samedi 3 février 2018

Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Editions Liana Levi, Paris, 2006.




Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg,
Editions Liana Levi,
Paris, 2006.


Premier procès de son genre, précurseur de la justice internationale telle qu'on la connait aujourd'hui, les détails de cet événement sont finalement peu connus du grand public. Comment fut-il créé? Qui en fut à l'origine? Comment a-t-il été composé? Qui sont les grands accusés? Comment ont-ils été choisis? En quoi le contexte de futur guerre froide, a-t-il marqué les décisions prises? C'est sur tous ces points que nous éclaire Annette Wieviorka. Initialement paru pour commémorer les cinquante ans du procès en 1995, ce livre a connu deux rééditions, l'un en 2005 et celle-ci un an plus tard.

Le découpage de l'ouvrage est assez classique. L'historienne commence par exposer les prémices et origines du procès. On y apprend que l'idée de juger les criminels de la Seconde Guerre mondiale naît pendant l’événement puisque dès 1943 une commission d'enquête sur les crimes de guerre voit le jour à Londres et que la Déclaration de Moscou signée par Staline, Churchill et Roosevelt la même année servira de base à la conclusion de Churchill lors de la conférence de Yalta: il souhaite l'exécution des criminels nazis, une fois leur identité trouvée.

C'est donc à la fin de la guerre que les Alliés vont juger les criminels nazis. C'est aussi à ce moment que les premières divergences vont apparaître. Les Américains insistent sur leur volonté de mettre en avant les charges de "crime contre la paix" et de "complot" alors que Français et Soviétiques sont désireux d'appuyer plutôt sur la notion de "crime de guerre". La liste des accusés potentiels fluctue aussi: une quinzaine de noms au départ, puis d'autres s'y ajoutent, chacun des vainqueurs souhaitant voir ses "prises de guerre" mises en lumière. Finalement après avoir retiré le sénile Krupp, ce sont 24 dignitaires nazis, essentiellement des militaires, qui s'assoient sur les banc des accusés. Le siège permanent du tribunal fixé à Berlin regroupe des juges français, américains, soviétiques et britanniques. Chaque procès pourra se dérouler n'importe où où des crimes ont été commis. Le premier procès se tient à Nuremberg, en zone d'occupation américaine, à l'endroit même où Hitler promulguait dix ans auparavant les fameuses lois antisémites. 

Ce premier procès rassemble une myriade de journalistes, plus que de témoins, finalement peu nombreux: une soixantaine pour la défense, moitié moins pour l'accusation. On s'ennuie énormément. Peu de coups d'éclat et de fracassantes dépositions; les documents et preuves sont choisis et consultés à l'avance par les différentes parties. Le ton est monotone, l'ambiance morose...

Les trois chefs d'accusations sont parfaitement expliqués par l'historienne. Finalement, on retiendra contre les accusés la charge de "crime contre la paix" et de "complot" visant à provoquer la guerre: l'idéologie nazie avait pour objectif la construction d'un "espace vital" par l'agression des pays à l'est de la frontière allemande. Mais ce chef d'accusation, cher aux Américains, met dans l'embarras Français et Anglais qui ont tardé à intervenir suite à l'invasion de la Pologne; et surtout les Soviétiques quand est évoqué le pacte secret Molotov/Ribbentrop. Les "crimes de guerre" sont aussi retenus: spoliation, pillages, crimes sur des civils, camp de concentration et mauvais traitements des prisonniers de guerre, germanisation forcée des territoires conquis. Là encore, les Soviétiques se retrouvent dans une position délicate, notamment quand est rapidement évoqué l'épisode de Katyn, encore plus rapidement étouffée. Enfin la question du génocide des juifs entre en compte dans le procès en janvier 1946. Sous le terme de "crime contre l'humanité", ce sont la déposition d'Ohlendorf sur les actions des Einsatzgruppen et celle de Höss sur les gazages des juifs à Birkenau qui mettent en lumière la tuerie. Le journal d'Hans Frank compléte l'ensemble sur la situation des ghettos. 

Il est regrettable que le tribunal n'ait pas souhaité retenir le principe d'une condamnation collective en jugeant les organisations (SA,SS, Gestapo...), ce qui aurait pu mener à la condamnation en masse de milliers de participants aux crimes nazis. Le verdict est plus connu. Les principaux chefs nazis sont condamnés à mort par pendaison. Quelques-uns enfermés pour une période plus ou moins longue à la forteresse de Spandau. Une petite minorité est acquittée, mais immédiatement condamnée par un tribunal allemand de dénazification. C'est le 16 octobre 1946 que les exécutions ont lieu, juste après la découverte du corps suicidé de Göring.

D'autres procès des criminels nazis ont eu lieu depuis, menant à la condamnation de plus de 5000 personnes, par différents tribunaux nationaux. En France ce sont Barbie, Touvier, et Papon qui ont été jugés; René Bousquet abattu avant son procès échappe à la justice. En 1948, l'ONU adopte le terme de "génocide". Le procès Eichmann dans les années 1960 met encore en lumière les crimes nazis. De cet événement judiciaire inédit et hors-du-commun sont nés d'autres grands procès: ceux pour les crimes commis en ex-Yougoslavie ou au Rwanda par exemple.

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