Jowhor Ile, Avenue Yakubu, des années plus tard,
Christian Bourgois Editeur,
Paris, 2017.
Traduit de l'anglais (Nigeria) par Catherine Richard-Mas.
Tout commence à Port Harcourt, au Nigeria, par la disparition d'un jeune homme exemplaire, Paul Utu. Son père, Bendic, est un avocat bien connu dans la région et Ma, sa mère, une professeure d'université irréprochable. Pourtant ce jour de 1995, Paul ne rentre pas. Qu'a-t-il pu lui arriver? La réponse à cette question, on ne la découvrira qu'à la toute fin du roman.
Car avant cette révélation, c'est d'abord de la vie de cette famille dont il sera question, et, en filigrane, de l'évolution politique et sociale du Nigeria dans les années 90: le passage difficile du pays dans une modernité qu'on lui impose, la convoitise et les malversations des compagnies transnationales pour s'approprier les ressources du pays, les pots-de-vin versés ici ou là, qui attisent cupidités, haines et favorisent la corruption et l'installation de la dictature militaire. Devant cette possibilité d'obtenir facilement argent et pouvoir, les familles se déchirent, les rapports sociaux changent, les communautés, même dans les plus petits villages, se scindent en deux: il y a ceux qui cèdent devant les valisent de billets et les autres qui tentent de conserver traditions et valeurs et qui s'opposent avec violence à l'arrivée des compagnies pétrolières et au saccage de leur lieu de vie et de leur culture.
Les manifestations étudiantes sont sauvagement réprimées, les arrestations se font de plus en plus nombreuses. Des attentats permettent au pouvoir de se débarrasser des opposants; les assassinats et disparitions sont de plus en plus fréquents. Dans les villages, on s'entre-tuent, on chasse les représentants du gouvernement, on est puni.
Dans l'Avenue Yakubu, les trois enfants Utu observent tout cela de façon plus ou moins détachée, et c'est à travers leurs regards que ces mutations sont relatées. Ces visions permettent à l'auteur de revenir sur la rencontre entre les parents, les chamailleries entre frères, sœurs et voisins. Les réunions politiques plus ou moins clandestines à la maison sont observées avec curiosité par les jeunes enfants. Puis c'est le départ de chacun d'eux pour les écoles, l'internat, les retours moins réguliers à la maison. Ces récits du passé de la famille viennent renforcer le mystère de la disparition du plus grand frère.
C'est enfin à travers les yeux de Bibi, la plus jeune, et du cadet Ajie que l'on découvrira le fin mot de l'histoire, quand, des années plus tard, ceux-ci sont rappelés dans l'Avenue Yakubu par leur mère, qui, malgré la mort de Bendic, n'a jamais cessé de rechercher son fils. La terrible vérité leur sera alors révélée.
Un magnifique roman qui, sans forcément avoir vécu des drames similaires à la famille Utu, nous incite aussi à porter un regard sur les changements dans notre existence.
Un grand merci à Jeanne Grande et aux éditions Christian Bourgois.
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