mercredi 1 février 2017

Guy Delisle, S'enfuir. Récit d'un otage, Dargaud, Paris, 2016.




Guy DelisleS'enfuir. Récit d'un otage,
Dargaud,
Paris, 2016.


Il est des événements qui transforment la vie de manière irréversible. Dès lors, plus rien n'est pareil, plus aucun fait, geste, goût, n'aura le même sens, ni la même saveur qu'avant. C'est l'un d'eux qu'à connu Christophe André, héros malgré lui de cette BD fleuve de 430 pages. Guy Delisle, auteur habitué aux destinations à caractère dictatorial, totalitaire ou conflictuel, est resté cette fois chez lui, à sa table, pour recueillir le témoignage de cet humanitaire qui travaillait en 1997 pour Médecins Sans Frontières à Nazran, en Ingouchie, province voisine de la Tchétchénie où il a été enlevé et retenu en otage plus de cent jours dans des conditions précaires. Son seul salut, il le doit à son courage, celui d'avoir su saisir l'occasion au bon moment de s'échapper, profitant d'un heureux hasard que l'on taira ici afin de donner envie au lecteur de se plonger dans ce récit hors du commun.

La couverture à elle seule pourrait résumer une très grande partie du livre. D'ailleurs certains, et c'est légitime, pourront se lasser du caractère répétitif des planches d'une bonne moitié de l'ouvrage et accuseront sûrement le dessinateur d'avoir cédé à la facilité de la reproduction récurrente des mêmes dessins et des mêmes textes. Car effectivement, durant une grande partie de la BD il ne se passe pas grand chose: l'otage est seul, dans une pièce obscure, avec pour seul "confort" un fin matelas posé à même le sol, attaché à un radiateur par des menottes. Seuls événements de la journée: les visites presque rituelles des geôliers qui viennent lui apporter son bol de bouillon et son quignon de pain pour un frugal repas.

Cette répétition immuable de ces gestes,  lassante, nous emmène finalement aux côtés du prisonnier, nous fait vivre avec lui les journées interminables pendant lesquelles son unique distraction est d'analyser chaque bruit, chaque son pour imaginer ce qui se passe dans la pièce d'à côté, dans l'appartement d'à côté, dans la maison d'à côté, dans la rue tout proche, dans le pays, et surtout en France, où certainement on œuvre pour sa libération.

Alors, dans ce contexte, dès que quelque chose d'inhabituel se produit, comme quand on vient le chercher pour prendre une photo, qu'on lui sert autre chose à manger ou qu'on le fait enfiler une nouvelle chemise, il se met à rêver, à espérer une libération prochaine, qui finalement n'arrivera pas... Alors, il doute...peut être l'a-t-on oublié? Le croit-on définitivement perdu? Ou pire...déjà mort?

Seul, il cède souvent à l'absurde, aux actes anormaux, incompréhensibles, comme celui d'être poli avec ses ravisseurs, presque de s'attacher à eux, et très vite il se rend compte que non! Il ne faut pas montrer de sympathie à des gens qui le privent de sa liberté même si ceux-ci sont capables de partager une vodka avec lui. Mieux vaut-il égrainer l'alphabet et associer à chaque lettre un élément de sa "culture napoléonienne".

Le rythme s'emballe dans le dernier tiers de l'ouvrage, quand les choses changent pour Christophe André. Après nous avoir laissés nous engluer dans la léthargie de l'otage, l'auteur nous place à côté de lui dans sa fuite. On partage son stress d'être rattrapé quand finalement un concours de circonstances plus qu'hasardeux lui permet de quitter son lieu de détention pour S'enfuir.

Le dessin est beaucoup moins simpliste que pour les précédents albums de Guy Delisle, mais tout aussi efficace. Ça se lit d'une traite... Ou peut être peut-on tenter l'expérience de lire la BD en temps réel afin de ressentir parfaitement les sensations qu'a connues le prisonnier.


Occasion et envie aussi de se replonger dans la géopolitique du Caucase pour tenter d'identifier ses ravisseurs et les causes du rapt. Au final, un récit haletant. 

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