Gaël Faye, Petit
pays,
Grasset,
Paris, 2016.
Gabriel est un jeune
garçon issu de l'union entre un colon européen et une mère d'origine rwandaise
réfugiée au Burundi. Avec sa sœur Ana, il vit chichement dans une maison, au
fond d'une impasse de Kinanira, quartier de Bujumbura, ville du Burundi.
Avec quelques autres
garçons du coin, il crée son "gang", les Kinanira Boyz, dont
le but est de dérober les mangues mûres des jardins des villas du quartier pour
les revendre et gagner quelque argent pour s'acheter gâteaux et bonbons qu'ils
mangent ensemble dans leur quartier général: un vieux combi Volkswagen à
l'abandon au milieu d'un terrain vague voisin. Les adolescents grandissent et
les fruits de leurs menus larcins sont désormais consacrés à essayer d'acheter
les accessoires de mode hors de prix nécessaires à impressionner les jeunes
filles du collège.
1993 arrive, c'est
l'année où les Burundais testent l'expérience de la démocratie après plus de
vingt années de pouvoir militaire. Gabriel n'y comprend pas grand chose tant
son père l'a préservé depuis toujours de la politique. Il se montre simplement
impressionné par ces files de personnes qui attendent patiemment devant les
bureaux de vote. La proclamation des résultats des élections et la défaite du
parti de l'armée ouvre l'espoir d'un renouveau démocratique du pays.
Mais la guerre civile
qui éclate quelques jours plus tard et l'assassinat du président fraîchement
élu ruinent ce rêve auquel était
attaché nombre de Burundais. Gabriel, réfugié dans sa maison avec son père et
sa sœur, entend au loin les coups de feu et écoute les rumeurs au sujet des
massacres qui se produisent dans le pays. Tout cela n'a rien de concret pour
lui, jusqu'au jour où, dans la cour de son école, éclate une bagarre qui va le
happer dans le tourment des violences.
Car à cette guerre
civile vient se superposer un génocide importé de l'autre Petit pays
voisin: celui des Tutsi par les extrémistes hutu au Rwanda. L'attentat contre
le président rwandais et le nouveau président burundais le 7 avril 1994 en
marquera le début et constituera le prétexte au massacre de milliers de
personnes. Dans le Pays aux mille colonies, près d'un million de Tutsi seront
massacrés par des milices extrémistes en une centaine de jours.
Gabriel se rend compte
qu'il est tutsi de par ses origines maternelles, et que sa famille est en train
de mourir de l'autre côté de la frontière. Comme beaucoup de personnes, Hutu ou
Tutsi, il ne connait pas l'origine lointaine et absurde de ce racisme créé de
toutes pièces par les colons européens allemands puis belges. Ce qu'il sait
c'est qu'on tue désormais simplement pour la couleur de la peau, la longueur
d'un nez ou celle d'une nuque. Comme dans tout génocide, on invente une
catégorie d'ennemis et on s'en improvise son bourreau.
La sauvagerie qui entre
dans le Petit pays de Gabriel transforme les gens. Le gang de petits
garçons voleurs de mangues se fait milice d'autodéfense de l'impasse où ils
vivent. Les anciens voisins deviennent assassins, les tueurs sont habités par
une haine sauvage qui les pousse à s'acharner sur leurs victimes; les rescapés
sont hantés par les images insoutenables des corps de leurs proches démembrés à
coups de machette. "Le génocide est
une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés, sont mazoutés à
vie".
Gabriel, lui, tente de
se préserver de tout cela en se réfugiant dans des livres que lui prête chaque
jour une vieille voisine d'origine grecque et dans une correspondance qu'il
entretient avec son amoureuse française qu'il n'a jamais vue. Mais sa position
est difficile à tenir: enfant de tutsi, il est vu pas les extrémistes Hutu de
son pays comme un autre de ces "cafards" qu'il faut exterminer; fils d'un père français, il est
considéré par les tutsi burundais comme une sorte de collabos qui a participé
au massacre au Rwanda.
L'auteur de ce
magnifique livre, Gaël Faye, est surtout connu en France dans le monde de la
musique et du slam. En nous livrant ici son premier roman semi autobiographique
, il nous fait comprendre à travers les yeux d'un enfant, les mécanismes de
haine qui poussent les gens à commettre l'irréparable.
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