Pages d'Histoire[S]
Sélection de romans, de bandes dessinées, d'essais, de travaux de recherche, sur l'histoire, la géographie ou l'actualité, utilisables en cours d'histoire/géographie, mais aussi pour tous ceux qui sont passionnés par ces sujets.
mardi 8 octobre 2024
Surzhenko et Yann, Thorgal - Shaïgan, Le Lombard, Bruxelles, 2024
samedi 16 décembre 2023
Pierre-Roland Saint-Dizier et Michael Crosa, Plein Ciel, Ankara, Roubaix, 2023
Plein Ciel, c’est l’histoire d’une tour qui porte ce nom.
Une tour comme on en trouve dans toutes les ZUP des banlieues françaises, dans
lesquelles des centaines d’individus se partagent la même entrée, la même cage
d’escaliers, le même hall d’entrée, le même ascenseur.
Cette BD commence par la défenestration d’un octogénaire.
Après avoir nourri ses animaux, il franchit l’encadrement de sa fenêtre et se
jette dans le vide. Sa mort laisse ses voisins dans la stupéfaction et dans
l’incompréhension. Est-il tombé par accident ? S’est-il suicidé ? Et
si c’est le cas, pourquoi n’a-t-on pas trouvé un dernier mot d’adieu à Martine,
sa plus poche confidente ?
Tout l’équilibre de l’immeuble est une nouvelle fois
bouleversé quand, quelques jours plus tard, deux hommes, visiblement en couple,
investissent l’appartement du vieillard. Ils ne sont visiblement pas là par
hasard et leur action dans le quartier interroge, d’autant plus que les
politiques rodent dans le coin et donnent des interviews dans la presse. On y
parle de rénovation, de restructuration, de reconversion. Tout cela a peu de sens pour ce microcosme
qui semble vivre ici depuis toujours et en bonne intelligence.
La bande dessinée est belle, les planches sont bien
réalisées, tout en lavis et en couleurs. Les vignettes foisonnent de détails et
sont parfois organisées tels les appartements de l’immeuble. On y voit le
quotidien de chaque famille, de chaque personne en son « chez-soi »,
petit cocon devenu presque alcôve, où chacun réalise les gestes de la vie
quotidienne. On s’y reconnait forcément, même si on n’y a pas habité.
Reste le scénario qui interroge. La première interrogation
concerne l’époque à laquelle se déroule l’histoire. Le lecteur est plongé dans
une période où vivre dans ces grands ensembles parait être la panacée. Les
relations entre voisins sont cordiales, presque solidaires. Il y fait bon habiter.
C’est le sentiment éprouvé, on le sait, dans les années 1950-1960 quand on
découvrait l’utopie de Le Corbusier, persuadé d’offrir aux futurs habitants le
nec plus ultra de la modernité et des commodités sans limites de tels
bâtiments. Or, que vient faire là-dedans cette histoire de rénovation urbaine,
bien plus contemporaine celle-là ? Et si l’histoire proposée par le scénariste
est actuelle, alors qu’en est-il des problèmes que subissent ces quartiers
aujourd’hui : ségrégation socio-spatiale ? Taux de chômage ?
Délinquance… ?
La galerie des personnages pose également question. Quand on
connait le quartier des Côteaux de Mulhouse qui a fortement inspiré le
scénariste, on remarque aisément que les personnages de la bande dessinée ne
correspondent pas vraiment à celle qui y vit aujourd’hui. Pourquoi n’avoir pas
représentée sa population bigarrée et issue de l’immigration depuis plusieurs
générations ? Pourquoi n’avoir pas fait état des préoccupations actuelles
et réelles de cette population qui éprouve de réelles difficultés et un sentiment
de mise à l’écart des politiques de la ville ?
Un décalage chronologique voulu ou une volonté de cacher la
réalité ? Une vision utopiste volontairement décalée ? Ou tout simplement
une sorte de conte social et dramatique fait pour interroger ? La bande
dessinée n’étant pas à l’origine un médium à but scientifique, tout est
possible et permis. Alors pourquoi pas…
samedi 23 septembre 2023
Rudy Reichstadt, Au cœur du complot, Grasset, Paris, 2023.
Rudy Reichstadt, Au cœur du complot,
Grasset,
Paris, 2023.
« L’opium des imbéciles », est le titre du
premier ouvrage de Rudy Reichstadt. Le complotisme y est présenté comme une substance
quasi psychotrope à laquelle les « imbéciles », ceux qui ne
peuvent tenir debout sans béquilles, sont soumis et par quoi ils sont aveuglés.
Drogue nocive diffusée et vendue par des gourous malveillants et porteurs de
haine qui trompent leurs adeptes, eux-mêmes désireux de trouver un refuge et
des explications bien trop faciles à des évènements qu’ils ont du mal à
comprendre.
