Will Eisner, Un pacte avec Dieu et autres récits,
Delcourt,
Paris, 2004.
Un pacte avec Dieu est le nom d'une des quatre nouvelles qui composent cet ouvrage au format bien connu maintenant des amateurs du créateur du genre roman graphique. Quatre histoires qui ont toute la particularité de se situer dans le Bronx, dans cette fameuse Avenue Dropsie, si chère à l'auteur, où vit dans des conditions précaires, toute une population cosmopolite, issue de l'immigration.
La première histoire, celle qui donne son nom au recueil, débute pourtant dans la Russie tsariste, à la toute fin du dix-neuvième siècle, où Frimme Hersh, jeune garçon serviable d'une communauté juive en proie à des pogroms de plus en plus fréquents reçoit de la part des anciens du village la possibilité de fuir ces contrées dangereuses pour aller se réfugier en Amérique, à New York, pour y faire sa vie. En échange de ce sauvetage, Frimme mène une vie de quasi saint, faisant le bien autour de lui, selon le pacte qu'il à lui-même fait avec Dieu. Mais dans cette Avenue Dropsie , tisser un lien particulier avec le Créateur n'est pas suffisant pour échapper aux aléas de la vie et Frimme perd sa fille adoptive des suites d'une maladie dont on ne saura pas vraiment de quoi il s'agit. Triste au point d'en devenir furieux, Frimme impute ce grand malheur à Dieu qui n'a pas respecté les termes du contrat. Dès lors, celui qui menait une vie exemplaire décide de sombrer dans l'égoïsme et l'usure, n'hésitant pas à détourner l'argent de la synagogue à ses propres fins, pour devenir propriétaire de nombreux immeubles de l'Avenue Dropsie et s'y comporter comme un capitaliste sans aucun scrupule. Poursuivi par la malédiction, Frimme va connaitre encore bien des péripéties, car il est évident que les nouvelles de Will Eisner ne se terminent jamais très bien pour qui vit dans la célèbre avenue du Bronx.
Les deux nouvelles suivantes mettent en scène deux personnages bien différents de prime abord, mais à la fin tout aussi tragique l'une que l'autre. Le premier est un chanteur de rue sans le sou et écrasé par une mégère qui ne cesse de lui reprocher de ne pas subvenir aux besoins de la famille: le peu d'argent qu'il récolte, il le dilapide en achetant des bouteilles d'alcool qui le font sombrer pour oublier sa vie misérable. Mais un jour de 1930, son destin va changer quand, par hasard, il poussera la chansonnette sous les fenêtres d'une diva de seconde zone, Marta Maria, qui décide de le prendre sous son aile et lui promet monts et merveilles. L'autre individu est ce concierge, procédurier et sans pitié, toujours râleur et donneur de bons conseils, qui vit dans un sous-sol du 55 Dropsie Avenue, avec pour seule compagnie son molosse à quatre pâtes qui terrorise tous les habitants de l'immeuble dont il a la charge. Sa vie va définitivement basculer le jour où, par faiblesse et perversion, il cédera au chantage d'une jeune fille de l'immeuble qui le mènera à sa perte...
Enfin la dernière histoire est celle d'habitants de l'Avenue, où plutôt de leur lieu de villégiature: Cockalein, sorte d'Eldorado, où chacun espère y faire carrière ou au moins y trouver la personne qui lui permettra de s'enrichir. Ainsi, tous les moyens sont bons pour y parvenir: entre duperies, trahison, rôles joués et faux-semblants, tout est bon pour qui n'a pas de scrupules à mentir pour tenter de s'enrichir. Ici encore, rien ne fonctionne et la malédiction s'abat sur tous ces paumés de la Dropsie Avenue.
Quatre histoires qui mettent en scène destins individuels et vie communautaire. Les lieux, plus que les personnages sont les véritables héros des nouvelles. Une vision sans filtre et sans pitié des relations entre des gens au sein de quartiers défavorisés où la volonté de s'enrichir, de faire carrière et de sortir de la misère priment sur toute humanité ou solidarité. Tragique, d'autant plus que Will Eisner puise ses scénarios dans la vie quotidienne réelle des habitants du Bronx où lui-même a vécu.
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