mercredi 9 novembre 2016

Collectif, Maudite, L'Association, Paris, 2016.




Collectif, Maudite,
L'Association,
Paris, 2016.

Elle est à genou, un fichu sur la tête, le visage déformé par la peine et la rage, brandissant son poing, menaçante, maudissant cette guerre qui vient de lui enlever son homme. Cette allégorie de la souffrance et du rejet de la guerre, c'est celle que propose le monument aux morts de Pérrone, un des rares à ne pas glorifier l'événement et le patriotisme exacerbé qui a mené au "sacrifice" de millions d'hommes; un des rares à exposer crûment au monde entier la souffrance et la révolte de ceux qui ont été victimes de Celle qui devait être la "Der des ders".

C'est un peu de cette philosophie que s'inspire Maudite, cet ouvrage collectif réunissant sous la direction de Vincent Vanoli, plus de vingt auteurs, français, allemands, belges, anglais et italiens. Sans faire preuve  d'un antimilitarisme primaire, ils se sont simplement réunis afin de montrer l'absurdité de ce conflit, et d'en dénoncer par là le non-sens.

A une période de célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale, on est très loin d'un récit épique des grandes batailles ou de la mise en valeur de l'héroïsme des combattants. D'ailleurs de la guerre à proprement parler, on n'en voit pas grand chose et tous ceux qui veulent revivre la Putain de guerre de Tardi, doivent passer leur chemin. Seul David B,  afin de transcrire les voyages méditatifs et les combats intérieurs d'Alfred Kubin, écrivain et dessinateur autrichien, montre quelques scènes de combat. Frédéric Verry, auteur découvert dans la très intimiste revue Fleshtone, reprend ses déambulations dans des univers très sombres à la  Silent Hill, pour montrer le parcours dans une tranchée d'un soldat ravitailleur qu'on punit comme un enfant parce qu'il n'a pas faim. Manu Poydenot contribue également, à sa manière "début de siècle",  à décrire cette boucherie.  

Tout le reste de l'ouvrage est consacré à l'immédiat avant guerre et surtout à l'après guerre, plus ou moins proche de nous. Vanoli met en scène l'ultime correspondance entre deux poètes qui s'écrivent pour la dernière fois craignant de se retrouver pour s'affronter sur le champ de bataille car l'un est français, l'autre allemand. D'autres auteurs s'attachent à rechercher dans leur grenier de vieux objets pour faire revivre, à posteriori, le souvenir des récits d'un ancien combattant de leur famille. Troubs nous transporte aux antipodes pour nous faire remarquer que dans les îles polynésiennes, il n'existe pas de monument aux soldats coloniaux "morts pour la France". Alors, étrangement, on se retrouve autour de celui commémorant le colon blanc,  pour se remémorer la Grande Guerre. Lolmède reste lui dans la capitale, pour nous servir de guide dans le musée des armées aux Invalides. Il s'étonne de ce qu'on peut y exposer et surtout de l'intérêt pour le macabre et la violence que peuvent éprouver ceux qui viennent le visiter: comment peut-on s'extasier sur des masses d'armes hérissées de pointes et sur des casques troués par ces mêmes armes? Quel goût morbide, quel voyeurisme malsain poussent à exposer des photographies des visages déformés des Gueules cassées?

Le paysage est souvent le héros des histoires du recueil, ce paysage autre victime éternelle de la guerre, qui porte encore les stigmates, cent ans plus tard, des bombardements et de la violence des combats. Les planches anonymes découvertes en Angleterre, magnifiques dessins s'apparentant plus à de la photographie en noir et blanc, sont les témoins d'un paysage apocalyptique après un assaut. Nylso va plus loin dans le détail en cherchant les moyens de représenter au mieux la boue des tranchées. Alors pour cela il va passer des heures, armé de son Rotring pour représenter les mouvements de la terre par des milliers de petits traits. Enfin Sébastien Mercier, habitué à dessiner des lieux abandonnés, remplit ses tranchées de milliers de détritus, désacralisant ainsi les lieux de la mort de milliers d'hommes.

Tous dénoncent à leur façon ce conflit en relevant systématiquement l'absurdité de cette guerre pendant laquelle on a forcé des gens à se battre alors que ceux-ci ne connaissaient en rien les causes profondes du conflit. C'est ainsi que, pour clore l'ouvrage, on nous transporte à Strasbourg, dans une Alsace en passe de redevenir française.  Alors que la guerre est perdue, les soldats allemands qui s'y trouvent encore décident de saisir l'occasion pour tenter de créer un monde meilleur, idéal, sur lequel le drapeau rouge de la révolution flotterait, rassemblant sous la même bannière les prolétaires de toutes origines, les vainqueurs et les vaincus,  tous unis pour installer un monde plus juste. Récit d'un événement peu connu car tué dans l'œuf par tous ceux que l'égalité sociale dérange. Finalement comme pour clore un cycle, cette tentative de révolution marque un retour à un monde où chacun est à nouveau à sa place: le dominant domine, le soumis est exploité.

Comme le remarque Vincent Vanoli dans l'introduction du livre, nous célébrons le centenaire de cette guerre, mais l'homme n'est pas immortel et les derniers témoins directs du massacre disparaissent peu à peu. Il n'en restera bientôt plus et seuls quelques traces subsisteront. Ce recueil hors-normes par rapport à ce qui se fait d'habitude sur le sujet en sera à coup sur l'une d'elles. "Faut-il oublier qu'il ne faut pas oublier" de quoi l'Homme est capable? questionne Vanoli. La réponse évidente vient d'un artiste italo-slovène, Zoran Music, qui, sous la plume d'Edmond Baudoin, explique que finalement, le devoir de mémoire ne sert pas à grand chose quand on voit la capacité de l'homme à reproduire, en les amplifiant, les mêmes erreurs que ses aïeux. Espérons cependant qu'il se trompe quand il prédit que la prochaine boucherie sera la plus magnifique.






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