Abdelasiem
El Difraoui, Al Qaida par l'image. La prophétie du martyre,
PUF,
Paris, 2013.
Montrer les
mécanismes de communication et de propagation des théories d'Al Qaïda, et, à
travers cela, exposer les contradictions d'un mouvement qui se veut le seul à
détenir la vérité, tels sont les objectifs Adelasiem El Difraoui.
Pour ce
faire, ce docteur en sciences politiques commence par retracer la genèse d'Al
Qaïda, de sa naissance afghane, à l'après 11 septembre 2001, effleurant même la
naissance de l'Etat islamique au début des années 2000. Al Qaïda, "la
base" est le rejeton de plusieurs mouvements radicaux islamistes qui ont
vu le jour notamment depuis la fin des années 1970 au Moyen-Orient et qui
prospèrent durant toute la Guerre froide. D'abord sorte de "maison
d'accueil" créée par Abdallah Azzam pour Jihadistes venus en Afghanistan
"défendre" l'islam contre les "impies" soviétiques, puis
reprise en main par Al Zawahiri et Ben Laden, l'organisation a revêtu plusieurs
formes, structures et objectifs pour finalement prendre l'aspect qu'on lui
connaît aujourd'hui. Au départ, fusion de différents groupes radicaux, puis
réseau, Al Qaïda est devenue aujourd'hui un label, une sorte de franchise dont
on se revendique pour commettre des actes terroristes.
Ce qui fait
la spécificité du mouvement depuis son origine c'est ce nouveau modèle du
martyre dans un "jihadisme global" développé par Ben Laden: désormais
le jihadiste doit combattre partout dans le monde et mourrir en martyre de
l'islam et non plus seulement se battre sur un territoire précis où on
considère que l'islam est en danger.
Pour
répandre ce message et toucher le plus grand nombre, Al Qaïda a su développer
et perfectionner tout un système de communication et de propagande efficace.
Assez rares pendant la guerre d'Afghanistan dans les années 1980, les images
sont de plus en plus utilisées. Ben Laden en comprend très vite l'intérêt pour
une diffusion massive de ses idées et pour recruter de nouveaux combattants du
monde entier. Le système se développe au fur et à mesure que les moyens de
communication progressent. Le véritable tournant dans ce domaine est la guerre
en Bosnie dans les années 1990, ou les cameramen d'Al Qaïda "armés"
uniquement de leur caméra participent à leur façon au Jihad. Quel autre
meilleur théâtre d'opération aurait pu être choisi pour montrer l'inaction des
casques bleus occidentaux face au massacre des musulmans bosniaques?
L'organe de
propagande d'Al Qaïda joue désormais un rôle essentiel, tout est filmé pour
mettre en avant l'engagement des combattants et de leur chef Ben Laden. Tous
les symboles prennent sens: les couleurs, les objets, les paysages, les lieux
saints, les armes, la calligraphie, les animaux sont détournés pour amener le
spectateur vers le message ultime porté par la nébuleuse terroriste: la seule
voie du salut pour le vrai musulman est celle de mourir en martyr pour défendre
l'islam contre les infidèles qui veulent sa perte. L'apothéose pour le
mouvement restera définitivement le 11 septembre 2001 avec la mise en avant des
19 "magnifiques" ces 19 terroristes kamikazes qui ont tué près de 3000
personnes en quatre attentats quasi simultanés.
Abdelasien
El Difraoui poursuit aussi l'ouvrage en montrant les divergences au sein du
réseau. A l'origine déjà, celles entre Azzam et Ben Laden, par rapport à la
conception du jihadisme global. Ensuite celles dues aux images d'ultra
violence issues de la branche irakienne
qui semblent avoir poussé Ben Laden à faire des remontrances à son chef Al
Zarqaoui, donnant naissance au proto État islamique que l'on connaît bien
aujourd'hui. Les scènes de décapitation des otages nuisaient à l'image d'Al
Qaïda.
Enfin
l'autre intérêt de l'ouvrage réside dans le fait que l'auteur, en décortiquant
la mythologie du groupe terroriste, le met devant ses propres contradictions.
Comment un groupe qui refuse toute modernité venues de l'Occident de des
Etats-Unis peut-il se servir autant des techniques de communication modernes,
la plupart inventées par l'ennemi juré américain, pour faire sa propre
propagande? Comment un groupe qui prône un islam strict qui refuse l'image
peut-il s'en servir autant à ses propres fins? Comment un groupe qui prône un
retour à un islam pur et rigoriste peut-il en réécrire les dogmes? Car bien
sûr, derrière les théories d'Al Qaïda, c'est bien d'un nouvel islam dont il
s'agit: l'imagerie diffusée de Ben Laden ne le présente-t-il pas comme un
nouveau calife (chef militaire et religieux); voire comme un nouveau prophète
(on le montre dans la montagne ou vivant reclus dans une grotte, on le montre
chevauchant un beau destrier comme le prophète Mohammed dans les textes saints
de l'islam).
En clair,
Adbelasiem El Difraoui nous prouve par cet ouvrage indispensable qu'Al Qaïda
est une organisation qui répond parfaitement à la définition de ce qu'est une
secte islamique dont les adeptes se coupent du monde et se considèrent comme
les seuls vrais croyants. Guidés par leur leader charismatique, eux seuls
pensent connaitre la véritable voie vers le salut de leur âme: l'attentant
suicide, la mort en martyre, pour tuer aveuglement un maximum d'innocents
qu'eux considèrent comme infidèles.
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