Dans ce nouveau petit ouvrage de la « collection jaune »
des éditions Grasset, le directeur de l’Observatoire du complotisme
revient sur sa jeunesse et sur les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans
cet énorme travail minutieux et compliqué que constitue la lutte contre les
théories du complot. Il y explique comment est né Conspiracy Watch, la
démarche scientifique sans haine qu’il suit avec ses proches collaborateurs. Il
expose également de façon assez rapide quelques méthodes complotistes et donne
des techniques de réfutation des mensonges diffusés sur internet. Il fait aussi état des avancées de ses
recherches psycho-sociales sur les complotistes. Depuis peu dans le comité de
rédaction de Franc-Tireur, c’est une audience plus large encore qui peut
découvrir les travaux de l’inlassable chercheur qui avoue qu’au départ, les théories
du complot ne le passionnaient pas plus que ça.
Le plus marquant de l’ouvrage réside certainement dans la
lecture des réactions très souvent rageuses de ses contradicteurs qui, pétris de
violence et, pour certains, d’envies de meurtre, crachent leurs insultes au
visage d’une équipe qui n’a qu’une volonté, celle d’éclairer le public pour qu’ils
ne se laissent pas duper par ceux que d’autres appellent « les artisans
de la haine ». A elle seule, la lecture de ces commentaires, souvent
anonymes, devrait décrédibiliser celles et ceux qui les profèrent. Ce serait si
simple, et pourtant ….
Pourtant, à l’heure de la libération de la parole
extrémiste, de celle qui n’a plus aucune limite tant dans son contenu que dans
sa diffusion (les algorithmes effectuant le travail), ce sont bien les comptes des
menteurs qui sont le plus suivis sur les réseaux sociaux. Le jeu de les contrer
en vaut-il la chandelle quand on a une famille et qu’on la menace de mort ?
Est-ce qu’il faut courir le risque de continuer à se battre avec la science
comme seule arme quand un livre calomnieux est publié sur vous et vendu sur
toutes les grandes plateformes de e-commerce ?
Le travail que mène Rudy Reichstadt n’est pas vain et doit
être relayé par toutes celles et ceux qui sont en contact avec un jeune public
avide de connaissances et de vérité. Enseignants, pédagogues, médiateurs…
devraient tous récupérer les fruits du travail long et fastidieux de l’équipe des contributeurs de Conspiracy Watch pour alimenter leurs cours et
leurs réflexions et les transmettre avant que les faiseurs de haine ne s’emparent
de la jeunesse. Une fois que le ver est dans le fruit, il sera plus difficile
de l‘extraire que de l’empêcher d’y rentrer en exerçant l’esprit critique dès
le plus jeune âge.
Pris parfois au dépourvu, le pédagogue a du mal à trouver
les mots pour débattre ou pour contrer une idée fausse. Exprimer son avis de
façon claire et compréhensible peut s’avérer ardue. Cette collection de livres,
que certains trouveront onéreuse (15 euros pour 115 pages en général), a le
mérite de donner la parole à des spécialistes qui savent de quoi ils parlent et
qui maitrisent parfaitement leurs sujets (Delphine Horvilleur, Richard Malka…).
Devant la difficulté d’aborder en public les questions sensibles (extrémismes
religieux et politiques, racisme, antisémitisme, communautarismes en tous
genres), la lecture d’ouvrages comme celui de Rudy Reischstadt devient
indispensable car elle constitue un levier pour éclairer, argumenter et rendre
facile une discussion ou un débat qui peut faire peur à l’origine. Et pour les
plus patients, ils se consoleront lorsque, quelques mois plus tard, les mêmes
ouvrages paraitront en poche à un prix plus abordable.
dimanche 10 septembre 2023
Otakar Vavra (réalisation) et Ester Krumbachová (scénario), Un marteau pour les sorcières (Kladivo na čarodějnice) Coffret digipack Blu Ray + DVD, Artus films, Alignan du vent, 2023.
Otakar Vavra (réalisation) et Ester Krumbachová (scénario), Un marteau pour les sorcières (Kladivo na čarodějnice) Coffret digipack Blu Ray + DVD, Artus films, Alignan du vent, 2023.
N’attendons
pas que quelques réactionnaires machistes, aigris et chauvins appellent à
organiser un procès en sorcellerie pour mener au bûcher le casting et le staff
responsable du film Barbie pour nous pencher sur une œuvre méconnue du filone
« films de chasse aux sorcières ». Oubliez les barbecues de saison et préparez bûchers et poucettes, ça va torturer !!!
Le génial documenteur Häxan : la sorcellerie à travers les âges du
danois Benjamin Christensen (1922) ou le récit de folk-horror The
VVitch : a New England folktale de Robert Eggers (2015) sont deux œuvres
de référence sur le sujet. Au tournant des années 1968-1970, quelques films
hauts en couleurs ont marqué les esprits et pupilles des cinéphages : le
fabuleux western british The Witchfinder General du regretté
Michael Reeves, The Bloody Judge du prolifique Jess Franco ou l’effroyable
Hexen bis aufs Blut gequält de Michael Armstrong et Adrian Hoven. Ces
trois films ne sont guère avares en tortures, supplices et horreurs diverses.
