Collection Le goût de l’Histoire,
Les Belles Lettres,
Paris, 2023.
La caricature en couverture est éloquente, elle est
d’ailleurs souvent utilisée dans les manuels scolaires pour illustrer la partie
du programme scolaire consacrée à la Grande Terreur Stalinienne. On y voit le
dictateur fier, trônant au milieu d’un aéropage décapité. Ces hommes,
assassinés à sa demande, étaient pourtant, pour une grande partie d’entre eux,
considérés comme des héros de la révolution bolchévique, fidèles compagnons de
Lénine.
Pour se débarrasser de ceux qui pouvaient lui faire de
l’ombre, « le Petit Père des peuples » fit organiser trois grands
procès qui eurent lieu à Moscou entre 1936 et 1938. Largement médiatisés, ils
mirent en scène une parodie de justice pendant laquelle ces accusés avouèrent, avec
encore plus de force qu’on ne leur en demandait, des crimes qu’ils n’avaient
pas commis. Jetés ainsi à l’opprobre populaire, ils furent condamnés à mort par
une justice d’un peuple, convaincu lui-même qu’il s’agissait là de comploteurs
et de saboteurs qui mettaient tout en œuvre pour saper la belle politique
égalitaire constitutive du projet stalinien. Violemment pris à parti par le
procureur général, abasourdis par les accusations, soumis en secret à des
pressions morales et physiques, et tenus au respect par la prise en otage de
leur famille ou par la promesse qu’on leur avait faite de retrouver la liberté
en échange d’aveux, cette quinzaine de victimes des grandes purges staliniennes
furent condamnées à mort et immédiatement exécutée.
Car il ne fallait surtout pas qu’ils puissent user de leur
droit de faire appel ou prouver leur innocence, sans quoi ils auraient pu
porter des coups à un régime déjà en proie aux pires difficultés économiques.
Le communisme, l’industrialisation à tout prix, la collectivisation forcée
affaiblissaient un pays exsangue et il
fallait, pour Staline, cacher ses propres responsabilités dans la faillite d’un
système dont on annonçait tant de belles promesses et qui ne fonctionnait pas.
Alors quoi de mieux que d’organiser cette mascarade politique pour détourner
l’attention des masses et faire croire qu’on réglait le problème en s’en
prenant à tous ceux qui s’acharnaient à détruire le projet d’un avenir radieux
sous les hospices du communisme guidé par le « Grand Timonier ».
A l’aide de nouvelles archives récemment déclassifiées, de
l’étude d’articles de la presse soviétique (Pravda) et étrangère (en
particulier française), de correspondances entre Staline et ses collaborateurs
proches et de comptes-rendus d’assemblées et réunions, Nicolas Werth,
spécialiste de l’histoire du communisme et de l’URSS, dévoile tout ce qu’il y a
derrière ces procès et répond aux questions que chacun se pose devant
l’énormité des évènements commis entre 1936 et 1938 : qui a tiré les
ficelles ? Pourquoi ? Quel en fut le retentissement
international ? Comment les communistes du monde entier justifièrent ou
non ces crimes ? Quand découvrit-on la réalité et qu’en fit-on ?
Un petit ouvrage efficace qui va droit à l’essentiel,
nouvelle édition augmentée d’annexes très intéressantes, dont les lettres de
Boukharine à Staline.
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