jeudi 16 mars 2023

Nicolas Werth, Les Procès de Moscou, Collection Le goût de l’Histoire, Les Belles Lettres, Paris, 2023

 

 

Nicolas Werth, Les Procès de Moscou
Collection Le goût de l’Histoire,
Les Belles Lettres,
Paris, 2023.

La caricature en couverture est éloquente, elle est d’ailleurs souvent utilisée dans les manuels scolaires pour illustrer la partie du programme scolaire consacrée à la Grande Terreur Stalinienne. On y voit le dictateur fier, trônant au milieu d’un aéropage décapité. Ces hommes, assassinés à sa demande, étaient pourtant, pour une grande partie d’entre eux, considérés comme des héros de la révolution bolchévique, fidèles compagnons de Lénine.

Pour se débarrasser de ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, « le Petit Père des peuples » fit organiser trois grands procès qui eurent lieu à Moscou entre 1936 et 1938. Largement médiatisés, ils mirent en scène une parodie de justice pendant laquelle ces accusés avouèrent, avec encore plus de force qu’on ne leur en demandait, des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Jetés ainsi à l’opprobre populaire, ils furent condamnés à mort par une justice d’un peuple, convaincu lui-même qu’il s’agissait là de comploteurs et de saboteurs qui mettaient tout en œuvre pour saper la belle politique égalitaire constitutive du projet stalinien. Violemment pris à parti par le procureur général, abasourdis par les accusations, soumis en secret à des pressions morales et physiques, et tenus au respect par la prise en otage de leur famille ou par la promesse qu’on leur avait faite de retrouver la liberté en échange d’aveux, cette quinzaine de victimes des grandes purges staliniennes furent condamnées à mort et immédiatement exécutée.

Car il ne fallait surtout pas qu’ils puissent user de leur droit de faire appel ou prouver leur innocence, sans quoi ils auraient pu porter des coups à un régime déjà en proie aux pires difficultés économiques. Le communisme, l’industrialisation à tout prix, la collectivisation forcée affaiblissaient un pays exsangue et  il fallait, pour Staline, cacher ses propres responsabilités dans la faillite d’un système dont on annonçait tant de belles promesses et qui ne fonctionnait pas. Alors quoi de mieux que d’organiser cette mascarade politique pour détourner l’attention des masses et faire croire qu’on réglait le problème en s’en prenant à tous ceux qui s’acharnaient à détruire le projet d’un avenir radieux sous les hospices du communisme guidé par le « Grand Timonier ».

A l’aide de nouvelles archives récemment déclassifiées, de l’étude d’articles de la presse soviétique (Pravda) et étrangère (en particulier française), de correspondances entre Staline et ses collaborateurs proches et de comptes-rendus d’assemblées et réunions, Nicolas Werth, spécialiste de l’histoire du communisme et de l’URSS, dévoile tout ce qu’il y a derrière ces procès et répond aux questions que chacun se pose devant l’énormité des évènements commis entre 1936 et 1938 : qui a tiré les ficelles ? Pourquoi ? Quel en fut le retentissement international ? Comment les communistes du monde entier justifièrent ou non ces crimes ? Quand découvrit-on la réalité et qu’en fit-on ?

Un petit ouvrage efficace qui va droit à l’essentiel, nouvelle édition augmentée d’annexes très intéressantes, dont les lettres de Boukharine à Staline.

 



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