mercredi 9 avril 2025

Michelle Zancarini-Fournel, Sorcières et sorciers : histoire et mythes, lettre aux jeunes féministes, Libertalia, Montreuil, 2024.

 

 
 

Michelle Zancarini-Fournel, Sorcières et sorciers : histoire et mythes, lettre aux jeunes féministes, Libertalia, Montreuil, 2024.

Le best-seller de Mona Chollet est peut-être tombé des mains de l’historienne Michelle Zancarini-Fournel, le présent texte relativement court (moins de 150 pages), synthétique mais essentiel n’en constitue pas moins une critique et une réponse historienne et d’historienne à Sorcières : La puissance invaincue des femmes. C’est cependant un tout autre événement qui pousse l’historienne à s’interroger sur les sorcières, la chasse aux sorcières, le prétendu féminicide massif… Ce sont les jeunes féministes défilant en 2017 dans les rues de Paris en scandant des « Macron au chaudron ! » et en se posant comme les héritières de ces sorcières, femmes puissantes massacrées lors des chasses aux sorcières des 15ème au 17ème siècle.



Partant des chiffres avancés pour dresser le bilan du plus grand féminicide de l’histoire du monde occidental, Michelle Zancarini-Fournel s’interroge, interroge les sources et historiens spécialistes, analyse les influences de la culture populaire et re-contextualise absolument toutes les informations qu’elle collecte ici de manière méthodique et appliquée. Il ne lui importe pas de démonter le discours des jeunes féministes mais de les pousser à remettre en question un certain nombre d’idées reçues, de préjugés et de grossières erreurs historiques qui se perpétuent et alimentent des discours pas toujours très défendables.

Avant de s’adresser directement aux jeunes féministes, l’historienne raisonne en trois temps : elle s’interroge sur l’événement lui-même qu’est la chasse aux sorcières avant d’aborder la construction du mythe qu’il génère pour enfin s’attarder sur les processus mémoriels. Une démarche simple et claire qui est celle d’une historienne.

La première idée qu’elle met en exergue est l’oubli volontaire ou non des sorciers dans la chasse aux sorcières. En scrutant les chiffres et les travaux d’historiennes et d’historiens, Michelle Zancarini-Fournel dénonce ce négationnisme et ramène le débat sur terre. Ladite chasse aux sorcières est aussi une chasse aux sorciers. Toujours dans l’étude des données chiffrées, elle s’emploie à démonter les accusations de féminicide de masse ou de crimes contre l’humanité. Pas de traces de millions de victimes ou de centaines de milliers de victimes. Elle remet également en cause le terme de sexocide brandi par certaines. D’où viennent alors ces propos et estimations délirants ?

C’est dans la fabrication du mythe de la chasse aux sorcières qu’il faut chercher des éléments de réponse. Les inévitables romantiques que sont Victor Hugo, avec Esméralda, ou Jules Michelet, avec sa sorcière, sont convoqués comme acteurs importants dans la fabrication de l’image de cette femme puissante victime d’un patriarcat brutal et obscurantiste. Michelle Zancarini-Fournel ne s’arrête pas à ces sources attendues et examine près de deux siècles de féminisme en France, en Italie ou aux Etats-Unis en cherchant à pister les échanges qui s’opèrent notamment dans la contre-culture ou la culture populaire du 20ème siècle.

En se baptisant elle-même streghe, witches ou sorcières, les féministes italiennes, américaines ou françaises entendent s’approprier la mémoire de ces femmes puissantes assassinées. Et ce n’est que tardivement que vient s’amalgamer à la figure de la sorcière ces idées du contrôle des naissances ou de la féminité ardemment réprimées par l’atroce patriarcat dominant. Le militantisme l’emporte sur l’historicité et tous les moyens sont bons pour ancrer dans les mémoires et esprits une guerre des sexes millénaires qui n’est pas prête de s’achever.



Au terme de son analyse d’historienne, l’auteure se résume, prend le temps d’envisager la figure de la sorcière dans le monde contemporain et s’adresse à ces féministes grimées et chapeautées qui veulent mettre Macron au chaudron. Elle les invite à réfléchir aux amalgames, aux données historiquement peu fiables et à critiquer l’image de cette femme puissante brimée et assassinée popularisée par Mona Chollet ou d’autres. Michelle Zancarini-Fournel comprend et inscrit ces revendications dans le moment #metoo. Elle n’est nullement anti-féministe bien au contraire mais simplement historienne. Et elle cite Martine Osterero, historienne helvétique :

« Les femmes dont j’étudie les procès, celles qui ont été traduites en justice et menées au bûcher, n’étaient en rien des femmes puissantes ou subversives. Ce sont des victimes de dénonciation, de jalousies, de querelles de voisinage qui dégénèrent en accusation de sorcellerie et qui débouchent sur l’aveu, sous torture, du crime de sabbat. »

Les sorcières brûlées sont bien des victimes mais surtout des femmes ordinaires parfois dénoncées par d’autres femmes. Elles sont parfois plus nombreuses que les sorciers, parfois moins, parfois autant. Une fois dégagés du male gaze, du female gaze ou du prisme déformant des sources inquisitoriales imbibées des fantasmes morbides et sordides des inquisiteurs, les sorciers et sorcières n’en sont que plus ordinaires et moins puissants qu’auparavant.

Michelle Zancarini-Fournel aurait pu donner bien des sous-titres à son court ouvrage : la chasse aux sorcières pour les nul(le)s, la méthode historique pour les nul(es)… Et c’est bien parce qu’elle se pose des questions d’historienne et emploie une méthode d’historienne que son étude est précieuse et indispensable en 2025. En remettant en question des données véhiculées par des best-sellers ou par la pop-culture ou par des discours militants un peu trop enfiévrés, l’auteure fait une analyse critique et mesurée. Par son geste d’historienne, elle rappelle que l’Histoire n’est aucunement un récit préfabriqué, orienté et falsifié dont on fait usage pour appuyer ses idées et son idéologie. A l’heure qu’il est, les négationnismes de tous les bords, les révisionnismes galopants et les falsifications sont toujours plus nombreux et inquiétants. Les réécritures ou tentatives de réécriture des récits nationaux par certaines administrations populistes ou ultra-conservatrices sont proprement saisissantes. Il n’est plus impossible d’entendre les ténors des partis d’extrême-droite brandir les figures de la lutte pour les droits civiques pour se poser en victime d’une justice partisane au service d’un système corrompu…

L’Histoire est une enquête. Elle n’est point une quête de Vérité ou de vérités. Elle réside dans le questionnement des sources et leur analyse critique. Elle nécessite une constante réflexion sur le contexte. Elle s’écrit et se réécrit, s’enrichit par la critique et se nourrit des contradictions et de l’approfondissement des études historiques non de la perpétuation d’un récit immuable.

Merci à Michelle Zancarini-Fournel pour sa vigilance, son humilité et son grand sens de la pédagogie !

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