Robert Morales (scénario) & Kyle Baker (dessin), Captain America : la vérité, Panini Comics, Nice, 2025.
La vérité, en Histoire, est une notion pour le moins discutée et éparpillée pour le dire d'une manière simple.
La vérité ? L’histoire contemporaine des Etats-Unis n’a pas été écrite que par de « vrais » Américains Blancs Anglo-saxons et Protestants. John Basilone, sergent du corps des Marines, véritable Captain America de la bataille de Guadalcanal, mort au combat à Iwo Jima et récipiendaire de la Médaille d’Honneur et de la Navy Cross, ce brave gars est le sixième d’une famille de dix enfants dont le père est un immigré italien et la mère issue de l’immigration italienne.
La vérité ? Jacob Kurtzberg AKA Jack Kirby l’un des deux pères du Captain America des comics est issu d’une famille juive immigrée et a également servi dans l’US Army en Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comme de nombreux artistes de comics de l’âge d’or ou de l’âge d’argent, il est enfant d'immigrés et cela transparaît dans ses créations. Si le wokisme existe, les comics ont toujours été woke parce que pensés, conçus et réalisés par des créateurs qui cherchent à montrer leur attachement à leur terre d’adoption. Siegel et Schuster en sont les exemples les plus parlants avec leur « Super-immigré » rescapé de Krypton qui porte haut la vérité, la justice et les valeurs si chères aux Américains !
La vérité ? Le très aryen Steve Rogers n’est pas le premier Captain America. Dans ce récit en sept chapitres, en 1942, un régiment de soldats afro-américains sert de cobayes à l’armée américaine qui cherche à mettre au point un sérum du super-soldat afin de pouvoir déployer sur les champs de bataille des super-soldats à même de vaincre les nazis ou les Japonais. Isaiah Bradley est l’un de ces soldats envoyés au camp Cathcart dans le Mississippi. Au quotidien, il est victime du racisme ordinaire de la société américaine des années 1940. Patriote et volontaire, il se soumet aux tests opérés sur lui et ses camarades. Nombre d’entre eux meurent après injection du sérum. Isaiah survit et son corps se transforme. Il devient un super-soldat, super-fort, super-agile, super-motivé. Il vole le costume de Captain America et gagne l’Europe où il combat les nazis, découvre l’horreur des expérimentations médicales dans les camps de concentration ainsi que les chambres à gaz…
La vérité ? Publiée initialement en 2003 sous le titre Truth : Red White & Black, cette série écrite par le journaliste Robert Morales s’inspire de l’étude de Tuskegee sur la syphilis et des expérimentations illégales pratiquées sur des patients afro-américains par le Service de Santé publique des Etats-Unis à partir des années 1930. Ce scandale sanitaire est révélé dans les années 1970. Il n’est qu’un des nombreux mauvais souvenirs qui pèsent sur la conscience états-unienne. Kyle Baker, cartooniste et dessinateur, met son trait caricatural au service de cette histoire certes fictive mais qui s’applique à illustrer de manière très vivante le racisme de la société des Etats-Unis au cours des années 1940. Le trait très expressif tranche avec la couverture très super-héroïque signée Joe Quesada mais elle ne gâche pas la lecture du présent ouvrage. En fin d’album, pour chaque chapitre, des notes viennent expliciter les sources et références historiques et permettent d’ancrer le récit dans le contexte très discriminant de la Seconde Guerre Mondiale.
La vérité ? Le Marvel Cinematic Universe (MCU) n’a rien d’une pierre philosophale et ne parvient pas à transcender le matériau comic-book pour en faire des métrages d’exception à même de secouer le public et de l’amener à se questionner. Isaiah Bradley apparait dans le tout récent Captain America Brave New World, métrage qui n’a pas atteint les sommets espérés au box-office. La réédition du présent ouvrage n’est pourtant pas une mauvaise chose en 2025. Alors que l’administration Trump s’est lancée dans une grande entreprise de « purification » du récit national états-unien, ce grand et bel ouvrage est un très beau et bienvenu rappel des racines beaucoup plus bigarrées et métissées de la société américaine que celles tant vantées et fantasmées par tous ces mâles alphas blancs plus ventripotents qu’autre chose ! Réinjecter un peu de Rouge ou de Noir dans l’Histoire des Etats-Unis ne semble pas complètement insensé par les temps qui courent !
La vérité ? Où est l’Axe du Mal dans ce récit dans lequel les expérimentations du gouvernement américain sur les soldats afro-américains ne diffèrent pas trop de celles menées par les nazis sur les juifs d’Europe !?! Bonne question... Sous ses apparences parfois grossières et cartoonesques, le présent récit pointe plus de choses du doigt qu’il n’y paraît et invite son lecteur à réfléchir, s’interroger, se renseigner sur nombre de choses.
Make America Red, White and Black Again ? Yep ! Gommer de l'Histoire des Etats-Unis les récits dits clivants pour ne conserver qu'un récit célébrant l'unité, c'est refuser de se confronter à des épisodes douloureux et à des clivages bien présents aujourd'hui encore, c'est aussi se renier soi-même et s'enfermer dans une sorte de fable mensongère sur ses origines et sur l'histoire de son pays... Pas forcément un choix très heureux... Et certainement pas un modèle à suivre !
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