samedi 22 juillet 2017

Sarah Farmer, 10 juin 1944. Oradour. Arrêt sur mémoire, Perrin, Paris, 2007.




Sarah Farmer, 10 juin 1944. Oradour. Arrêt sur mémoire,
Perrin,
Paris, 2007.


Y a-t-il eu un épisode plus sensible dans l'après-guerre et pendant l'épuration que le massacre d'Oradour-sur-Glane et le procès qui s'en suivit? A l'heure des grandes commémorations mises en scène par notre nouveau gouvernement, nous nous sommes plongés dans l'ouvrage de Sarah Farmer, non pas principalement consacré au massacre en lui-même, mais à sa mémoire et à son utilisation politique, sociale, voire économique.

Du massacre à proprement parler, l'auteure n'y consacre que quelques pages dans un chapitre relativement court. Il est cependant bon ici d'en rappeler les grandes lignes. Le 10 juin 1944, à 14h00, un commando de 120 soldats Waffen SS, issus de la division Das Reich, basée depuis quelques mois à Montaban et appelée à rejoindre les plages de Normandie pour résister au débarquement allié, entre à Oradour. En moins d'une heure, l'ensemble de la population de ce bourg du Limousin est rassemblé sur le champ de foire. Très vite, femmes et enfants sont séparés des hommes. Ceux-ci sont dispatchés dans six granges du village pour y être abattus à la mitrailleuse. Dans l'église du village, les femmes et les enfants sont assassinés. Les nazis mettent enfin le feu au village et aux corps des victimes, dont certaines ne sont pas encore mortes. Seuls six hommes issus de la grange Laudy réussissent à sortir vivants de cette tuerie qui fera au final 642 victimes. Le lendemain, un groupe de nazis revient sur les lieux pour enterrer à la hâte les cadavres dans des fosses communes, faisant ainsi disparaître leur crime tant bien que mal. Officiellement les nazis étaient venus là pour punir la résistance; une cache d'armes leur aurait été signalée dans le village. Dans la réalité, il s'agissait de reproduire en France des actes que cette fameuse division SS avait l'habitude de commettre à l'est dans le cadre d'une guerre d'anéantissement visant à faire table rase des ennemis s'opposant à la constitution du grand Reich  voulu par Hitler, et dont les espoirs s'envolaient dès la fin 1942.

L'intérêt de l'ouvrage n'est pas dans le récit des faits. La préface donne immédiatement quelques grandes problématiques auxquelles le livre devra se charger de répondre: les mémoires individuelles sont-elles compatibles avec la mémoire collective? Quelles relations les sociétés entretiennent-elles avec leur passé? Comment un événement est-il perçu par ceux qui l'ont vécu? Comment d'autres vont-ils s'en servir? Le contexte spécifiquement français de la Seconde Guerre mondiale complexifie les choses car c'est aussi de l'impact de Vichy et de la collaboration dont il est fortement question dans tout l'ouvrage: comment la France et son gouvernement d'après-guerre ont-il tenté de laver le déshonneur, voire de le faire disparaître, afin de se placer du côté des nations victorieuses? A ce titre, l'épisode d'Oradour fut bien et reste bien encore aujourd'hui, un enjeu fondamental.

Dès l'immédiat après-guerre, Oradour connait un destin particulier. En 1945, le Général De Gaulle se rend sur les lieux. En 1946, le village devient sous la pression gaullienne monument historique et acquière un statut spécial: le fait que sa population ait été totalement annihilée par les nazis, ne permet pas la reconstruction immédiatement d'un nouveau village sur les ruines de l'ancien. Les traces de la cruauté nazie sont là, brutes...le village devient immédiatement un symbole. Il devient village martyr.

Les premières cérémonies sont organisées, les commémorations y tiennent place. On se pose rapidement la question de la conservation des ruines, tout en essayant d'en préserver leur authenticité et de mettre en avant les traces évidentes du massacre: impacts de balles, traînées de sang, traces de l'incendie.... C'est une dimension quasi religieuse que récupère le lieu: on vient à Oradour comme quand on se rend dans un lieu de pèlerinage; on se recueille sur les tombes des victimes sanctifiées; on considère les  survivants comme des miraculés. Une vie austère est imposée aux habitants du nouveau bourg qui voit finalement le jour à quelques encablures des ruines. Le lieu devient un sanctuaire: une enceinte l'enferme et le protège des entrées et venues des descendants des victimes qui ont encore du mal à considérer que ces terres, ces jardins, ces maisons n'appartiennent plus à leur famille.

1953 marquera cependant une rupture fondamentale et durable dans l'histoire de ce lieu. C'est l'année où s'ouvre le procès de Bordeaux à la demande des familles des victimes constituées en association et désireuses de voir les bourreaux de leurs proches jugés et punis. Quatorze Alsaciens, incorporés de force, figurent parmi les accusés. Ces malgré-nous, contraints depuis 1942 d'entrer jeunes dans l'armée, ont participé à la tuerie. Le tribunal infligera des peines, parfois lourdes, condamnations à mort, emprisonnements, travaux forcés. Mais la semaine suivante, tout fut remis en cause par l'Assemblée Nationale qui, sous diverses pressions, vote l'amnistie. On prétextera la volonté de réconciliation nationale, d'autres y verront plutôt la préservation d'une région riche et au passé déjà compliqué depuis 1870, au détriment d'une région rurale, bien moins dynamique. Ce deuxième martyr, les Limousins le garderont bien ancré dans leur mémoire. Oradour rend alors toutes les marques des hommages qui lui avaient été conférées. Le symbole majeur en est la crypte, construite avec des fonds nationaux pour accueillir les dépouilles des victimes, et qui restera définitivement vides des reliques des assassinés, les habitants lui préférant le monument ossuaire construit  par la municipalité dans le cimetière.

Les temps changent et les populations se renouvellent. Les survivants disparaissent, les familles des victimes oublient peu à peu ou du moins relèguent au second plan cette histoire. Aujourd'hui, Oradour est diversement apprécié par ses visiteurs: lieu de mémoire pédagogique pour les uns ou simple étape sur la route des vacances pour les autres, le lieu reste néanmoins un symbole fort et émouvant, une preuve concrète des crimes nazis et de ce qu'ils ont été réellement. Revenu sur le devant de la scène dans les années 1980 suite aux grands procès des criminels nazis et de leurs collaborateurs (Barbie, Papon, Bousquet, Leguay), le lieu sert aujourd'hui aussi à la communication mémorielle et politique des différents gouvernements.


Un bel ouvrage, synthétique et clair qui pose les questions essentielles à tout travail sur la mémoire et qui y répond de manière claire et précise.

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