Le métrage du réalisateur Otakar Vavra pourrait paraître bien sage en
comparaison de ces films mais il s’agit d’une œuvre qui mérite grandement d’être
redécouverte et d'être placée aux côtés des oeuvres de références auparavant citées.
Le cinéaste Tchèque adapte en 1970 un roman éponyme de Václav Kaplický. Le récit se concentre sur les procès de sorcellerie conduits par Jindřich František Boblig von Edelstadt en 1670, en Moravie.
« Moravie,
1670. Pour avoir dérobé une hostie, croyant soigner sa vache ne donnant plus de
lait, une vieille femme se fait accuser de sorcellerie. Le seigneur du pays
fait alors venir un tribunal de l’Inquisition pour la juger. L’inquisiteur,
Boblig von Edelstadt, s’appuie sur le célèbre manuel Malleus Maleficarum pour
mener les interrogatoires. Mais, très vite, les tortures vont succéder aux
dénonciations, et les bûchers vont s’allumer, toujours plus nombreux… »
Le titre renvoie au Malleus Maleficarum, le traité signé par Heinrich Kramer Institoris et Jakob Sprenger, best-seller de la chasse aux sorcières de multiples fois réédité entre 1487 et 1669 et ce malgré sa mise à l’index par les autorités catholiques. Le film s’ouvre sur la fameuse illustration de Goya el sueño de la razón produce monstruos. Et c’est bien d’obscurantisme triomphant, de manipulation et de « sommeil de la raison » dont il est question dans ce métrage.
La photographie en noir et blanc du chef opérateur Josef Illik capte de manière impeccable mais implacable la destruction d’une communauté toute entière par l’inquisiteur Boblig. Devant la caméra de Vavra, l’inquisiteur est un rustaud qui n’est pas allé au bout de ses études de droit et travaille dans une taverne lorsqu’on vient le chercher pour traduire en justice les sorcières et sorciers suspectés. Le contraste est saisissant entre cette communauté d’aristocrates ou de bourgeois lettrés et éclairés, amateurs de musique et de belles lettres et cet inquisiteur grossier, avide, intéressé et corrompu. Boblig n’a rien d’un fanatique religieux mais tout de l’arriviste seulement attiré par les biens et les femmes de cette communauté morave qu’il s’emploie à dépouiller impitoyablement.
Là où Michael Reeves ou Michael Armstrong s’affranchissent du souci de reconstituer fidèlement la période moderne pour insister, avec une certaine complaisance pour le second, sur les tortures infligées aux femmes, Vavra s’attache à soigner son cadre, ses costumes et sa reconstitution plutôt méticuleuse de l’époque moderne. Ce sont moins les supplices que les conséquences de ceux-ci sur les suppliciés qui intéressent le réalisateur. Quelques séquences de tortures cruelles sont bien présentes, dont une pénible séance de « poucettes », mais Kladivo na čarodějnice est moins un torture porn qu’un drame historique très soigné. Le second élément qui vient scander le film, ce sont ces pieux carbonisés et ces restes de bûchers qui s’alignent au fur et à mesure des exécutions. D'aucuns noteront que la représentation des crémations est certes erronée mais l'effet dramaturgique en est certain. A l’issue du film, Boblig quitte la Moravie le ventre plein, les poches pleines et faute de victimes à juger, torturer, exécuter et spolier…
D’emblée
le contexte chronologique (le tournant 1968-1970) et géographique (la Tchécoslovaquie
alors derrière le Rideau de Fer) de réalisation appelle une mise en perspective de ce
procès à grand spectacle avec les simulacres de procès des totalitarismes
communistes ou ceux de la witch hunt du sénateur McCarthy. Otakar Vavra
a été forcé de collaborer avec l’occupant nazi puis avec les autorités communistes.
Il n’est pas aisé de déterminer s’il fustige dans ce film le camp occidental ou
la « justice » communiste. Et ce n’est guère important tant le propos
est puissant. Dans son récit, la chasse aux sorcières n’est jamais une histoire
de religion ou de conviction mais une persécution motivée par l’avidité et la
cupidité. La dimension féminicide du processus inquisitorial est également très appuyée. De
ces premières images de femmes heureuses et, d’une certaine manière, libérées à
leur funeste destin de femmes torturées et assassinées, il y a quelque chose à
remarquer et à relever. Il peut paraître surprenant de voir un cinéaste engagé politiquement dans le communisme prendre parti pour des bourgeois et des ecclésiastiques menacés par un inquisiteur dépeint comme pourfendeur d'une certaine élite éclairée. Cependant, le carton titre pose clairement les choses : le réalisateur est dans le camp de la Raison et des Lumières et non dans celui de l'obscurantisme.
