Collectif,
Maudite,
L'Association,
Paris, 2016.
Elle est à
genou, un fichu sur la tête, le visage déformé par la peine et la rage,
brandissant son poing, menaçante, maudissant cette guerre qui vient de lui
enlever son homme. Cette allégorie de la souffrance et du rejet de la guerre,
c'est celle que propose le monument aux morts de Pérrone, un des rares à ne pas
glorifier l'événement et le patriotisme exacerbé qui a mené au
"sacrifice" de millions d'hommes; un des rares à exposer crûment au
monde entier la souffrance et la révolte de ceux qui ont été victimes de Celle
qui devait être la "Der des ders".
C'est un peu
de cette philosophie que s'inspire Maudite, cet ouvrage collectif
réunissant sous la direction de Vincent Vanoli, plus de vingt auteurs,
français, allemands, belges, anglais et italiens. Sans faire preuve d'un antimilitarisme primaire, ils se sont
simplement réunis afin de montrer l'absurdité de ce conflit, et d'en dénoncer
par là le non-sens.
A une
période de célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale, on est
très loin d'un récit épique des grandes batailles ou de la mise en valeur de l'héroïsme des combattants. D'ailleurs de
la guerre à proprement parler, on n'en voit pas grand chose et tous ceux qui
veulent revivre la Putain de guerre de Tardi, doivent passer leur
chemin. Seul David B, afin de
transcrire les voyages méditatifs et les combats intérieurs d'Alfred Kubin,
écrivain et dessinateur autrichien, montre quelques scènes de combat. Frédéric Verry,
auteur découvert dans la très intimiste revue Fleshtone, reprend ses
déambulations dans des univers très sombres à la Silent Hill, pour montrer le parcours
dans une tranchée d'un soldat ravitailleur qu'on punit comme un enfant parce
qu'il n'a pas faim. Manu Poydenot contribue également, à sa manière "début de siècle", à décrire cette boucherie.
Tout le
reste de l'ouvrage est consacré à l'immédiat avant guerre et surtout à l'après
guerre, plus ou moins proche de nous. Vanoli met en scène l'ultime
correspondance entre deux poètes qui s'écrivent pour la dernière fois craignant
de se retrouver pour s'affronter sur le champ de bataille car l'un est
français, l'autre allemand. D'autres auteurs s'attachent à rechercher dans
leur grenier de vieux objets pour faire revivre, à posteriori, le souvenir des
récits d'un ancien combattant de leur
famille. Troubs nous transporte aux antipodes pour nous faire remarquer
que dans les îles polynésiennes, il n'existe pas de monument aux soldats
coloniaux "morts pour la France". Alors, étrangement, on se retrouve
autour de celui commémorant le colon blanc,
pour se remémorer la Grande Guerre. Lolmède reste lui dans la
capitale, pour nous servir de guide dans le musée des armées aux Invalides. Il
s'étonne de ce qu'on peut y exposer et surtout de l'intérêt pour le macabre et
la violence que peuvent éprouver ceux qui viennent le visiter: comment peut-on
s'extasier sur des masses d'armes hérissées de pointes et sur des casques
troués par ces mêmes armes? Quel goût morbide, quel voyeurisme malsain poussent
à exposer des photographies des visages déformés des Gueules cassées?
Le
paysage est souvent le héros des histoires du recueil, ce paysage autre victime
éternelle de la guerre, qui porte encore les stigmates, cent ans plus tard, des
bombardements et de la violence des combats. Les planches anonymes découvertes
en Angleterre, magnifiques dessins s'apparentant plus à de la photographie en
noir et blanc, sont les témoins d'un paysage apocalyptique après un assaut. Nylso
va plus loin dans le détail en cherchant les moyens de représenter au mieux la
boue des tranchées. Alors pour cela il va passer des heures, armé de son
Rotring pour représenter les mouvements de la terre par des milliers
de petits traits. Enfin Sébastien Mercier, habitué à dessiner des lieux
abandonnés, remplit ses tranchées de milliers de détritus, désacralisant ainsi
les lieux de la mort de milliers d'hommes.
Tous
dénoncent à leur façon ce conflit en relevant systématiquement l'absurdité de
cette guerre pendant laquelle on a forcé des gens à se battre alors que ceux-ci
ne connaissaient en rien les causes profondes du conflit. C'est ainsi que, pour
clore l'ouvrage, on nous transporte à Strasbourg, dans une Alsace en passe de
redevenir française. Alors que la guerre
est perdue, les soldats allemands qui s'y trouvent encore décident de saisir
l'occasion pour tenter de créer un monde meilleur, idéal, sur lequel le drapeau
rouge de la révolution flotterait, rassemblant sous la même bannière les
prolétaires de toutes origines, les vainqueurs et les vaincus, tous unis pour installer un monde plus juste.
Récit d'un événement peu connu car tué dans l'œuf par tous ceux que l'égalité
sociale dérange. Finalement comme pour clore un cycle, cette tentative de
révolution marque un retour à un monde où chacun est à nouveau à sa place: le
dominant domine, le soumis est exploité.
Comme
le remarque Vincent Vanoli dans l'introduction du livre, nous célébrons
le centenaire de cette guerre, mais l'homme n'est pas immortel et les derniers
témoins directs du massacre disparaissent peu à peu. Il n'en restera bientôt
plus et seuls quelques traces subsisteront. Ce recueil hors-normes par rapport
à ce qui se fait d'habitude sur le sujet en sera à coup sur l'une d'elles.
"Faut-il oublier qu'il ne faut pas oublier" de quoi l'Homme
est capable? questionne Vanoli. La réponse évidente vient d'un artiste
italo-slovène, Zoran Music, qui, sous la plume d'Edmond Baudoin,
explique que finalement, le devoir de mémoire ne sert pas à grand chose quand
on voit la capacité de l'homme à reproduire, en les amplifiant, les mêmes
erreurs que ses aïeux. Espérons cependant qu'il se trompe quand il prédit que
la prochaine boucherie sera la plus magnifique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire