vendredi 28 avril 2017

Philippe Saada, Sébastien Vassant, Juger Pétain, Glénat, Paris, 2015.




Philippe Saada, Sébastien Vassant, Juger Pétain,
Glénat,
Paris, 2015.

Il est des bandes dessinées que l'on met longtemps à lire, soit parce que, peu motivantes, elles nous tombent des mains, soit parce que, si bonnes, on savoure le plus longtemps possible leur lecture, planche après planche, pour en profiter un maximum. Juger Pétain est de ces dernières. Très complète, s'appuyant sur un socle historique solide, elle se veut très pédagogique et apprend des tas de choses à ses lecteurs, qui, sans nul doute, auront envie d'en savoir plus sur ce qui est raconté dans chaque planche ou sur chaque vignette. Du coup, on s'arrête régulièrement de lire pour vérifier, compléter, en savoir plus, démarches qui ralentissent encore plus la lecture.

A travers la mise en scène des différents témoignages, essentiellement des hommes politiques du gouvernement qui a précédé l'installation du Maréchalat de Pétain, c'est toute la complexité de l'évolution de la vie politique française suite à la défaite de 1940 qui est magistralement exposée. L'accession au pouvoir de celui qui est alors vu comme le héros de Verdun, seul susceptible de prendre en main le pays en pleine débâcle, est clairement contextualisée. Le bombardement de la flotte française à Mers-El Kebir par l'aviation britannique lui donne ensuite l'occasion de se faire octroyer les pleins pouvoirs et de les inscrire durablement dans la constitution du nouvel État Français autoritaire.

Mais, au grand désespoir de De Gaulle, les jours et les témoins se succèdent et le procès devient de plus en plus ennuyeux, d'autant plus que le vieux Maréchal suit impassiblement les discours, décidant de ne plus intervenir, après avoir fait sa fameuse tirade expliquant son sacrifice pour la France. Le véritable tournant interviendra le onzième jour du procès, quand, contre toute attente, le bras droit de Pétain, Laval, extradé d'Espagne par Franco, sera amené à livrer son témoignage au tribunal. C'est de son rôle dans le gouvernement de Vichy qu'il sera dès lors question: ses liens de plus en plus proches avec l'occupant, son éviction par Pétain, qui le juge trop incontrôlable, puis son rappel par le même Maréchal sous la pression allemande, devenue de plus en plus forte après leurs premières défaites à l'est.

Malgré toutes les tentatives de ses avocats et les témoignages apportés par la Défense,  les preuves de sa collaboration et de sa trahison seront trop lourdes pour faire de lui une victime expiatoire de l'occupation nazie. Tout l'accable: pourquoi n'a-t-il pas saisi l'occasion de l'invasion de la zone libre par les Allemands pour rejoindre la Résistance en Afrique? Pourquoi a-t-il donné l'ordre à l'armée française de combattre en Afrique contre l'armée britannique et américaine? Sans oublier bien sûr la déportation de plus de 80 000 juifs français, livrés aux Allemands pour être assassinés dans les centres de la mort à partir de 1942? Fidèles au traitement très succinct qui a été fait pendant le procès à la politique raciale de Vichy, les auteurs consacrent seulement deux planches à la participation active de Vichy à la Shoah.

Les actions d'autres grands collaborateurs, membres de l'administration de L'Etat Français, viendront alourdir les charges contre le Maréchal: le rôle de Darnand qui n'hésitera pas à prêter serment au Führer et à intégrer la Waffen SS pour pouvoir armer la milice qu'il vient de créer; les exactions de ses membres et leur justice expéditive à l'encontre des résistants....

C'est finalement un jury partial, composé de membres soigneusement sélectionnés parmi les parlementaires qui n'avaient pas voté les pleins pouvoirs au Maréchal en 1940 et parmi d'anciens résistants, qui condamnera à mort Pétain. La sentence lui fut annoncée le 14 août 1945 à 3h30 du matin, peine immédiatement commuée par De Gaulle en détention perpétuelle à l'île d'Yeu où il mourut en 1951.


Textes et dessins se complètent et s'éclairent parfaitement, preuves de la parfaite collaboration entre le documentariste/scénariste Philippe Saada et le dessinateur Sébastien Vassant.  Les dessins, parfois proches de la caricature sont d'une efficacité redoutable. Un ouvrage indispensable à la fois pour les profanes intéressés par le sujet et pour les historiens. 

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