La
relecture et mise en scène du récit de ce procès dans le contexte des années
1968-1970 est fascinante de lucidité et de pertinence. Dans un contexte toujours
plus dur de poussée des idées conservatrices anti-révolutionnaires et
anti-Lumières, le procès en sorcellerie fait au film Barbie au nom d’une
lutte contre un « capitalisme consumériste » et un « progressisme
hédoniste » adossés tous deux à un « mondialisme triomphant » ne
doit pas laisser indifférent. Laisser des Boblig cupides, avides et enragés s’installer
comme des vers dans une pomme ne peut conduire qu’à un unhappy end, tout comme dans le film présentement chroniqué…
jeudi 24 août 2023
Gabriele Mainetti (réalisation et scénario), Freaks out, Metropolitan Vidéo, Paris, 2022.
Gabriele Mainetti (réalisation et scénario), Freaks out, Metropolitan Vidéo, Paris, 2022.
A
peine trois ans après la diffusion de la série Holocaust sur la chaîne
américaine NBC, Chris Claremont fait entrer la Shoah dans l’histoire des X-men
de la Marvel dans l’épisode 150 de la série Uncanny X-men (juillet
1981). Le « mauvais » mutant Magneto se rappelle le funeste destin de
sa famille exterminée par les Nazis. Le personnage est entièrement redéfini et
réinventé au cours des années 1980 et de persécuteur raciste et extrémiste, il
devient rescapé traumatisé et hanté par les souvenirs sombres de l’extermination
des Juifs d’Europe par les Nazis. De 1981 à 2000, le passé de Magneto et son
impact sur la psyché du personnage sont explorés et étoffés au gré de
nombreuses séries ou mini-séries dans lesquelles le mutant apparaît.
En 2000,
avec l’adaptation au cinéma des aventures des X-men par Bryan Singer, c’est un
public encore plus large qui découvre dès l’ouverture du film le triste passé
du héros. Les images représentant la Shoah restent gravées dans les mémoires de
millions de spectateurs : pluie, travaux forcés,
camps de concentration, séparation des familles, matricules tatoués, extrême
maigreur et faiblesse des déportés… En 2011, le court prologue mis en scène par
Singer est repris, dilaté et complété dans le film X-men First Class. La Shoah et la persécution des Juifs par les
Nazis sont devenues parties intégrantes de la « franchise X-men ».
La critique donne souvent de certains cinéastes italiens l'image de pistoleros ou mercenaires de la pellicule prêts à toutes les folies et exubérances. Avec
Lo chiamavano Jeeg Robot, Gabriele Mainetti rendait un hommage très
personnel et original aux créations de Go Nagai, père entre autres de Goldorak,
et clamait son amour pour les super-héros et la culture pop. Freaks out
est un peu une réponse baroque, extravagante et poétique aux très hollywoodiens
X-men...
En 1943, à Rome durant la Seconde Guerre mondiale, Matilde, Cencio, Fulvio et Mario sont quatre freaks du cirque Mezzapiotta, propriété d'un dénommé Israël. Ils ont chacun des pouvoirs surnaturels : l'électricité, le contrôle des insectes, la force surhumaine ou le magnétisme comme un certain Magneto. Ce sont aussi des monstres de foire : nain, albinos ou homme-bête. Séparés d’Israël, les freaks se retrouvent sur les routes dans une Italie en guerre contre elle-même et en partie occupée par les Nazis…
Les influences cinématographiques sont nombreuses dans ce film : le Freaks de Tod Browning y croise une dépiction crue et violente de la guerre que ne renierait pas un Sam Peckinpah. Certains passages, notamment ceux mettant en scène la jeune Matilde, sont empreints d’une poésie baroque qui fait songer à Guillermo del Toro. La photographie est magnifique. Les mouvements de caméra sont amples et maîtrisés. Les longs plans séquences entraînent le spectateur dans un spectacle ambitieux qui se teinte d'accents carpentériens bienvenus. Le film n'est cependant pas qu'un agrégat d'influences ou de plans en hommage à. Manetti cultive un goût certain pour l’étrange et le curieux ainsi qu’une affection certaine pour ces monstres balançant entre survie et résistance. Le film est fou et attachant, extrêmement personnel et audacieux.
Sur leur route, les quatre héros croisent un autre freak au service du Reich, Franz, un pianiste allemand doté d’un sixième doigt. Véritable monstre sensible à l’art et hanté de visions du futur (pêle-mêle : le cube Rubiks, le I-phone, les missions Apollo, le suicide d’Hitler…), Franz souhaite offrir au Führer des super-héros. Ce que les freaks ne sont pas !
Dans la presse cinéma, certains ont cru pertinent de comparer Freaks out à Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. L’argument de ces critiques réside dans l’aspect volontairement « exploitatif » et « débridés » voire borderline des deux métrages. Mais là où Tarantino n’apparaît que comme un adulescent dans sa manière caricaturale et grotesque de réinventer la Seconde Guerre Mondiale, Mainetti s’empare d’un épisode particulièrement dramatique de l’histoire contemporaine italienne pour frapper le spectateur en plein cœur. Et c'est là qu'il fait la démonstration de sa maturité de cinéaste et ce, même si le spectateur inattentif à tôt fait d'étiqueter le métrage comme simple fourberie ritalienne aux accents de fumetti dégénérés... Du cœur, les personnages du film et le film lui-même en sont emplis.
