dimanche 3 mars 2019

Richard Fleischer (réalisation) et Stirling Silliphant (scénario), Les Flics ne dorment pas la nuit, Carlotta Films, Paris, 2016.




Richard Fleischer (réalisation) et Stirling Silliphant (scénario), Les Flics ne dorment pas la nuit
Carlotta Films, 
Paris, 2016.

Richard Fleischer est un grand réalisateur hollywoodien actif de la fin des années 1940 à la fin des années 1980. Fils du pionnier de l’animation Max Fleischer (co-créateur de Betty Boop, entre autres créations), il est un grand cinéaste quelque peu oublié ou négligé en dépit de quelques œuvres-phares dans des genres très différents : Vingt mille lieues sous les mers, Les Vikings, L’étrangleur de Boston, etc.
Réalisé un an avant son chef-d’œuvre visionnaire qu’est Soleil Vert, Les Flics ne dorment pas la nuit est l’adaptation du roman The New Centurions de Joseph Wambaugh. Avec ce film quasi-documentaire, Richard Fleischer livre une chronique frontale, honnête et très mélancolique de la vie d’un groupe de flics de rue à Los Angeles au début des années 1970.

Le cinéaste met tout son savoir-faire au service de cette chronique humaniste d’une grande richesse qui aborde sans détour et avec une exemplaire sobriété tous les gros problèmes qui émergent et parasitent la société états-unienne d’alors. Le propos est limpide mais dense et n’oublie aucun aspect du quotidien des flics de Los Angeles : alcoolisme, suicide, bavures, répression des émeutes comme celles de Watts, etc. …
Mais plutôt que de livrer un énième polar excité et excitant, Fleischer compose un tableau morne et journalier de la vie des petits flics de la métropole américaine. Même si l'une ou l’autre scène d’action ou de poursuite vient rythmer le film, la seule vraie séquence violente du métrage se joue dans une cuisine étriquée dans laquelle deux flics essaient de maîtriser et raisonner une mère complètement ivre qui met en danger la vie de son nourrisson.

Le réalisateur ne cède jamais à l’appel du sensationnel ou du sordide dans sa chronique triste et humaine de la vie de ces flics filmés comme des ouvriers. Il filme ces flics noirs, blancs, latinos avec une rare justesse. Le ton du film est très différent de celui du French Connection de William Friedkin. Le rythme ou plutôt l’absence du rythme habituel des métrages hollywoodiens (comprenez une montée en puissance de l’action jusqu’au « climax ») est également très singulière.

La maîtrise du réalisateur s’affirme dès l’ouverture qui montre, de manière elliptique, les flics autour duquel se construit le film en plein entraînement. Course à pied, tir sur cible, combat à mains nues, tir au fusil… Autant d’exercices et de compétences qui ne seront d’aucune utilité ou presque dans la suite du métrage. Parce que ces flics ne sont pas appelés à affronter des gangs armés jusqu’aux dents, des criminels ou terroristes endurcis et impitoyables. Ces petits flics vont côtoyer et tenter d’aider de petites gens touchées par divers problèmes grands et petits.
Dans cette chronique filmée à hauteur d’homme, se succède les vignettes où défilent des couples en bisbille qui en viennent aux mains, des prostituées sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, des immigrés latinos mal logés et roulés par une ordure bien américaine…
Point de héros dans ce film mais des hommes confrontés à des difficultés très ordinaires et luttant pour faire coïncider leurs missions, le cadre légal et leur conscience d’humain. Le personnage principal, interprété avec justesse par un jeune Stacy Keach, est une jeune recrue qui apprend le métier aux côtés du vieux flic expérimenté et rompu au métier. Le jeune flic essaie de poursuivre ses études de droit et se retrouve écarteler entre la théorie du droit et la réalité de la rue.

Le vieux flic est incarné avec talent par George C. Scott qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles. Lui, qui a incarné des personnages forts en gueule et en caractère pour Kubrick (Docteur Folamour) ou Franklin J. Schaffner (Patton), campe à merveille ce flic rugueux mais bon qui embarque des prostituées pour un tour de fourgon à l’abri des dangers de la rue ou qui prend la défense des latinos face à l’ordure de logeur qui les détrousse et entend les faire jeter à la rue. Son personnage d’Andy Kilvinski est une espèce de « Dirty Harry » de gauche, humaniste et compréhensif.

Il ne faut pas se fourvoyer comme certains critiques de cinéma de 1972 : ce film n’a rien d’un pamphlet fasciste, conservateur et réactionnaire à la gloire de la police. Ce film n’est qu’une peinture juste et honnête du quotidien de professionnels au travail et en prise avec les difficultés d’une société arrivée à un point de bascule. Les flics y apparaissent comme des régulateurs sociaux qui bricolent au mieux afin de limiter la casse. Ils y apparaissent aussi comme des humains faillibles qui prennent des coups plus qu’ils n’en distribuent, du moins d’un point de vue psychologique.
S’il faut replacer quelque peu le cinéma de Fleischer d’un point de vue des idées, nous rappellerons qu’avec L’étrangleur de Rillington Place, il s’emparait d’un sordide fait divers britannique pour livrer un poignant plaidoyer contre la peine de mort porté par les interprétations habitées de Richard Attenborough et de John Hurt. Quant à son grand film d’anticipation, Soleil Vert, c’est un cri d’alarme et un réquisitoire implacable contre le capitalisme ou l’industrialisation littéralement cannibales et le saccage des ressources naturelles. Sous ses dehors de « pépère » cinéaste hollywoodien, Richard Fleischer est un humaniste militant mais un peu pessimiste tout de même.

Pessimiste parce que la mélancolie et la tristesse l’emportent vers la fin du métrage. Ces flics ordinaires peuvent craquer et voir leur famille exploser. Ces flics ordinaires peuvent chercher quelque réconfort dans l’alcool. Ces flics ordinaires peuvent déraper et commettre des bavures. Ces flics ordinaires au bout du rouleau peuvent se donner la mort…
Lorsque Fleischer filme une scène de bavure, lors de laquelle un afro-américain innocent est abattu, il le fait avec une grande lucidité, une grande justesse et une grande honnêteté. La scène est grave mais nullement militante ou alourdie. Point de film à thèse ici, simplement une petite chronique de la vie de petites gens.

Ce film s’inscrit en précurseur des films de Michael Mann qui dans Thief, Manhunter, Heat ou Blackhat filme et met en scène des hommes au travail. Ces « flics qui ne dorment pas la nuit » sont avant tout des êtres humains en proie aux peines et doutes de tout être humains. Ils sont montrés avec une grande honnêteté et une grande justice comme tels, comme êtres humains. Et en regardant ces flics, le spectateur peut songer à ces ouvriers, ces profs, ces infirmières, ces petites gens qui ne dorment pas la nuit…

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