samedi 6 mai 2023

Mikael Coadou (scénario), Benjamin Blasco-Martinez (dessin) et Emilie Beaud (couleurs), Wiloucha les dernières heures de Troie, éditions Petit à petit, Rouen, 2023.

Mikael Coadou (scénario), Benjamin Blasco-Martinez (dessin) et Emilie Beaud (couleurs), Wiloucha les dernières heures de Troie, éditions Petit à petit, Rouen, 2023.

Pourquoi l’Empire Hittite n’a-t-il pas envoyé de renforts aux Troyens durant l’attaque de la cité par les armées mycéniennes menées par Agamemnon ? C’est la singulière et ambitieuse question qu’entend résoudre cet album de bande dessinée. Au cœur du récit, le lecteur se voit proposer un décentrage ou recentrage du récit a priori connu de la guerre de Troie. Mikael Coadou et Benjamin Blasco-Martinez réinscrivent les événements narrés par Homère dans un contexte non plus grec mais hittite. La cité de Troie, ici appelée Wiloucha, s’inscrit en effet dans la sphère d’influence de l’Empire du Hatti, l’Empirer Hittite. Un vaste et puissant royaume établi au cœur de la Turquie actuelle, un empire oublié qui pouvait pourtant rivaliser avec l’Égypte des pharaons…

L’action débute lorsqu’en 1270 avant J-C, la nouvelle de l’attaque de Wiloucha par les hommes d’Agamemnon arrive aux oreilles de l’empereur Hattusili III. Le lecteur découvre un empereur cruel autour duquel se dessinent de sombres schémas et manigances. Au même moment, sur les plages troyennes, Agamemnon peine toujours à trouver un moyen de prendre la cité assiégée. Il déplore la mort d’Achille et la furieuse résistance de Priam et de ses troupes. Dans les deux camps, celui du roi de Mycènes et de l’empereur hittite, les présages et prédictions annoncent une menace qui se présente sous la forme d’un cheval…


Le récit fait des allers et retours entre les différents acteurs hittites, mycéniens et troyens. Le trait de Benjamin Blasco-Martinez est sauvage et barbare. Le récit est particulièrement cruel et violent. Enucléation, démembrement, décapitation… Rien n’est épargné au lecteur ! Dans le souci de dépoussiérer le mythe, Coadou et Blasco-Martinez, portés par la musique composée par Basil Pouledoris pour Conan le Barbare de John Milius, dépeignent crûment et sauvagement les dernières heures de la guerre de Troie. Le mythe classique est quelque peu relégué au second plan et les auteurs s’attardent sur les vaines manœuvres ou hostiles machinations des uns et des autres.

Une double page documentaire vient clore l’ouvrage et apporte des informations sur l’Empire du Hatti. L'apport documentaire sur cet empire est finalement assez modeste. Le lecteur devine une volonté d’ancrer les figures homériques dans un contexte historique et de tirer le récit vers le bas. La démarche est intéressante. La représentation du cheval de Troie est grandement influencée par les choix de Wolfgang Petersen pour sa version hollywoodienne emmenée par Brad Pitt, Eric Bana et consorts… L'influence de la pop culture sur les images et représentations une fois encore... L’histoire se laisse agréablement lire avec parfois une petite moue de dégoût face à certains supplices…


Néanmoins, la promesse initiale d’une guerre de Troie racontée du point de vue des Hittites n’est pas pleinement tenue. Rapidement, l’intrigue embraye sur la trame homérique et les liens entre Troyens et Hittites restent finalement très lointains. Certes quelques personnages méconnus  sortent de l'ombre le temps de ce récit, comme Sinon, fourbe cousin d'Ulysse qui joue un rôle essentiel dans la prise de la ville. L'histoire reste finalement assez balisée. La réponse à la question de savoir pourquoi les Hittites ne sont pas intervenus dans la guerre est un peu maladroitement donnée lors d’un échange entre Ulysse et Agamemnon en fin d’ouvrage… La partie à proprement parler Hittite du récit est centrée sur les sanguinaires délires du roi Hattusili III et de son entourage non moins cruel. La prise de Troie occupe une bonne partie de l’album.

Une relecture nerveuse, cruelle et barbare des derniers jours de la guerre de Troie à ne pas mettre entre toutes les mains et sous tous les yeux qui ravira sans doute les amateurs d’un certain barbare cimmérien bien connu. Les followers d’un certain Homère risquent d’être un peu défrisés par ce récit sanguinolent mais pourquoi ne pas se laisser bousculer un peu ? Après tout, en y réfléchissant bien, cet Ulysse coureur de jupons, manipulateur, beau parleur mais volontiers pillard et pirate à ses heures n’est pas aussi lisse et immaculé que cela…

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