A côté de cela, Mario, le nain doté de pouvoirs magnétiques est également sujet à de fréquentes crises de priapisme. Oui Tarantino est battu à plate couture par son collègue italien en matière de bizarrerie et de mauvaises blagues !
«
De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. » La devise super-héroïque forgée par
Stan Lee et Steve Ditko vient irrémédiablement à l’esprit à la vision du dernier
quart du film. D'une manière beaucoup plus colorée, Mainetti fait des ses freaks des émules des X-men, ces mutants qui luttent pour protéger les humains qui pourtant les craignent et les haïssent. Le spectateur sent bien que le bonhomme est littéralement imprégné de culture populaire ! Le réalisateur met en images la rafle du ghetto de Rome et la
déportation des Juifs arrêtés vers Auschwitz en octobre 1943. Et les freaks épaulés par un groupe de
résistants constitué essentiellement de laissés pour comptes, éclopés et mutilés
s’en vont combattre les Nazis et libéré leur compagnon Israël… Le film délaisse
l’imagerie posée par Bryan Singer dans X-men (pluie, travaux forcés,
camps de concentration, séparation des familles, matricules tatoués…). Gabriele
Mainetti s’attache à retravailler les images de la déportation : arrestations,
camions, trains… Certes ces représentations fictives appellent une analyse et une
mise en perspective avec des sources ou études historiennes. Mais…
En Italie comme ailleurs, la mémoire de la Shoah est en compétition avec d'autres mémoires et les souvenirs de cette période sont gênants voire humuliants pour certains. L'historien Lanfranco Di Genio, dans une réflexion sur le refoulement des crimes fascistes et le mythe du bon italien, constatait en 2010 : « À la Libération, les nations libérées pouvaient se réjouir de la victoire sur les nazis, tandis que les quelques survivants juifs n’avaient rien à fêter : ils avaient tout perdu et ils ne savaient pas où aller.» Mainetti, dans un numéro d'équilibrisme plus réfléchi et mûri qu'il n'y paraît, touche à cette mémoire avec une certaine candeur teintée de justesse. Dans son récit de fiction, il donne quelque-chose à célébrer aux survivants des persécutions nazies. Cette relecture super-héroïque de la Seconde Guerre Mondiale qui ne saurait se résumer à un « les super-éclopés contre les Nazis » vaut le coup d'oeil ! D'autant que dans le registre du cinéma populaire transalpin, ce petit film qui a un grain est aux antipodes des crapoteuses pellicules de nazisploitation de la décennie 1970 !
Tonitruant, exubérant, violent, drôle, fou, dérangeant, touchant, courgeux, autre… Freaks out est tout cela et c’est un véritable film freak qui mérite d’être vu pour sa singularité et sa sincérité. C’est également une contre-proposition fascinante aux films de super-héros hollywoodiens dont le filone surexploité semble amené à se tarir incessamment sous peu…
lundi 14 août 2023
Vassili GROSSMAN, Vie et destin, Paris, Livre de Poche, 2005
Vassili GROSSMAN, Vie et destin, Paris, Livre de Poche, 2005, 1173 p.
Vie
et destin fait partie de ces livres dont
on lit des extraits, dont on peut entendre parler dans les colonnes du Monde
ou sur « France Culture » sans pour autant ne l’avoir jamais lu. Pourtant,
la lecture de ce roman s’avère essentielle car son ampleur littéraire, historique
et philosophique est alors accessible. Les quasi 1200 pages de Vie et destin,
réédité en livre de poche en 2005 offre au lecteur plusieurs perspectives
toutes aussi capitales les unes que les autres : compréhension fine du
fonctionnement des totalitarismes russes et allemands, de la place centrale de
la bataille de Stalingrad dans la Seconde Guerre mondiale, de l’antisémitisme
des sociétés européennes dans les années quarante, du panel d’attitudes
possibles face à la terreur et la violence quotidienne des guerres et des régimes
totalitaires, appréhension profonde et délicate des sentiments et des émotions (amitié,
amour, culpabilité, angoisse…) dans un contexte qui les menace et les amplifie.
L’idée
ici n’est ni de réécrire, ni de répéter les nombreuses analyses qui existent de
ce roman russe qualifié tantôt de « classique » tantôt de « chef
d’œuvre ». C’est incontestablement un monument. L’histoire du manuscrit
suffirait à justifier l’importance qu’il y a à s’y plonger. Transmis par
Vassili Grossman au journal Znamia en 1962, il est immédiatement transféré
au KGB. Peu de temps après, le KGB récupère les manuscrits, les brouillons et
les rubans de machine au domicile de Vassili Grossman. Cette démarche radicale
est inédite pour un roman. L’autre exemple de confiscation d’un manuscrit (au
lieu de son interdiction) est celle de l’Archipel du Goulag une dizaine
d’années plus tard. Mais L’Archipel
n’est pas un livre de fiction, Vie et destin, si. Ainsi, le régime
soviétique, Staline en personne, se sont, à un moment donné, sentis menacés par
cette fiction. Quelle meilleure manière pour donner l’envie de le lire !
