Kate Summerscale, Un singulier garçon. Le mystère d'un enfant matricide à l'époque victorienne,
Christian Bourgois,
Paris, 2016.
Traduit par Eric Chédaille.
Le mystère
d'un enfant matricide à l'époque victorienne...sous-titre étrange qui
repoussera autant qu'il pourra attirer le lecteur. Ce Singulier garçon,
jeune matricide de treize ans, c'est Robert Coombes, qui, un jour de 1895 a
décidé de sauvagement se débarrasser de sa mère à grands coups de gourdin et de
poignard alors que celle-ci était allongée dans son lit. Qu'est passé par la
tête de ce jeune homme pour avoir subitement eu l'envie d'assassiner sa
génitrice et de continuer à vivre et de profiter de la vie avec son plus jeune
frère et une autre connaissance pendant quelques jours, alors que le cadavre commencait à se décomposer
dans une pièce du premier étage de la maison familiale?
Nous sommes
à Plaistow, quartier de West Ham, dans la banlieue ouvrière londonienne, dans
ces quartiers populaires peuplés d'ouvriers pauvres qui travaillent dans les
usines ou sur les docks, à charger et décharger les bateaux qui parcourent les
chemins d'une nouvelle mondialisation. Nous sommes en plein Âge industriel, au
cœur d'une société qui connait d'énormes bouleversements dus surtout à l'invention de la
machine à produire en masse et qui va bientôt remplacer l'Homme; une période de
transition, une société en mutation qui perd ses anciens repères et qui s'en
cherche de nouveaux.
Ce jour de
juillet 1895, il faisait chaud, très chaud. Les habitants du quartier sont écrasés par la
chaleur. Le père de famille est parti pour New York, marin dans un navire qui
fait le lien avec un monde plus si nouveau que cela. Robert tue sa mère.
L'épouvantable odeur de décomposition du cadavre alerte les voisins. Robert
reconnaît immédiatement le crime, l'affaire pourrait être classée, tout serait terminé.
Mais c'est
justement ces froids aveux qui dès lors vont poser problème. Comment un si
jeune garçon peut-il avoir commis un pareil acte? Alors on convoque des
spécialistes de tout...mais finalement de pas grand chose. Le psychologue voit
en cet enfant un être traumatisé par la lecture des penny bloods, ces romans à deux sous, d'aventure ou policiers, jugés trop violents et dont s'abreuve Robert à
longueur de journée. "L'anthropo-morphologue" examine taille et forme du crâne
pour rechercher les origines ethniques du garçon et montrer qu'il correspond
parfaitement à l'archétype du jeune dérangé criminel; le pédagogue prouve la
précocité de l'enfant; le voisin estime que l'enfant ne pouvait qu'en arriver
là tant la mère était violente avec ses fils. Enfin le journaliste tentera des rapprochements avec d'autres criminels qui auraient pu servir de modèles au jeune garçon. Tout un chacun y va de son explication et de son argumentaire pour en
prouver la véridicité.
Ce sera
cependant à un juge de déterminer les raisons du crime et la sanction à prononcer contre
Robert. C'est dans un asile psychiatrique qu'il finira à l'issue d'un procès
qui durera de longs mois. Accusation et défense s'y affronteront devant des
journalistes avides de relater chaque jour un épisode de cette histoire
surprenante.
Plus d'un
siècle plus tard, Kate Summercale replonge dans cette histoire vraie qui a
défrayé la chronique en son temps. Elle nous transporte dans l'Angleterre de la
Reine Victoria, puis en Australie, car c'est là que tout se finira. Écrivaine
confirmée, c'est pourtant dans une véritable démarche historique qu'elle s'est
lancée pour un résultat final fort, puissant et parfaitement documenté.
Rapports d'enquête, compte-rendus d'audience, dépositions, articles de
presse, recherches, rencontres et interviews de témoins, toute cette
documentation est minutieusement passée au peigne fin pour être défrichée et
nous emporter dans un roman entre thriller policier et récit historique.
La vie et les conditions de travail de la classe laborieuse, l'environnement
urbain des cités ouvrières sont retranscrits comme pour une véritable reconstitution
historique. Progrès scientifiques, bouleversement des pensées et des mentalités
sont si bien décrits qu'il servent à fixer un univers mental à l'histoire. On est dedans
du début à la fin du livre, comme aspirés dans ce tourbillon de mutation, qui
nous permet d'éprouver la sensation de vertige, de malaise que
connaissaient les gens de l'époque devant tant de transformations.
Impossible
enfin de ne pas faire des parallèles avec le monde d'aujourd'hui tout au long
de la lecture, de ne pas y voir les similitudes avec la société dans laquelle
nous vivons. N'impute-t-on pas aujourd'hui la violence des jeunes aux jeux
vidéo? Ne met-on pas régulièrement sur le dos des réseaux sociaux la "paralysie intellectuelle" des accrocs aux portables? N'accuse-t-on pas notre système
éducatif de la stagnation ou de la baisse du niveau des élèves? Âge d'or pour
les uns, apogée de l'exploitation de l'Homme par l'Homme pour les autres, le
19ème siècle et comme le nôtre une période de transition entre deux époques, entre deux mondes différents. Comme le montre Kate Summerscale, finalement on s'est
sorti tant bien que mal de cette période. Espérons qu'il ne faudra pas deux
guerres mondiales pour franchir le cap de la période perturbée que nous
connaissons aujourd'hui...
Un grand merci à Jeanne Grange et aux Editions Christian Bourgois
http://www.christianbourgois-editeur.com/
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