mercredi 21 décembre 2016

Abdelasiem El Difraoui, Al Qaida par l'image. La prophétie du martyre, PUF, Paris, 2013.




Abdelasiem El Difraoui, Al Qaida par l'image. La prophétie du martyre,
PUF,
Paris, 2013.

Montrer les mécanismes de communication et de propagation des théories d'Al Qaïda, et, à travers cela, exposer les contradictions d'un mouvement qui se veut le seul à détenir la vérité, tels sont les objectifs Adelasiem El Difraoui.

Pour ce faire, ce docteur en sciences politiques commence par retracer la genèse d'Al Qaïda, de sa naissance afghane, à l'après 11 septembre 2001, effleurant même la naissance de l'Etat islamique au début des années 2000. Al Qaïda, "la base" est le rejeton de plusieurs mouvements radicaux islamistes qui ont vu le jour notamment depuis la fin des années 1970 au Moyen-Orient et qui prospèrent durant toute la Guerre froide. D'abord sorte de "maison d'accueil" créée par Abdallah Azzam pour Jihadistes venus en Afghanistan "défendre" l'islam contre les "impies" soviétiques, puis reprise en main par Al Zawahiri et Ben Laden, l'organisation a revêtu plusieurs formes, structures et objectifs pour finalement prendre l'aspect qu'on lui connaît aujourd'hui. Au départ, fusion de différents groupes radicaux, puis réseau, Al Qaïda est devenue aujourd'hui un label, une sorte de franchise dont on se revendique pour commettre des actes terroristes.

Ce qui fait la spécificité du mouvement depuis son origine c'est ce nouveau modèle du martyre dans un "jihadisme global" développé par Ben Laden: désormais le jihadiste doit combattre partout dans le monde et mourrir en martyre de l'islam et non plus seulement se battre sur un territoire précis où on considère que l'islam est en danger.

Pour répandre ce message et toucher le plus grand nombre, Al Qaïda a su développer et perfectionner tout un système de communication et de propagande efficace. Assez rares pendant la guerre d'Afghanistan dans les années 1980, les images sont de plus en plus utilisées. Ben Laden en comprend très vite l'intérêt pour une diffusion massive de ses idées et pour recruter de nouveaux combattants du monde entier. Le système se développe au fur et à mesure que les moyens de communication progressent. Le véritable tournant dans ce domaine est la guerre en Bosnie dans les années 1990, ou les cameramen d'Al Qaïda "armés" uniquement de leur caméra participent à leur façon au Jihad. Quel autre meilleur théâtre d'opération aurait pu être choisi pour montrer l'inaction des casques bleus occidentaux face au massacre des musulmans bosniaques?

L'organe de propagande d'Al Qaïda joue désormais un rôle essentiel, tout est filmé pour mettre en avant l'engagement des combattants et de leur chef Ben Laden. Tous les symboles prennent sens: les couleurs, les objets, les paysages, les lieux saints, les armes, la calligraphie, les animaux sont détournés pour amener le spectateur vers le message ultime porté par la nébuleuse terroriste: la seule voie du salut pour le vrai musulman est celle de mourir en martyr pour défendre l'islam contre les infidèles qui veulent sa perte. L'apothéose pour le mouvement restera définitivement le 11 septembre 2001 avec la mise en avant des 19 "magnifiques" ces 19 terroristes kamikazes qui ont tué près de 3000 personnes en quatre attentats quasi simultanés.

Abdelasien El Difraoui poursuit aussi l'ouvrage en montrant les divergences au sein du réseau. A l'origine déjà, celles entre Azzam et Ben Laden, par rapport à la conception du jihadisme global. Ensuite celles dues aux images d'ultra violence  issues de la branche irakienne qui semblent avoir poussé Ben Laden à faire des remontrances à son chef Al Zarqaoui, donnant naissance au proto État islamique que l'on connaît bien aujourd'hui. Les scènes de décapitation des otages nuisaient à l'image d'Al Qaïda.

Enfin l'autre intérêt de l'ouvrage réside dans le fait que l'auteur, en décortiquant la mythologie du groupe terroriste, le met devant ses propres contradictions. Comment un groupe qui refuse toute modernité venues de l'Occident de des Etats-Unis peut-il se servir autant des techniques de communication modernes, la plupart inventées par l'ennemi juré américain, pour faire sa propre propagande? Comment un groupe qui prône un islam strict qui refuse l'image peut-il s'en servir autant à ses propres fins? Comment un groupe qui prône un retour à un islam pur et rigoriste peut-il en réécrire les dogmes? Car bien sûr, derrière les théories d'Al Qaïda, c'est bien d'un nouvel islam dont il s'agit: l'imagerie diffusée de Ben Laden ne le présente-t-il pas comme un nouveau calife (chef militaire et religieux); voire comme un nouveau prophète (on le montre dans la montagne ou vivant reclus dans une grotte, on le montre chevauchant un beau destrier comme le prophète Mohammed dans les textes saints de l'islam).


En clair, Adbelasiem El Difraoui nous prouve par cet ouvrage indispensable qu'Al Qaïda est une organisation qui répond parfaitement à la définition de ce qu'est une secte islamique dont les adeptes se coupent du monde et se considèrent comme les seuls vrais croyants. Guidés par leur leader charismatique, eux seuls pensent connaitre la véritable voie vers le salut de leur âme: l'attentant suicide, la mort en martyre, pour tuer aveuglement un maximum d'innocents qu'eux considèrent comme infidèles. 

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