Peut-on rêver meilleur « teasing » ? Si Vassili Grossman meurt
malheureusement moins de deux ans après la confiscation du manuscrit, vingt ans
plus tard, deux manuscrits ressortent de la Loubianka, siège du KGB, sans que
l’on sache vraiment comment. Restait alors un long travail d’analyse croisée des
deux manuscrits pour constituer une version « définitive » du chef
d’œuvre que les lecteurs français ont pu découvrir une première fois en 1983
aux éditions L’âge d’homme.
Vie
et destin est un roman russe : il multiplie
les lieux, les personnages dont les vies se croisent, les analyses des
sentiments et les réflexions historiques, philosophiques et littéraires. S’il
faut quelque temps pour saisir l’ensemble des personnages et leurs relations,
on comprend vite que chacun d’entre eux s’attache à un lieu et correspond à un
type qui permettent de décrire les sociétés soviétiques et allemandes au moment
de la bataille de Stalingrad (plus exactement de septembre 1942 à avril 1943). L’essentiel
du roman est construit autour de l’histoire de la famille Chapochnikov (Strum,
Anna sa mère, Lioudmilla son épouse, Evéguénia sa belle-sœur) de celle des militaires
soviétiques et nazis au front à Stalingrad (Novikov, Grekov, Krymov, Darensky,
Bach, Paulus, Liss) et de celle de prisonniers (Mostovskoï, Sofia, Anna et
Krymov). Le lecteur passe donc du front (Stalingrad, Ukraine) aux camps et
centres de mise à mort (goulag, Auschwitz) en passant à l’arrière par la
Loubianka, les arcanes du parti unique, l’académie des sciences soviétique au
sein desquelles les discussions plus ou moins amicales ne sont jamais
innocentes, par les rues sombres de Moscou, de Kazan ou les lieux les plus
dangereux de Stalingrad (maison 6 bis, centrale électrique…).
Cette
multiplicité des lieux et des personnages permet à Vassili Grossman de comparer
les deux totalitarismes pour montrer qu’ils sont identiques dans leur objectif
et leur fonctionnement. Cet article n’a pas pour but de discuter de ce débat
historiographique qui a traversé le deuxième XXe siècle et n’a pas
encore fini de stimuler la réflexion au XXIe. Quelle que soit la
réponse apportée, la démonstration de Vassili Grossman est captivante pour ne
pas dire déstabilisante. Elle s’appuie sur la littérature et le langage pour
affirmer l’analogie des deux systèmes. Ainsi, à de multiples reprises, les
expressions employées par les personnages allemands pourraient parfaitement
l’être par les Soviétiques et inversement. Ce jeu sur la symétrie du langage
qui trompe volontiers le lecteur est l’une des grandes forces de l’écriture de
Vassili Grossman.
Malgré
l’ampleur du roman, chaque chapitre nourrit l’intrigue et approfondit la
réflexion. Tout fait sens et permet l’analyse historique et politique de la
période mais également l’incarnation de ses enjeux dans les émotions qui lient
les personnages. C’est le temps pris par la lecture, celui du déploiement des
différentes intrigues, qui permet de saisir la conception de l’humanité de
Vassili Grossman. Quelques chapitres, véritables pauses dans le déroulé du
récit, explicitent les conceptions de l’auteur : l’analyse du
totalitarisme (chapitre 49, partie 1), du bien et du mal (chapitre 15, partie
2), de l’antisémitisme omniprésent (chapitre 31, partie 2) et des projections
sur les conséquences de Stalingrad (chapitre 19, partie 3). Vassili Grossman donne
à comprendre progressivement que les deux totalitarismes prétendent agir au nom
du bien pour commettre le pire et ce, par le truchement d’un État auquel
s’oppose l’individu, excepté les individus que l’État a réussi à façonner et
soumettre. Si cette soumission est souvent définitive, Vassili Grossman,
d’abord artiste au service du pouvoir stalinien, est la preuve qu’une prise de
conscience individuelle est possible. Avec lui, son livre est la preuve que la
plume, pourtant dérisoire et fragile, peut faire peur au pire des mécanismes.
Ainsi, l’espoir demeure puisque la bonté humaine préserve le vivant (et avec
lui le changement à venir) même lorsqu’un dictateur et sa bureaucratie sont
omnipotents et coupables d’horreurs alors inédites.
Tout
est à lire donc ! Cependant, quelques morceaux d’anthologie sont à
souligner car ils réussissent à faire comprendre et ressentir au plus profond
de soi la terreur et les horreurs commises par les totalitarismes soviétique et
allemand, pourtant habituellement presque indicibles.
