François
Durpaire, Farid Boudjellal, La Présidente,
Les Arènes
Bd, Demopolis,
Paris, 2015.
Il existe un
genre littéraire, l'uchronie, qui vise à réécrire l'histoire telle qu'elle
aurait pu l'être si les choses avaient été différentes. Le pratiquer n'est pas
chose aisée tant il faut maîtriser l'histoire pour pouvoir la modifier de façon
crédible. L'ouvrage que proposent François Durpaire et Farid Boujellal n'est
pas à proprement parler une uchronie, puisqu'il ne s'agit pas de réécrire
l'histoire, mais plutôt d'imaginer un futur proche en le racontant de façon
presque historique. L'exercice en est encore plus difficile...
Le récit
commence donc en mai 2017, le soir du résultat des élections présidentielles,
lorsque Marine Le Pen y recueille la majorité des voix et devient la nouvelle
Présidente de la République française. Suivent 160 planches racontant les huit
premiers mois du premier quinquennat d'extrême-droite de l'histoire de France.
De la constitution du gouvernement Longuet, au choix du portrait présidentiel,
tout y est imaginé avec minutie et rigueur.
Parallèlement
à cette construction politique, le livre met en scène la vie d'une modeste
famille française, dont certains membres sont issus de l'immigration et dont
l'aïeule est une ancienne maquisarde, qui décide de s'engager dans la
résistance à ce nouveau gouvernement. Le seul moyen de lutte de cette fratrie:
un blog internet, sur lequel on diffuse des informations glanées ça et là pour
compromettre le nouveau régime.
Afin de
rendre l'ouvrage le plus crédible possible, le docteur en sciences de
l'éducation et le dessinateur se sont attachés la collaboration de
journalistes, d'économistes et autres spécialistes auprès de qui ils semblent
avoir tiré des conseils avisés. Ainsi, les deux auteurs ont pu imaginer comment
Marine Le Pen, loin de normaliser sa politique, va utiliser les lois et les
institutions de la République existantes pour, au contraire, mettre en pratique
son programme électoral et en durcir son application. Les lois antiterroristes
lui permettent dans l'ouvrage de surveiller étroitement la population, de
restreindre les libertés, notamment la liberté d'expression, et d'exercer un
contrôle drastique sur les moyens de communication. Les arrestations d'artistes, sont nombreuses car elles visent à faire taire des personnalités
influentes surtout auprès des jeunes. La Présidente utilise aussi le
référendum pour sortir de l'euro et supprimer le Conseil constitutionnel. Les
lois sur l'immigration lui permettent d'expulser tous les sans-papiers, ou de
reconduire à la frontière tous les "indésirables".
De nouveaux
ministères sont créés; certains autres se voient attribuer de
nouvelles fonctions: Nadine Morano deviendrait ministre de la famille et de la
natalité, Marion Maréchal Le Pen, ministre de l'école et des savoirs
fondamentaux. Une politique de priorité nationale supplanterait celle de
préférence nationale. On sort de l'OTAN, on se protège contre l'invasion
économique chinoise, on se rapproche de la Russie de Poutine. Tout est mis en
place dans le but de durcir la politique française. On veut "brusquer la
République".
Tout cela
c'est bien sûr sans compter sur toutes les difficultés qui vont naître avec
cette politique d'extrême-droite. Et quand, sur le petit macaron collé sur la
premier de couverture, on nous annonce que "vous ne pourrez pas dire que
vous ne saviez pas", les auteurs ne se défilent pas et font la liste en
deux planches de tous les problèmes qui apparaîtront selon eux dès les premiers
temps du quinquennat: contestation populaire et sociale, fracture dans la
population française, opposition des médias, grèves, problèmes économiques
majeurs liés à la sortie de l'euro, problèmes diplomatiques avec les puissances
étrangères, violence policière, engorgement des aéroports lié aux trop
nombreuses expulsions...et montée en puissance des partis néonazis encore plus
radicaux que le Front National.
Avec
réalisme, autant dans le récit que dans le dessin, François Durpaire et Farid
Boudjellal nous livrent leur vision glaciale d'une France Front National, et
bien que certains épisodes ne soient, on le sait aujourd'hui, plus possibles,
comme un second tour Hollande/Le Pen, certains aspects de la France actuelle,
certains discours entendus dans les rues ou dans les médias, nous montrent que
l'essentiel reste encore plausible. Mais cette fois c'est sûr, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.
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