Philippe Saada, Sébastien Vassant, Juger Pétain,
Glénat,
Paris, 2015.
Il est des
bandes dessinées que l'on met longtemps à lire, soit parce que, peu motivantes,
elles nous tombent des mains, soit parce que, si bonnes, on savoure le plus
longtemps possible leur lecture, planche après planche, pour en profiter un
maximum. Juger Pétain est de ces dernières. Très complète, s'appuyant sur un
socle historique solide, elle se veut très pédagogique et apprend des tas de
choses à ses lecteurs, qui, sans nul doute, auront envie d'en savoir plus sur
ce qui est raconté dans chaque planche ou sur chaque vignette. Du coup, on
s'arrête régulièrement de lire pour vérifier, compléter, en savoir plus,
démarches qui ralentissent encore plus la lecture.
A travers la
mise en scène des différents témoignages, essentiellement des hommes politiques
du gouvernement qui a précédé l'installation du Maréchalat de Pétain, c'est
toute la complexité de l'évolution de la vie politique française suite à la
défaite de 1940 qui est magistralement exposée. L'accession au pouvoir de celui
qui est alors vu comme le héros de Verdun, seul susceptible de prendre en main
le pays en pleine débâcle, est clairement contextualisée. Le bombardement de la
flotte française à Mers-El Kebir par l'aviation britannique lui donne ensuite
l'occasion de se faire octroyer les pleins pouvoirs et de les inscrire
durablement dans la constitution du nouvel État Français autoritaire.
Mais, au
grand désespoir de De Gaulle, les jours et les témoins se succèdent et le
procès devient de plus en plus ennuyeux, d'autant plus que le vieux Maréchal
suit impassiblement les discours, décidant de ne plus intervenir, après avoir
fait sa fameuse tirade expliquant son sacrifice pour la France. Le véritable
tournant interviendra le onzième jour du procès, quand, contre toute attente,
le bras droit de Pétain, Laval, extradé d'Espagne par Franco, sera amené à
livrer son témoignage au tribunal. C'est de son rôle dans le gouvernement de
Vichy qu'il sera dès lors question: ses liens de plus en plus proches avec
l'occupant, son éviction par Pétain, qui le juge trop incontrôlable, puis son
rappel par le même Maréchal sous la pression allemande, devenue de plus en plus
forte après leurs premières défaites à l'est.
Malgré
toutes les tentatives de ses avocats et les témoignages apportés par la
Défense, les preuves de sa collaboration
et de sa trahison seront trop lourdes pour faire de lui une victime expiatoire
de l'occupation nazie. Tout l'accable: pourquoi n'a-t-il pas saisi l'occasion
de l'invasion de la zone libre par les Allemands pour rejoindre la Résistance
en Afrique? Pourquoi a-t-il donné l'ordre à l'armée française de combattre en
Afrique contre l'armée britannique et américaine? Sans oublier bien sûr la
déportation de plus de 80 000 juifs français, livrés aux Allemands pour être
assassinés dans les centres de la mort à partir de 1942? Fidèles au traitement
très succinct qui a été fait pendant le procès à la politique raciale de Vichy,
les auteurs consacrent seulement deux planches à la participation active de
Vichy à la Shoah.
Les actions
d'autres grands collaborateurs, membres de l'administration de L'Etat Français,
viendront alourdir les charges contre le Maréchal: le rôle de Darnand qui
n'hésitera pas à prêter serment au Führer et à intégrer la Waffen SS pour
pouvoir armer la milice qu'il vient de créer; les exactions de ses membres et
leur justice expéditive à l'encontre des résistants....
C'est
finalement un jury partial, composé de membres soigneusement sélectionnés parmi
les parlementaires qui n'avaient pas voté les pleins pouvoirs au Maréchal en
1940 et parmi d'anciens résistants, qui condamnera à mort Pétain. La sentence
lui fut annoncée le 14 août 1945 à 3h30 du matin, peine immédiatement commuée
par De Gaulle en détention perpétuelle à l'île d'Yeu où il mourut en 1951.
Textes et
dessins se complètent et s'éclairent parfaitement, preuves de la parfaite
collaboration entre le documentariste/scénariste Philippe Saada et le
dessinateur Sébastien Vassant. Les
dessins, parfois proches de la caricature sont d'une efficacité redoutable. Un
ouvrage indispensable à la fois pour les profanes intéressés par le sujet et
pour les historiens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire