de détails sordides proprement
dégoûtants viennent « égayer » le récit, soin est laissé au lecteur
de les découvrir…
Point de
héros ou de point de vue narratif particulier dans le récit. Nury et Robin font
entrer et sortir les personnages en fonction du rôle qu’ils jouent lors de la découverte
du corps de Staline puis des obsèques et de la réorganisation de l’Etat Soviétique.
Et lorsqu’entrent
en scène pour un tragique tour de piste les enfants du dictateur Svetlana et
Vassili… Entre une jeune-femme que Staline prive de l’amour d’un père et de l’amour
de tout autre homme et un fils alcoolique et irresponsable…
L’image d’un
« tour de montagnes russes » n’a jamais été aussi appropriée !
Ce récit, finalement
très sombre, de Fabien Nury est illustré avec toute l’austérité nécessaire par
le trait précis et sérieux de Thierry Robin.
Le ton de l’adaptation
cinématographique qui l’accompagne est bien plus léger ! Le film gomme et
adoucit le côté scabreux de certains moments de la bande-dessinée. Beria, dans
la bande-dessinée, est dépeint comme un pédophile, nécrophile, sadique,
homicide et manipulateur. Il n’est « qu’un » psychopathe manipulateur
dans le film !
Pour « célébrer »
très irrespectueusement la mort de Staline, Armando Iannucci convoque avec
malice devant sa caméra la fine fleur de la « black comedy »
britannique (Simon Russell Beale, Jason
Isaacs ou Michael Palin) ainsi que le très mordant et plaisant Steve Buscemi.
Le spectateur rit beaucoup tant face aux numéros de comédie du brillant
casting que de la mise en scène particulièrement enlevée et habile des moments
forts ou moins forts du métrage. Fabien Nury espérait voir sa bande-dessinée sous
la forme d’une comédie anglaise et c’est un vrai régal !
Les œillades suspicieuses et coups bas confondants de perfidie viennent
animer cette farce où le grotesque rencontre l’humour le plus noir. Et si les
esprits et critiques les plus exigeants et intransigeants reprochent à l’adaptation
cinématographique le ton so british
du film et les libertés prises avec la chronologie des faits, nous ne bouderons
pas notre plaisir.
L’accueil plus que tiède du film en Russie dans lequel il a été très
officiellement banni pour « raillerie
insultante envers le passé soviétique » (sic), cet accueil ne peut que
nous conforter dans notre rire et notre goût pour cette caricature aussi
outrancière que pédagogique !
Vu au travers
de ce deux récits caricaturaux très complémentaires, le totalitarisme stalinien
est plutôt habilement « disséqué », fut-ce de manière post-mortem !
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