Concernant
le génocide commis par les nazis à l’encontre des juifs, Vassili Grossman
réussit à trouver les mots, et même la poésie, pour mieux dire l’horreur et
rendre l’inhumanité palpable. On pense immédiatement aux 16 pages de la lettre écrite
par la mère de Strum (Anna) à son fils depuis le ghetto de Varsovie avant sa
mort et qui est certainement le passage le plus connu du roman (chapitre 16,
partie 1). Il en est de même à travers le personnage de Sofia Ossipovna,
médecin major de l’armée rouge, arrêtée à Stalingrad qui accompagne un enfant,
David, depuis les wagons à bestiaux jusqu’aux chambres à gaz (chapitres 42 à
48, partie 1 et chapitres 39 à 50, partie 2). Ces chapitres sont à titre
personnel ce que j’ai lu de plus poignant sur ce sujet si délicat et si
difficile à dire.
Sur la
fragilité des trajectoires individuelles dans un régime totalitaire, le passage
toujours possible de la lumière à l’ombre via la délation, l’enfermement et la
mort, les parcours de Strum et Krymov sont incroyablement éclairants. Strum,
parce qu’il fait une découverte exceptionnelle en physique nucléaire, voit
s’abattre un antisémitisme brutal de la part de ses collègues de l’académie des
sciences (alors que comme sa mère, il n’avait jusque-là presque pas conscience
de sa judéité) qui l’oblige à disparaitre socialement et professionnellement.
Il vit dans la terreur constante après avoir refusé de rédiger une lettre de repentance
et de se présenter au tribunal organisé par ses supérieurs. La lumière vient finalement
du coup de téléphone rédempteur de Staline qui lui redonne existence. Mais Strum
est bientôt lui-même confronté à l’obligation de dénoncer un ami pour conserver
son nouveau statut d’homme du parti (chapitres 25-27, 51-54 de la partie 2,
chapitres 20-21, 25, 39-41 et 52-55 de la partie 3). La lumière, l’ombre, la
lumière, l’ombre et cette impression que personne ne maîtrise son propre
parcours dans la mesure où chaque vie est transparente et aléatoire car soumise
en permanence au jugement de l’autre et à son écho immédiat. Krymov ne dirait
pas autre chose, lui à travers qui le lecteur, découvre les geôles du KGB et le
déroulé de leurs interrogatoires interminables. Krymov, communiste et
intellectuel, est progressivement transformé en cadavre vivant (chapitres 1-6,
22-23, 42-43, 56-57 de la partie 3). L’officier Novikov, quant à lui, frôle la
mort pour avoir retardé, contre les ordres qui lui étaient transmis, le dernier
assaut soviétique de 8 minutes afin de sauver ses hommes.
Sur
la similitude entre les deux totalitarismes enfin, de très nombreux passages
éclairent ce point de vue. Cepdendant le chapitre 14 de la deuxième partie est
particulièrement exceptionnel et explique à lui seul en quoi cette œuvre
littéraire, fictionnelle a fait trembler l’URSS. Pendant 17 pages, Liss, un
haut dignitaire nazi, directement placé sous les ordres d’Eichmann, tente de
déstabiliser Mikhaïl Sidorovitch Mostovskoi en lui démontrant que le nazisme et
le stalinisme sont de même nature, alors que cet ancien bolchévik, enfermé dans
un camp de concentration nazi, essaie d’y organiser la résistance. Cet échange
est troublant et invite à une réflexion, parfois vertigineuse qui est celle du
lecteur car celle de Mostovskoï lui-même.
Ce
roman exceptionnel fait incontestablement partie des œuvres majeures du XXe
siècle, par l’histoire de son manuscrit et de son auteur, par son apport
littéraire, philosophique, historique et pour cet espoir absolu et si fragile
en l’humain et en la bonté. Partout, tout le temps, pointe la puissance invincible
des sentiments et des émotions : dans les tranchées, les abris souterrains
de Stalingrad, les camps, les geôles et les centres de mise à mort, dans les
milieux professionnels et au sein des familles. Il suffit de relire l’attitude
de l’officier Grekov, bloqué dans la maison 6 bis sous les bombes à Stalingrad,
face à l’amour naissant (et quasi condamné par la violence environnante) entre un
jeune soldat, Sérioja, et Katia, chargée de la radio dont Grekov lui-même,
largement plus âgé, est amoureux. Lorsque Grekov permet astucieusement aux deux
jeunes amoureux de quitter les lieux en donnant à cette aubaine l’apparence
d’une décision disciplinaire, le lecteur ressent une profonde tendresse pour le
vieil officier. Il embrasse immédiatement le regard de Sérioja qui « se
rendit compte que des yeux merveilleux le fixaient, des yeux intelligents et
tristes, des yeux comme il n’en avait jamais vu de sa vie. » Oui, Vassili
Grossman propose un regard merveilleux, intelligent et triste sur l’humanité,
en particulier lorsque les systèmes et les événements la nient.
lundi 7 août 2023
Garth Ennis (scénario), Peter Snejbjerg et Russ Braun (dessin), Battlefields : femmes en guerre, Komics Initiative, Notre-Dame-d’Oé, 2023.
Garth Ennis (scénario), Peter Snejbjerg et Russ Braun (dessin), Battlefields : femmes en guerre, Komics Initiative, Notre-Dame-d’Oé, 2023.
Putain de guerre !
