samedi 9 juin 2018

Uwe Timm, A l'exemple de mon frère, Albin Michel, Paris, 2005.




Uwe Timm, A l'exemple de mon frère,
Albin Michel,
Paris, 2005.

"A 75 m Ivan fume une cigarette, un festin pour mon FM". Comment un homme a-t-il pu écrire une telle phrase dans son carnet de campagne militaire, surtout lorsque cet homme est votre frère, qu'il a vécu soixante ans auparavant et qu'il ne peut répondre à la question directement puisque seulement quelques semaines après la rédaction de cette courte remarque, il est mort sur le front russe après avoir été amputé des deux jambes ? D'ailleurs, cet Ivan, ce Russe, l'a-t-il tué?  L'a-t-il criblé de balles avec son fusil mitrailleur? Probablement... Comment ce frère, si peu connu de l'auteur du livre, et pourtant réputé rêveur, presque artiste, a-t-il pu un jour de sa courte jeunesse intégrer une division de la SS, et non la moindre, la Division Totenkopf ? N'est-ce pas cette section qui a fourni les contingents assassins des juifs et autres populations jugées nuisibles de l'est de l'Europe? N'est-ce pas aussi celle qui a formé les nombreux gardiens des camps de concentration ? 

A travers l'étude de ce fameux carnet de campagne, ouvrage pourtant interdit par la hiérarchie nazi, mais tout de même transmis aux parents du défunt soldat avec le reste de ses effets, et redécouvert des décennies plus tard par le cadet de la famille devenu écrivain, Uwe Timm tente de trouver les réponses à ses nombreuses interrogations. Comment son frère, comme tant d' "Hommes ordinaires", a-t-il pu basculer dans le nazisme et intégrer volontairement les factions les plus radicales du mouvement ? Renseigné par un ensemble de lettres entre son frère et ses parents, et par des souvenirs personnels, c'est tout l'univers familial, social et mental du SS que l'auteur passe à la loupe. 

Une grande sœur rapidement mise à l'écart par un père, lui même engagé dans la Luftwaffe et qui glorifie celui qu'il considère comme son seul vrai fils. Un père justement, démobilisé après la guerre, qui n'arrive plus à se reconstruire socialement, tentant les expériences professionnelles les unes après les autres, sans réel succès et qui n'arrive plus à adapter sa vie aux changements de son monde et du monde en général dans lesquels il évolue. Une mère élevée à la dure, et qui pourtant, n'a jamais cessé de protéger ses enfants...

Au delà de l'analyse de ces contextes, susceptibles d'expliquer l'incorporation du jeune homme dans la SS et dans ses massacres à grande échelle à l'est de l'Europe, le roman constitue surtout une sublime critique du devoir d'obéissance qui a mené des hommes à devenir des criminels, les assassins aveugles qui ont commis des actes de violences extrêmes sur des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. C'est aussi et enfin la dénonciation d'une ignorance feinte dans laquelle beaucoup de familles allemandes aujourd'hui encore se réfugient, prétextant qu'elles ne savaient pas ce qui se passait alors qu'en réalité elles ne voulaient tout simplement pas voir.

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