Yann Moix, Terreur,
Grasset,
Paris, 2017.
Terreur
n'est pas un ouvrage d'histoire et ne se veut pas en être un. Yann Moix n'est
pas historien bien que ses références à l'histoire sont assez nombreuses dans
son dernier livre. Ce n'est pas non plus en romancier que se positionne ici le
célèbre chroniqueur et lauréat du prix Goncourt. Il s'agit plutôt d'une
compilation de pensées, de réflexions, de sentiments et de constations mises
par écrit au moment des attentats de Charly Hebdo et de l'Hyper Casher. Par
pudeur et pour avoir plus de recul, l'écrivain avait décidé de différer la
parution de ce livre de quelques mois sans se douter que d'autres événements terroristes allaient toucher la France dans ce laps de temps et lui donner malgré lui matière pour étoffer sa réflexion et par là même son ouvrage.
Bien sûr, on
ne peut pas être d'accord avec tout, c'est tout l'objet d'ailleurs de ce genre
de travaux, mais ils ont le mérite de nous faire nous poser des questions.
D'autant plus que Yann Moix consacre uniquement son livre aux attentats commis
en France par, dans leur grande majorité, des Français, et que ces actes
terroristes ont des spécificités qu'il est difficile de généraliser à tous les
actes du terrorisme islamiste global.
Faire un
résumé organisé de notes et réflexions jetées certainement sur papier ou
consignées dans un carnet au jour le jour, en fonction des événements et de
leurs conséquences, s'avère assez périlleux.
Quelques grands thèmes peuvent être cependant ressortis. Part est faite
tout d'abord à ce qu'est pour l'auteur le terrorisme. C'est un acte qui innove
dans la manière de donner la mort, un acte qui rend possible ce qui jusqu'à
présent paraissait totalement impossible. Cet acte dont tout un chacun est une
potentielle victime, simplement parce que, pour l'assassin, rien que le fait
d'évoluer et de vivre dans la République française fait de vous un coupable à
abattre. La seule chose qui nous a sauvés, c'est de n'avoir pas croisé la route
du jihadiste au moment de la mise en oeuvre de son projet, de ne
pas avoir été là au mauvais moment.
En découle l'idée que finalement la vie de tous Français, possibles cibles des
terroristes, a changé depuis ces tragiques événements: les années qui nous
restent à vivre sont devenues des années pendant lesquelles on essaye de ne pas
mourir. Drôle de paradoxe d'ailleurs quand on voit les milliers de personnes
qui ont défilé sous le slogan "je suis Charly". Pris au pied de la
lettre, il positionne celui qui le brandit comme quelqu'un qui accepte d'être
la cible des tueurs, qui se proclame ouvertement l'ennemi à abattre. Quelle drôle d'idée de penser que
peut-être les victimes des terroristes, les ont-elles croisés quelques jours,
quelques heures avant leur passage à l'acte, sur la future scène de crime,
alors qu'ils étaient en situation de repérage pour préparer le dernier acte de
leur vie ratée. Peut être les ont-elles frôlés, touchés, regardés, sans se
douter que quelques instants plus tard ils deviendraient leurs bourreaux.
Quelle
injustice aussi que celle de voir le terroriste, généralement dénué d'intelligence,
se retrouver tout aussi célèbre que des artistes, des écrivains, des
scientifiques. Dans notre société de la communication rapide et à grande
échelle, n'est-il pas honteux que les encyclopédies virtuelles accordent une
place tout aussi importante, voir plus importante à ces tueurs qu'à des hommes
dignes d'être glorifiés pour leurs connaissances, leurs découvertes, leurs
travaux, les œuvres qu'ils ont produites? N'est-ce pas non plus malheureux que
ces hommes, en se donnant la mort au milieu de leurs victimes, aient mélangé
leur propre mort à celle de leurs victimes, souillant une ultime fois leur
dignité et leur corps ?
D'autant
plus que cette souillure est aggravée par la stupidité au sens propre du terme
des assassins. N'ayant pas les capacités intellectuelles d'expliquer ce qu'ils
considèrent comme juste, les jihadistes ne s'embarrassent plus de justifier le
massacre. Ils tuent et c'est tout. Et quand ils ciblent un groupe de personnes
comme les juifs par exemple, ils n'arrivent pas à expliquer les causes de leur
haine. Tuer se suffit à lui-même. La seule chose qu'ils soignent c'est la
diffusion la plus travaillée possible des images de leur massacre. Conscients,
car issus eux -mêmes de cette société avide de spectacles et d'effets spéciaux,
qu'un vrai travail de mise en scène est nécessaire pour capter l'attention,
surtout des plus jeunes, ils mettent tout en œuvre pour attirer le regard et
livrer une image belle, lumineuse et moderne, même quand les scènes filmées sont
dégoûtantes à regarder.
Alors qui
est responsable de tout cela? Les terroristes bien sûr! Et oui, ce terrorisme a
quelque chose à voir avec l'islam. Ce n'est pas ce que veut ou demande l'islam,
ça on en est sûr, mais les tueurs sont bien des musulmans qui suivent, non pas
le texte original du Coran qu'ils ne sont pas capables de lire par manque de
maîtrise de l'arabe, mais bel et bien un discours sur le Coran fait par des
fanatiques.
Le
terrorisme est-il un mal issu d'un défaut de la démocratie française qui prône
et impose dans tous les domaines l'égalité des Hommes? Car si tous les hommes
sont traités de façon égalitaire, cela signifie qu'ils ont tous les mêmes
chances de réussir au départ. La République fournit à chacun les conditions
à la réussite et par conséquent, si échec il y a, il ne peut être expliqué que par le
manque d'efforts fournis par celui qui rate sa vie. Non! Tout le monde n'a
pas les mêmes chances et les mêmes capacités; et non! Tout le monde ne doit pas être traité de la même façon. L'échec crée la
rupture et de la rupture naît la frustration, le rejet, l'isolement et la
faiblesse.
Là dessus
vient se greffer le refus par nombre de Français du sentiment national, trop
souvent et trop facilement mis au ban car assimilé aux théories de l'extrême
droite. Il est devenu gênant d'aimer son pays et normal de le détester.
Comment, dès lors, demander à des immigrés ou descendants d'immigrés d'aimer un
pays que les Français eux-mêmes n'arrivent plus à aimer? Comment demander aux
autres de faire ce que nous ne sommes plus en mesure de faire nous mêmes.
Tels les
punks à leur époque, les jihadistes sont jeunes, sont en échec et sont en
rébellion avec ce système, avec cette société qui n'offrent qu'à une poignée de personnes l'occasion d'entrer dans la postérité et dans la mémoire longue.
Pour le jihadiste, le seul moyen d'accéder à la célébrité mondiale sera le
nombre de personnes qu'il aura tuées, et la manière dont il aura répandu la
mort et orchestré son propre décès. A ce titre, le terroriste a réintroduit en
France la peine de mort; les assauts des forces spéciales françaises
aboutissant généralement à la mort des terroristes devant les caméras. Et pourtant selon l'auteur, l'acte
terroriste qu'est l'attentat est "la réussite suprême de l'échec".
Voilà de quoi provoquer, alimenter et raviver les débats moraux et civiques en
classe ou ailleurs.
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