Garth
Ennis est un auteur de comics américains d’origine irlandaise connu pour ses
écrits très rentre-dedans, son humour caustique voire gras et un penchant
certain pour les récits violents ou ultra-violents. Ses oeuvres-phares sont Preacher
paru sous le label Vertigo, sa relecture bourrin du Punisher ou The Boys,
comic-book popularisé par la série Amazon Prime. Ennis n’aime pas les super-héros et
ne se gêne pas pour les tourner en dérision et alerter ses lecteurs sur les
risques des dérives liberticides des exploits de certains vigilantes… Le lecteur ne doit donc pas s'attendre ici à des récits édifiants mettant en valeur des super-héroïnes mais bien à des petites histoires de guerre ramenant les choses à hauteur de femme. Sa démarche n'est pas sans rappeler celle de Pat Mills sur La Grande Guerre de Charlie.
Mickael Géreaume, directeur de la maison d'édition furieusement indépendante Komics Initiative, édite en deux tomes les épisodes de la métasérie Battlefields, publiée entre 2008 et 2013 par Dynamite aux Etats-Unis. Ce tome centré sur les destins de deux femmes durant la Seconde Guerre Mondiale est illustré par le Danois Peter Snejbjerg et l’Américain Russ Braun. Force est de constater que l’auteur irlando-américain quitte quelque peu son habituel ton roublard et caustique pour brosser deux portraits de femmes prises dans l’horreur de la guerre.
Le premier récit relate le sort de Carrie, une infirmière britannique dans l’horrible théâtre de la guerre du Pacifique. Dès la première page, le lecteur découvre frontalement, mais sans aucune esbroufe ou aucun mauvais goût, les viols perpétrés par les soldats japonais sur les femmes de guerre britanniques. Carrie est du nombre des femmes violées et mitraillées. Elle survit, se reconstruit et doit vivre avec ce traumatisme. Elle poursuit sa tâche du mieux qu’elle peut auprès des pilotes anglais blessés et mutilés…
Les violences de guerre sont montrées sans détour au lecteur. La violence graphique peut choquer et c'est bien entendu la volonté d'Ennis d'estomaquer son lectorat. Le ton n’est pas celui d’un récit d’action ou d’aventure mais bien d’un récit de guerre. Le soin apporté par le scénariste et son dessinateur aux recherches documentaires est scrupuleux. Ennis trouve les mots justes pour dépeindre les tourments et traumatismes de Carrie. Le tragique l’emporte dans ce récit à hauteur de femme de la guerre… Le récit est dur et difficile pour l’auteur qui multiplie les choix courageux comme pour le lecteur qui prend des coups comme les personnages de cette fiction fortement documentée.
Ennis
n’héroïse pas à outrance son personnage. C’est là un trait commun à tous ses
scénarii. Il rend Carrie aussi attachante que fragile et irrémédiablement
détruite par la guerre. La narration n'est jamais gnangnan et l'auteur s'attache à créer un personnage doté d'une belle épaisseur psychologique, touchante et crédible.
Le second récit est plus long et non moins ambitieux et s’attache à l’histoire d’Anna, pilote soviétique engagée sur le front européen. Ennis balaie la période de la Seconde Guerre Mondiale mais poursuit son histoire au-delà du conflit. Sans détour une fois encore, l’auteur dépeint les violences de guerre sans occulter les violences sexuelles dont sont victimes les femmes pilotes. Dès les premières pages, se pose la question d’un égal traitement des soldats hommes et femmes dans l’Armée Rouge. La guerre est montrée comme une boucherie broyeuse d’hommes et de femmes dans les deux camps qui s'opposent. Anna, à bord de son avion, s’efforce de survivre et survoler les horreurs du conflit. Elle ne sort pas indemne des effroyables affrontements aériens. Le crash est synonyme de mort, blessures ou des pires atrocités aux mains de l’ennemi…
Ennis
n’épargne rien à son « héroïne » : abattue par les Nazis, elle
est capturée et emprisonnée puis « libérée », jugée pour trahison et déportée au
Goulag… L’affrontement des totalitarismes soviétique et nazi est crûment et
durement mis en scène par un auteur fermement décidé à n’idéaliser en rien le second
conflit mondial ! L'écriture est fine même si toujours aussi brutale. La guerre est sale, horrible, inhumaine et proprement
dégueulasse sous sa plume et le crayon de Russ Braun ! Fort heureusement
pour ce personnage attachant pour qui le lecteur frémit au fur à mesure que les
pages se tournent, Ennis lui ménage une sortie quelque peu… heureuse... enfin...
Carrie et Anna sont deux femmes extrêmement courageuses, fortes et fragiles à la fois, guidées par une volonté certaine et toutes les deux attachantes en raison de leur humanité fortement mise à l'épreuve par les événements guerriers qu'elles traversent et qui les affectent. Ce
volume consacré au sort de la « gente féminine » durant la Seconde
Guerre Mondiale est une lecture âpre mais prenante et donne furieusement envie
de découvrir le deuxième volume consacré aux « hommes en guerre ».